HomeA la uneREJET DU VOTE PAR TEMOIGNAGE PAR L’OPPOSITION NIGERIENNE : Pourquoi maintenant ?  

REJET DU VOTE PAR TEMOIGNAGE PAR L’OPPOSITION NIGERIENNE : Pourquoi maintenant ?  


 

Le 21 février prochain, les Nigériens sont appelés aux urnes, pour élire un nouveau président parmi la quinzaine de candidats, et de nouveaux députés. Mais c’est bien la présidentielle qui cristallise le plus les attentions, au regard du profil des concurrents parmi lesquels on compte des personnalités bien connues de la scène politique nigérienne comme Mahamadou Issoufou, président sortant et candidat à sa propre succession, Hama Amadou, ex-président de l’Assemblée nationale tombé en disgrâce et écroué à la prison de Filingué pour une sombre affaire de trafic de bébés, Mahamane Ousmane, ancien chef de l’Etat  aujourd’hui passé dans l’opposition aux côtés d’autres figures emblématiques comme Seïni Oumarou, chef de file de l’opposition, Cheiffou Amadou, ex-Premier ministre et bien d’autres. Tous autant qu’ils sont,  ce sont des hommes du sérail qui se connaissent bien.  Et certains, l’on peut le dire, se « haïssent » cordialement, dans un pays où derrière chaque fait et geste d’un adversaire, peuvent être perçues des intrigues dont seuls les acteurs politiques ont le secret. Mais à la veille du scrutin, la polémique enfle autour de la question du « vote par témoignage », une pratique qui consiste à autoriser  un électeur sans papiers à voter si deux personnes à ses côtés confirment son identité. Pour cause, cela peut être la voie ouverte à toutes sortes de magouilles. Et en la matière, la confiance ne semble pas la chose la mieux partagée entre tous les acteurs politiques nigériens dont certains se regardent aujourd’hui en chiens de faïence. Le problème est que ce mode de vote, qui a jusque-là été autorisé par toutes les lois électorales du Niger ces 20 dernières années, n’est pas spécifiquement prévu par les lois électorales qui servent de base au présent scrutin. D’où son rejet catégorique par l’opposition. Par contre, le pouvoir qui a requis l’avis du Conseil d’Etat sur la question, y est favorable. Et   après examen,   « le Conseil d’Etat est d’avis que le vote par témoignage est possible sur le fondement de l’esprit des lois et des pratiques électorales au Niger».

Au-delà des manquements éventuels aux règles de procédure en la matière qui peuvent justifier la position de l’opposition, l’on se demande pourquoi c’est maintenant que cela pose véritablement problème.  Car, dans le fond, tout porte à croire que les Nigériens se sont jusque-là accommodés de cette pratique lors des scrutins précédents, et ce n’est pas le parti au pouvoir actuel qui en est à la base. Et quand on sait que parmi ceux qui tirent aujourd’hui à hue et à dia, certains étaient, il n’y a pas longtemps encore aux affaires, l’on peut se convaincre qu’ils ont eux-mêmes bénéficié  de cette disposition pour accéder au pouvoir. Pourquoi alors une position maximaliste aujourd’hui, en posant son rejet comme condition sine qua non de la tenue d’élections libres et transparentes ? Surtout que selon certains chiffres, seulement 7% des électeurs nigériens ont une pièce d’identité.

Il faudrait plutôt  travailler à corriger une pratique éculée

Dans de telles conditions, que représenterait le corps électoral et quelle serait la légitimité même du président élu, si l’on devait se passer de ce mode de vote ? L’opposition cherche-t-elle alors des arguments pour expliquer une défaite quasi-certaine et justifier une éventuelle dégradation de la situation sociopolitique ? Craint-elle simplement des fraudes massives dont sont souvent accusés à tort ou à raison les partis au pouvoir, sachant qu’en Afrique, on n’organise généralement pas des élections pour les perdre ? Du côté du pouvoir, pourquoi n’avoir pas pris les dispositions en amont pour intégrer spécifiquement cette disposition dans la présente loi électorale bien avant le scrutin, sachant qu’elle pouvait faire l’objet d’une polémique qu’il aurait pu sentir venir depuis longtemps ? Gouverner c’est prévoir et là les services de renseignement ont failli. Craint-on aussi de ne pas réussir le coup K.-O. et de se retrouver dans un éventuel second tour de tous les dangers, si l’on devait écarter cette frange importante de l’électorat qui se trouve surtout en milieu rural, pourtant généralement favorable aux partis au pouvoir ? Ou bien est-ce par simple souci de ne pas écarter des citoyens du scrutin ? Dans tous les cas, il y a anguille sous roche d’un côté comme de l’autre. Mais quoi qu’il en soit, il faut savoir raison garder, malgré l’enjeu, et éviter, à la veille du vote, de jeter le bébé avec l’eau du bain à travers une polémique qui pourrait  remettre en cause tout le processus électoral. Car, autant la pratique n’est pas la règle, autant elle peut faire jurisprudence. Il serait peut-être plus judicieux qu’après cette élection, le débat revienne immédiatement sur la table, pour être définitivement tranché dans des conditions moins passionnelles, pour les  scrutins à venir.

Tout compte fait, c’est un débat qui ne devrait même pas avoir lieu, dès lors que le consensus s’est fait autour du fichier électoral dont l’opposition a, du reste, obtenu l’audit par un organisme international  comme l’OIF, pour l’expurger de toutes ses scories. Il faudrait plutôt  travailler à corriger une pratique éculée, qui n’est même pas à l’honneur du Niger. Il y va aussi de la sécurité du pays. Car, à l’heure où le péril djihadiste est en pleine expansion, il est important de savoir qui est véritablement qui, et il est par conséquent impératif de pouvoir identifier tous les individus par des documents fiables, au-delà d’un simple témoignage verbal. En tout état de cause,  les Nigériens gagneraient à mettre balle à terre pour préserver cette denrée précieuse qui se fait de plus en plus rare aujourd’hui à travers le monde, la paix sociale. En tout cas, aucun Nigérien digne de cette qualité, amoureux de son pays et soucieux de son avenir n’a intérêt à ce que la situation dégénère aujourd’hui.

Outélé KEITA


No Comments

Leave A Comment