HomeRencontreFLORENT BAKOUAN, SP/CONASUR : « Nous avons le cœur serré chaque fois qu’il pleut »

FLORENT BAKOUAN, SP/CONASUR : « Nous avons le cœur serré chaque fois qu’il pleut »


Dans la nuit du 10 juillet 2016, une forte pluie s’est abattue sur Ouagadougou et sur plusieurs régions du Burkina. Au Centre hospitalier universitaire Yalgado Ouédraogo et à la Direction générale des transports terrestres et maritimes (DGTTM), cette pluie a causé d’énormes dégâts matériels. Mais ces deux cas isolés ne sont que la partie visible de l’iceberg. En effet, dans plusieurs zones de la capitale, ce sont 1 488 personnes sinistrées qui ont été contraintes d’abandonner leurs domiciles  envahis par les eaux de pluie. Dans cet entretien, Yipenè Florent Bakouan, Secrétaire permanent du Secrétariat permanent du conseil national de secours d’urgence et de réhabilitation (SP/CONASUR), revient sur ces dégâts, mais également sur l’ensemble des sinistres enregistrés au Burkina depuis le début de l’année 2016.

 

« Le Pays » : Quel est le rôle dévolu au SP/CONASUR ?

 

Yipenè Florent Bakouan : Le SP/CONASUR est l’instance d’exécution des décisions du CONASUR. Le CONASUR regroupe une vingtaine de départements ministériels ainsi que les Gouverneurs des régions. C’est une instance statutaire qui est chargée de la coordination des actions  humanitaires. Le secrétariat permanent est, quant à lui, l’instance d’exécution des décisions du CONASUR. A ce propos, nous pouvons résumer cela en 6 points. Nous avons  un rôle politique et de coordination. Ce qui veut dire que nous assurons l’organisation des sessions du CONASUR tout en  appliquant et exécutant les décisions du CONASUR.  Nous assurons également, sur ce plan, la coordination de toutes les activités humanitaires au Burkina Faso.

Nous avons aussi un rôle de prévention qui consiste à informer et à sensibiliser les populations sur les risques liés aux catastrophes. C’est ce que nous faisons d’ailleurs en cette période et nous interpellons les populations à adopter le comportement qu’il faut, pour ne pas être victime des inondations. Nous avons aussi un rôle de formation. Nous sommes structurés jusqu’au niveau village et nous intervenons à travers les Conseils régionaux de secours d’urgence et de réhabilitation, les conseils provinciaux de secours d’urgence et de réhabilitation, les conseils départementaux de secours d’urgence et de réhabilitation. Donc, nous formons ces acteurs afin qu’ils puissent assurer au mieux les missions du CONASUR. Nous formons aussi les populations et les acteurs spécifiques pour les amener à mieux comprendre la problématique de la prévention, de la gestion des secours d’urgence et la problématique de la réhabilitation. Nous jouons également un rôle d’assistance humanitaire et c’est notamment sur ce volet que beaucoup nous connaissent. Cela consiste à apporter, en cas de catastrophes ou en cas de crises où il y a des victimes, des vivres et des non vivres. Nous apportons les produits de première nécessité aux victimes. En plus de cela, le SP/CONASUR  a un rôle de plaidoyer et de mobilisation des ressources. Etant donné que nous avons des missions spécifiques qui nécessitent des moyens, il nous revient de travailler à la mobilisation et à la gestion des ressources pour mieux assurer nos missions. Nous avons aussi un rôle de réhabilitation car, il ne s’agit pas, pour nous, dans la gestion des crises, de maintenir les gens dans l’assistance. Il s’agit de faire en sorte que les personnes vulnérables puissent, à un moment donné, retrouver une vie normale. Nous ne voulons pas que les gens restent dans l’assistance. C’est pourquoi nous avons pour rôle de faire en sorte que les victimes de crises ou de catastrophes, sortent de cette situation en ayant un logis et des moyens pour démarrer des activités génératrices de revenus, pour sortir de leur situation de vulnérabilité.

 

Pouvez-vous nous faire le bilan des inondations du 10 juillet au niveau de la ville de Ouagadougou ?

 

Pour les inondations de Ouagadougou, nous avons enregistré 1 488 personnes qui ont été hébergées dans les écoles. A Somgandé, nous avons enregistré 787 personnes affectées, soit 127 ménages. A Watinonma, il y a eu 113 personnes affectées, à Toudbwéogo, 184 personnes, à Polesgo, 404 personnes. Tous ces sinistrés sont logés  essentiellement dans des écoles.

 

« Dans la plupart des cas, les gens n’ont pas les informations qu’il faut et ne savent pas, face aux crises, quel comportement adopter »

 

Quelle est la situation des inondations sur le plan national en 2016 ?

 

Sur le plan national, nous avons déjà enregistré, pour 2016, 47 000 personnes qui ont été victimes des inondations ou des crises. En effet, en plus des inondations, il y a eu des crises qui ont entraîné de nombreux déplacements. C’est le cas à Karangasso Vigué dans les Hauts-Bassins. Il y a aussi des conflits liés à la chefferie coutumière. Ces conflits ont rendu plusieurs personnes vulnérables, que nous avons prises en charge.  Il faut noter également qu’il y a eu des vents violents qui ont causé d’énormes dégâts. Le cas le plus récent que nous avons traité est survenu dans la Boucle du Mouhoun. Demain matin, (Ndlr 15 juillet) un camion va bouger pour Ban, dans le Lorhoum, suite à des vents violents. Donc, pour le premier semestre de 2016, nous sommes à plus de 47 000 victimes que nous avons assistées.

 

Quelle a été l’ossature de la prise en charge de ces sinistrés ?

 

La prise en charge consiste à apporter des vivres composés de petit mil, de riz, de maïs, de semoule de maïs et d’huile. Nous leur apportons aussi des biscuits énergétiques comme complément alimentaire des boîtes de conserves. En non vivres, selon la situation, nous apportons des tentes, du savon, des récipients, des couvertures, des nattes, des moustiquaires imprégnées. Nous avons aussi des kits que nous appelons « kits de dignité » pour les femmes qui, on le sait, ont des besoins spécifiques.

 

Selon vous, quelle est la conduite à tenir pour renforcer la résilience des populations face aux catastrophes naturelles ?

 

En premier lieu, il faut sensibiliser les populations car, dans la plupart des cas, les gens n’ont pas les informations qu’il faut et ne savent pas, face aux crises, quel comportement adopter. Il y a par exemple la météo. Mais combien de personnes tiennent-elles compte de ses prévisions ? En plus, tout cela est aussi lié au manque d’assainissement dans nos villes. Récemment, ce qui s’est passé à Ouaga, surtout dans la zone de Tanghin, est lié à ces questions d’assainissement. Donc, de plus en plus, nous demandons le curage des caniveaux et nous invitons les populations à éviter les comportements qui tendent à boucher les caniveaux. Il faut souligner que cela est aussi dû aux différentes politiques d’aménagement des villes, sur le plan national. On ne peut pas lotir des quartiers alors qu’il n’y a même pas de caniveaux pour draîner les eaux.  Si fait qu’à chaque petite pluie, les maisons sont inondées. Ce qu’il faut, c’est travailler à ce que cette situation ne perdure pas. En plus des mesures qu’il faut prendre pour l’urbanisation des villes, il faut sensibiliser les populations. Nous mettons aussi l’accent sur les moyens de relèvement. C’est dire qu’il faut faire en sorte que les gens aient un autre moyen de s’abriter en cas de catastrophe. C’est trouver vite un moyen qui leur permettra de développer des activités à même de pouvoir les sortir de la vulnérabilité.  Il faut faire en sorte que les populations évitent de s’installer dans les zones inondables. Si vous prenez le  cas de la ville de Ouagadougou, ce sont les mêmes sites qui  sont touchés chaque année. Il y a des zones inondables qui sont identifiées, mais les gens vont s’établir dans ces zones. C’est le cas à Somgandé et à Bissiguin.

 

« Pour le 1er semestre, nous avons déjà dépensé 365 251 750 F CFA »

 

Quelles mesures prenez-vous justement pour ne pas faire face, à chaque fois, aux mêmes personnes sinistrées lors de vos intervenions ?

 

A notre niveau, nous sensibilisons et nous interpellons. Mais, l’Etat a un rôle fondamental à jouer parce que le SP/CONASUR ne peut pas empêcher les gens de s’installer dans les zones inondables. L’Etat doit d’abord faire la cartographie complète des zones inondables et l’actualiser régulièrement. Il faut ensuite communiquer longtemps sur ces zones inondables et faire en sorte que les gens ne s’installent pas dans ces zones. Pour ceux qui y sont déjà, il faut trouver une alternative. Sinon, chaque année, on sera confronté à la même situation.  Même si on ne peut pas trouver des sites pour ces personnes, il faut travailler à ce qu’il y ait un peu d’assainissement dans ces zones et draîner l’eau vers les conduits mis en place pour cela.

 

Est-ce à dire que le Burkina ne tire pas suffisamment de leçons des inondations et des crises récurrentes ?

 

Il y a des mesures qui sont prises chaque année pour contribuer à réduire l’ampleur des inondations. Ce sont, entre autres, les activités d’assainissement entreprises chaque année au niveau des villes. Vu les moyens disponibles, cela n’est pas toujours aisé. Mais les plans d’assainissement des villes sont des choses qu’il faut concevoir dès le départ et ne pas lotir des quartiers sans au moins un système de canalisation des eaux. On ne peut donc pas résoudre tous ces problèmes du jour au lendemain. Chaque année, au niveau des municipalités, il y a des actions qui sont entreprises pour résoudre ce problème. On sent donc le souci de ne pas subir, chaque fois, les mêmes conséquences des pluies. Par contre, dans les zones dites inondables, il n’y a pas de mesures spécifiques pour amener les populations à les éviter. Donc, il faut qu’il y ait des mesures fortes à prendre pour résoudre ce problème. Nous subissons de plus en plus les vents violents. A ce niveau, il faut faire en sorte que notre environnement de vie ne nous expose pas trop aux dégâts en cas de vents violents. Il s’agit d’abord de tailler les arbres aux alentours des voies et à côté des habitations. Il faut que les populations prennent les mesures idoines lors des constructions pour éviter de voir les toits décoiffés en cas de vent violent. S’agissant des conflits, je dois dire qu’ils sont essentiellement liés à l’action de l’homme. L’Etat et le Politique doivent jouer un rôle important à ce niveau et amener les uns et les autres à œuvrer pour la cohésion sociale. Il faut faire en sorte que les situations de divergences n’aboutissent pas à des conflits qui vont entraîner la destruction des biens publics et privés, et pire, mort d’homme. C’est une responsabilité collective aussi bien de l’Etat et de chacun de nous, pour que ces situations ne se reproduisent pas. Il faut également doter le SP/CONASUR de moyens nécessaires pour conduire à bien sa mission de soutien auprès des populations victimes de catastrophes et de crises. Imaginez un peu ; pour le 1er semestre, nous avons déjà dépensé 365 251 750 F CFA, alors que pour l’exécution du budget de 2016, l’Etat ne nous a accordé que 181 millions de  F CFA. Dans cette allocation budgétaire, nous disposons de 81 millions de F CFA pour la prise en charge des salaires, sans compter le carburant pour intervenir sur tout le territoire national. C’est une difficulté majeure car nous disposons dans notre parc, de camions qui ont une moyenne d’âge de 35 ans et qui consomment entre 40 à 50 litres tous les 100 km.  Cette situation fait qu’en un mois, nous pouvons dépenser un millions de F CFA,  uniquement dans l’achat du carburant. Cela, sans compter la manutention, la maintenance et l’entretien des magasins du CONASUR. Les 100 millions de F CFA qui restent servent à l’achat des vivres et des non vivres. Soit 60 millions de F CFA pour les vivres et 40 millions de F CFA pour les non vivres. En plus de l’Etat, nous avons des partenaires qui nous appuient essentiellement sur le volet soft, dont les formations et les sensibilisations. En outre, une partie des dons reçus par l’Etat est reversée au CONASUR pour consolider son stock. Mais, à l’étape actuelle, nous sommes dans l’embarras car les besoins sont énormes et nous avons le cœur serré chaque fois qu’il pleut. Sur le plan de la logistique, nous avons 9 camions et seulement trois d’entre eux sont passablement utilisables. En termes de moyens, il nous faut les ressources nécessaires pour assurer l’acquisition des vivres et leur entretien dans les magasins de stockage. Sur tout le territoire national, nous ne disposons de magasins qu’à Ouagadougou, Bobo-Dioulasso et Dori. Alors que l’un des indicateurs de notre performance, c’est notre capacité de réactivité. Cette capacité est compromise dans la mesure où nous n’avons pas de magasins dans les autres localités pour stocker nos vivres. Nous souhaitons donc avoir des magasins au moins dans les 13 chefs-lieux de régions pour intervenir en temps réel en cas de crise.

 

Propos retranscrits par Adama SIGUE

 

 


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