CONDAMNATION DE HISSENE HABRE : Quels espoirs pour l’Afrique de demain ?
Après une année de procédure où les émouvants récits des témoins n’ont rencontré que le mur du silence de l’accusé, l’épilogue du procès Hissène Habré est connu depuis le 30 mai 2016. Ni le silence de l’homme ni les images pathétiques du vieillard, traîné dans le box des accusés par ses geôliers, n’ont ému les Chambres africaines extraordinaires qui ont reconnu le prévenu coupable de crimes contre l’humanité et l’ont, de ce fait, condamné à la réclusion criminelle à perpétuité. Jamais de mémoire d’Africain, verdict de justice n’a fait autant l’unanimité, tant le dictateur déchu s’était illustré dans l’ingénierie de la torture contre ses propres concitoyens. Hissène Habré paie donc le prix fort et ce n’est que justice rendue pour les 4000 victimes de l’holocauste tchadien. Mais, c’est surtout le triomphe de toutes ces OSC et hommes de droit qui, par philanthropie et devoir de mémoire pour les victimes, ont mené ce combat de la vérité et de la justice. Toutefois, sans jouer les rabat-joie en limitant le retentissement de cette victoire, cette euphorie collective, tout comme les lendemains des jours d’ivresse, débouche quelque peu sur une gueule de bois parce que Hissène Habré trinque seul alors que, de toute évidence, la bergerie bruit encore de pas des loups. Et le premier de cette meute qui a sans doute chassé en bande, reste le président Idriss Deby dont le rôle dans cet épisode sanglant de l’histoire tchadienne, mérite d’être analysé sous un autre angle que celui que tente de laisser voir N’djamena.
Il est à craindre que ce procès ne donne l’occasion à Deby de se laver les mains
En effet, dans les années 80, il était chef d’état-major des Forces Armées du Nord (FAN) de Hissène Habré lors de la guerre civile contre les forces tchado-libyennes de Goukouni Weddeye et commandant en chef des Forces armées nationales tchadiennes (FANT) dans la brutale pacification du pays qui a suivi la guerre. C’est peu dire que le treillis de Deby porte des éclaboussures du sang des victimes. Il est à craindre que ce procès où il s’est donné le beau rôle en permettant l’identification des charniers ou en facilitant certaines procédures judiciaires parfois même en mettant la main à la poche, ne lui donne l’occasion de se laver les mains à la Ponce Pilate. Qui dit, en effet, qu’il n’a pas livré Hissène Habré pour soulager sa conscience ? Il est vrai que la Justice, pour des soucis d’efficacité, ne fait pas dans la confusion des genres, mais la boîte de Pandore étant ouverte par le procès de Dakar, il convient d’y fouiner. Sans nul doute, dénudé de la carapace Habré, le dos de Deby est plus repérable dans les ergs et regs du désert où s’est jouée la tragédie tchadienne, même si son long règne lui a certainement permis de dissimuler bien des preuves. Mais, peut-on vraiment y compter au moment où l’homme est la prunelle des yeux des Occidentaux, en raison de son statut de chef de guerre dans la lutte anti-terroriste dans la bande sahélienne? L’autre grand absent du box des accusés dans ce procès de Dakar, c’est sans nul doute ces puissances occidentales, notamment les USA et la France qui, du fait de leur soutien au dictateur, sont pour le moins moralement co-auteurs de ses atrocités. En effet, dans la décennie 80, celui que la CIA avait surnommé «the quintessential desert warrior» (le guerrier du désert par excellence) était une pièce maîtresse de l’administration Reagan pour contrecarrer Mouammar Kadhafi, considéré alors comme une menace pour la sécurité collective des Etats-Unis en raison de son soutien au terrorisme international.
Il ne faut pas verser dans l’angélisme
Malgré les échos alarmants d’exécutions extrajudiciaires, de disparitions forcées et de conditions inhumaines de détention, Paris et Washington ont fermé les yeux pour l’armer, parfois clandestinement via l’Egypte ou le Soudan, ou pour l’appuyer à travers des opérations militaires comme « Manta » et « Epervier » ou encore pour former, aux Etats-Unis notamment, sa terrible police politique, la DDS (Direction de la documentation et de la sécurité), responsable des nombreuses atrocités aujourd’hui décriées. Malgré ce goût d’inachevé, il n’en demeure pas moins que le procès Hissène Habré « est bon à prendre » car il est porteur de nombreux espoirs pour le continent africain. D’abord parce qu’il est la marque du progrès du continent. En effet, le procès Habré est la réaction critique d’une Afrique nouvelle, irrémédiablement engagée dans le progrès démocratique contre l’Afrique des années 80, celle des guerres civiles tribales et des coups d’Etat sanglants le plus souvent actionnés en sous-main par l’Occident interventionniste. Au-delà, il marque surtout un tournant dans l’histoire de la Justice africaine qui, en appréhendant et jugeant pour la première fois un ancien chef d’Etat africain en dehors de son pays, crée une jurisprudence à toute fin utile. Ensuite, pour sa portée hautement pédagogique, ce procès signifie très clairement aux dictateurs qui écument encore le continent « qu’aussi longue que soit la durée de la nuit, le soleil finira par se lever » et qu’ils ne seront nulle part à l’abri sur la Terre. C’est pourquoi en pariant sur l’effet dissuasif du verdict, il peut sonner une aube nouvelle pour les droits de l’Homme et la démocratie en Afrique. Enfin, parce qu’il ouvre l’espoir de réparation pour les victimes des atrocités de la guerre civile tchadienne et de la dictature de Hissène Habré et au-delà, pour toutes les victimes des guerres civiles et des dictatures sur le continent. Mais, sur un continent où il n’y a pas de place pour un optimisme facile, il ne faut pas verser dans l’angélisme. En effet, il faut craindre que le procès ne provoque au contraire une réaction d’auto-défense des satrapes du continent, en les poussant à s’agripper davantage au pouvoir comme une assurance-vie. Par ailleurs, ce procès qui intervient près de trois décennies après les faits, vient confirmer les limites de l’humanité à prévenir les dictatures qu’elle laisse couver, éclore et grandir pour les juger après coup. Demain n’est certainement pas la veille d’un véritable changement de cap, car tant que les intérêts géostratégiques et économiques des Occidentaux le nécessiteront, ils serviront de maïeuticiens à de nouvelles dictatures sur le continent. Le véritable rempart contre les dictatures, ce n’est certainement pas les procès, mais c’est l’éducation des peuples.
« Le Pays »