PERTURBATION DU MEETING DE L’OPPOSITION IVOIRIENNE : Le retour des vieux démons ?
La tension sociopolitique reste vive en Côte d’Ivoire, malgré l’appel au calme lancé par le pouvoir en place à Abidjan, après les violentes manifestations enregistrées dans le pays avant et pendant le scrutin référendaire du 30 octobre dernier. Les partisans du « Non » à la nouvelle Constitution, exigent rien moins que le retrait de cette loi fondamentale en raison du faible taux de participation au vote, bien en deçà, selon eux, des 42,42% annoncés par le Conseil constitutionnel. Le boycott qu’ils ont prôné a été largement suivi par les populations ivoiriennes des villes et des campagnes, et il était de bon ton, selon eux, de remercier les abstentionnistes à travers un meeting à la place Ficgayo de Yopougon, le samedi dernier. Il n’en fallait pas davantage pour susciter l’ire des militants présumés de la coalition du Rassemblement des Houphouétistes au pouvoir, qui ont déboulé sur le mythique point de rassemblement, armés de gourdins et d’objets contondants pour empêcher le Front de refus de continuer à surfer sur les vagues de la contestation, avec des conséquences imprévisibles à moyen et long terme sur la cohésion sociale déjà mise à rude épreuve depuis les affrontements fratricides consécutifs à la crise postélectorale de 2010-2011. Pour la première fois depuis bien longtemps, on a sorti des armes blanches pour s’attaquer à des adversaires politiques dans la ville d’Abidjan, et ce palier de plus dans la crise fait craindre le retour des vieux démons qui avaient dangereusement parasité le jeu politique en Côte d’Ivoire. A l’étape actuelle, l’on ne sait pas qui du pouvoir ou de l’opposition a armé ces loubards pour agresser les contestataires de la nouvelle Constitution, mais on peut légitimement se demander si les organisateurs du meeting dit de remerciement peuvent être si masochistes au point de provoquer cette violence inouïe contre leurs propres militants. Les arrestations qui ont été opérées sur les lieux par la police aideront peut-être à situer les responsabilités, mais en attendant, il faudrait que les deux camps se rendent à l’évidence que de tels actes de voyous ne sont pas de nature à ressouder les morceaux de la déchirure sociale dont ils ont été acteurs dans un passé encore très récent.
Alassane Ouattara et les siens ont la responsabilité morale et politique de semer les graines de la paix sociale
Cette prise de conscience est d’autant plus importante que ces scènes de violence interviennent à deux mois des élections législatives, qui sont une autre échéance redoutable parce que pouvant être source de conflit jusque dans les contrées les plus reculées du pays. A moins que la montée des périls à laquelle on assiste actuellement ne soit voulue et orchestrée par ceux qui, aussi bien dans le camp du parti au pouvoir que dans celui de l’opposition, ne veulent plus d’élections sereines et apaisées en Côte d’Ivoire depuis qu’ils ont vu leurs rêves de diriger ce beau pays s’évanouir, notamment avec l’adoption de la nouvelle Constitution. La stratégie de ces boutefeux consiste à déplacer les débats politiques de l’hémicycle vers la rue, en sachant bien que c’est le meilleur moyen d’instaurer la chienlit dans le pays. Quoi qu’il en soit, personne ne gagnerait à ce que le chaos revienne après la décennie de braise dont les Ivoiriens et certains Ouest-africains portent encore les stigmates. Pour conjurer le sort, il n’y a pas trente-six mille solutions. Il faut simplement ouvrir des concertations tous azimuts avec les partis politiques sans exclusive, la société civile et les forces sociales, afin de trouver des dénominateurs communs dans la gestion des affaires de l’Etat. Ce serait, en effet, une erreur monumentale du Front de refus ou du RHDP de continuer à considérer les Ivoiriens comme des moutons de panurge ou du bétail électoral sans conscience politique, prêts à brûler leur pays pour des intérêts égoïstes de quelques individus aux ambitions surdimensionnées. Ils se rendraient service à eux-mêmes en évitant de nourrir les rancœurs, car, quasiment tous les acteurs actuellement sur la scène seraient épinglés en cas de reddition des comptes, pour avoir mis ou contribué à mettre le foutoir dans le pays. Mais au regard de leur position actuelle, Alassane Ouattara et les siens ont la responsabilité morale et politique de semer les graines de la paix sociale véritable, en prenant en compte les cris de cœur des partisans de son prédécesseur qui dénoncent, à juste raison, la justice à géométrie variable qui punit sévèrement même les lampistes de leur camp, et absout des criminels de la pire espèce parce qu’ils sont proches ou inféodés au parti au pouvoir. Si les Blancs et les Noirs de l’Afrique du sud ont réussi la prouesse de créer les conditions d’une paix entre eux alors qu’ils ont été des décennies durant, des ennemis irréconciliables, les Ivoiriens peuvent panser les plaies causées par l’irresponsabilité de certains des leurs, d’autant qu’il n’y a pas fondamentalement de haine, ni ethnique, ni tribale ni religieuse entre eux. C’est, en tout état de cause, à l’aune de la réconciliation des fils et filles de la Côte d’Ivoire qu’on jugera de l’intérêt de cette nouvelle Constitution qui divise, mais qui, selon ses concepteurs, est meilleure que toutes les précédentes.
Hamadou GADIAGA