PROCES DES ASSASSINS DU NOVOTEL D’ABIDJAN : Situer toutes les responsabilités
Hier, 31 janvier 2017, s’est ouvert dans des conditions plutôt rocambolesques, devant la Cour d’assises d’Abidjan en Côte d’Ivoire, le procès des assassins du Novotel d’Abidjan. Du nom de cet hôtel huppé de la capitale économique ivoirienne, où furent enlevés, en avril 2011, deux Français, un Béninois et un Malaisien qui seront conduits au palais présidentiel d’où ils ne sortiront jamais vivants. Il s’agit de Stéphane Frantz Di Rippel, directeur dudit hôtel, Yves Lamblin, patron de la Sifca, le plus grand groupe agro-alimentaire du pays, Raoul Adeossi, adjoint du directeur d’origine béninoise et du Malaisien Chelliah Pandian. Sont poursuivis dans cette affaire, pour « assassinats et complicités d’assassinats », dix hommes parmi des fidèles de l’ancien président Laurent Gbagbo, dont le général Dogbo Blé, commandant de la garde républicaine à l’époque des faits. A peine ouvert, le procès a été reporté au 21 février prochain à cause de « difficultés sérieuses » évoquées par le président de la Cour. Notamment, l’absence de cinq des accusés sur les dix qui, «pour des raisons matérielles, ne sont pas assistés par des avocats». En rappel, c’est le 4 Avril 2011 que les quatre hommes ont été pris en otage par des sicaires du régime de l’époque à la recherche de journalistes français au Novotel d’Abidjan, et conduits au palais présidentiel. C’était au plus fort de la crise postélectorale qui opposait Alassane Ouattara au président Laurent Gbagbo, au moment où l’étau se resserrait autour de l’enfant de Mama alors retranché dans son palais présidentiel transformé pour la circonstance en bunker. Pourquoi et pour quoi ? Ce sont là, entre autres, des questions auxquelles s’attèlera à répondre la Justice ivoirienne pour essayer de faire la lumière sur cette autre affaire de disparition d’hommes sous l’ère Gbagbo. Le moins que l’on puisse dire, c’est que près de six ans après les faits, il était temps d’ouvrir ce procès pour tenter de démêler l’écheveau. A ce propos, il faut souhaiter que toutes les responsabilités soient situées pour tourner cette sombre page de l’histoire récente de la Côte d’Ivoire, qui continue d’empoisonner le climat sociopolitique en Eburnie. Tant et si bien que le pays peine véritablement à se mettre sur le chemin de la réconciliation vraie. Aidé en cela par les différents dossiers judiciaires qui se suivent et se ressemblent par l’opacité qui entoure les différentes affaires.
A voir le cafouillage qui a entouré l’ouverture de ce procès, l’on pourrait se poser des questions sur le sérieux qui a entouré l’instruction du dossier
Cela dit, saura-t-on jamais alors la vérité et toute la vérité ? Rien n’est moins sûr. Car, depuis le début des différents procès de pro-Gbagbo présumés impliqués dans des tueries, les accusés n’ont jamais formellement reconnu les faits à eux reprochés. Et l’on ne serait pas non plus étonné que Dogbo Blé et ses coaccusés empruntent la même stratégie de défense en niant systématiquement les faits, dans une affaire où beaucoup s’interrogent aussi sur la responsabilité du couple présidentiel. C’est pourquoi la Justice ivoirienne est interpellée au plus haut point, dans cet autre feuilleton judiciaire où elle joue sa crédibilité. Mais à voir le cafouillage qui a entouré l’ouverture de ce procès, l’on pourrait se poser des questions sur le sérieux qui a entouré l’instruction du dossier. En tout cas, ce sont autant de faits qui peuvent amener à se demander si ce procès a été préparé avec toute la minutie nécessaire. De quoi renforcer dans leur conviction, tous ceux qui ont le sentiment que dans ces procès post-crise électorale en Côte d’Ivoire, il y a des coupables tout désignés destinés à être des victimes expiatoires, tant les jugements sont souvent loin de permettre la levée de toutes les zones d’ombres qui entourent ces affaires. Et cela, malgré le fait que bien des partisans et pas des moindres du célèbre prisonnier de La Haye, ont tourné casaque pour se retrouver dans le camp d’Alassane Ouattara. En tout état de cause, ce ralliement d’anciens proches du père fondateur du Front populaire ivoirien à son rival, n’a pas, du moins pour le moment, permis de lever le mystère sur l’affaire Guy André Kieffer, et l’on se demande si ce ne sera pas encore le cas, dans cette autre affaire des disparus du Novotel. En tous les cas, on a le sentiment que malgré le changement de régime, les gens ne sont pas prêts à vider leur sac. Autrement, pourquoi cette omerta qui ne dit pas son nom ? Pourquoi toute cette difficulté à faire jaillir la lumière ? Y aurait-il encore dans les arcanes du pouvoir, des gens qui n’auraient pas intérêt à ce que toute la vérité se sache ? L’histoire le dira. En attendant, le président ADO serait bien inspiré de mettre un point d’honneur à vider tous ces contentieux avant de passer la main. Il y va de la cohésion nationale.
Outélé KEITA