LOOKMAN SAWADOGO, PRESIDENT DE L’ODDH, A PROPOS DES VIOLATIONS DES DROITS DE L’HOMME AU BURKINA : « Nous remettrons le rapport aux partenaires techniques et financiers »
Suite à la publication du rapport de l’Observatoire de la démocratie et des Droits de l’Homme au Burkina Faso (ODDH), le jeudi 25 mai 2017, sur la situation des droits humains dans notre pays, nous avons approché le président de cette organisation de la société civile, Lookman Sawadogo, pour mieux cerner les contours dudit rapport qui, pour le moins, tire la sonnette d’alarme.
Pouvez-vous nous présenter votre organisation ?
Lookman Sawadogo : L’Observatoire de la démocratie et des Droits de l’Homme au Burkina Faso (ODDH) est une structure créée par un groupe de défenseurs des droits de l’Homme burkinabè, qui ont chacun une longue expérience dans le domaine de la promotion et la protection des droits de l’Homme en plus d’être des leaders dans différentes organisations poursuivant depuis de longues années, les mêmes objectifs. L’ODDH a été donc mise sur pied en janvier 2017 et son but principal est d’observer les droits de l’Homme, leur mise en œuvre et leur respect de la part de l’Etat et des autres acteurs dans la société. Ce qui, au bout d’un certain temps de veille, donne lieu à l’établissement de la situation de ces droits de l’Homme dans le pays, à travers un rapport comme celui que nous venons de publier le 25 mai dernier et qui constitue le tout premier en attendant d’autres qui suivront de manière permanente, tous les six mois.
Qu’est-ce qui particularise l’ODDH des autres organisations de la société civile qui interviennent aussi dans le domaine de la promotion des droits de l’Homme ?
Toutes les organisations se valent, tant qu’elles poursuivent des objectifs allant dans le sens du bien commun et des intérêts de la collectivité, dans le respect des principes et valeurs qui sous-tendent l’activisme associatif. Chacune apporte quelque chose au combat général. Certainement que l’ODDH bénéficie d’un atout majeur, qui peut faire sa particularité. C’est d’apparaître comme une plateforme où se sont retrouvées non pas des associations pour devenir une coalition mais plutôt une structure de compétences basée sur l’expérience individuelle des membres dont l’expertise est le substrat et la ressource première qui permettent de faire de grandes choses avec une certaine maîtrise technique. Cela est un avantage et une force. Autre particularité à noter, c’est l’institution d’un mécanisme périodique de veille et d’alerte qui permet régulièrement de mettre à disposition une masse de données et d’informations sur les droits de l’Homme. Cela a l’avantage de servir de baromètre pour les acteurs et les pouvoirs publics. En général, on a des rapports annuels où des études ponctuelles qui laissent du temps s’écouler mais n’agissent pas comme des baromètres, mais souvent comme des instruments d’évaluation qui ressortent les forces et les faiblesses d’un domaine. Ici, notre mécanisme a pour principe d’alerter sur le vif, donc de répertorier ou d’identifier les manquements, abus, menaces qui ont cours sur la période concernée. C’est aussi une particularité qui apparaît comme une innovation en matière d’actions d’alerte dans notre contexte de société civile.
Vous avez publié, le jeudi 25 mai, un rapport semestriel sur la situation des droits humains au Burkina Faso. Pouvez-vous en revenir sur les grandes conclusions ?
Effectivement, le rapport fait 19 pages. C’est le résultat de l’observation des faits de violations, abus, atteintes, menaces et risques concernant dix domaines des droits de l’Homme à savoir: la liberté d’expression, la détention, la torture, l’orpaillage, l’accès à la justice et les juridictions, le foncier, les discriminations, la sécurité, les libertés publiques et démocratiques et enfin les réformes politiques. En conclusion, l’ODDH a pu constater et l’a fait savoir qu’il y a une sérieuse régression en matière des droits de l’Homme parce que le respect n’y est pas tandis que la tendance qui monte en vitesse, c’est le bafouement, la négation et la remise en cause des droits de l’Homme dans notre pays. Il y a une somme d’instruments internationaux qui sont violés au Burkina alors que le pays s’est engagé à les respecter et à les faire respecter au plan international. En la matière, c’est d’abord l’Etat qui est épinglé comme responsable des violations, parce que c’est l’Etat qui est le premier fournisseur des droits de l’Homme. C’est lui qui les protège au moyen de sa puissance publique. Or, là, ce n’est pas fait. Et vu que l’Etat est dirigé par un groupe politique qui met en place le gouvernement à charge de faire fonctionner les pouvoirs publics, le gouvernement est aussi responsable de cette situation qui n’est pas reluisante et inquiète par endroits. Du reste, l’actualité est éloquente à ce sujet. Avec les tortures des kolgweogo, les problèmes de judiciarisation dans la quête de justice, les nombreux cas de justice sommaire, l’impunité dans la gouvernance sont des faits qui crèvent l’œil et dont tout le monde se plaint parce que derrière tout ça, il y a des victimes qui sont faites. Il y a des textes nationaux et internationaux qui sont foulés au pied.
Est-ce qu’on peut savoir comment le rapport a été élaboré?
Le rapport a suivi une méthodologie assez simple qui ne fait pas attendre forcément des financements ou de gros moyens avant d’agir. Comme je le précisais plus haut, il s’agit d’un mécanisme d’alerte qui, pour ce faire, demande d’exister pour indexer des cas, des situations qui se produisent. Cela dit, nous avons basé notre travail sur la collecte d’informations sur les cas de violations dans le pays. Dans un premier temps, nous avons observé, dans les médias, ce qui se dénonce. Ensuite, nous avons demandé à des personnes ressources de certains domaines précis parmi les dix que nous avons choisis et celles-ci devaient nous faire des résumés sur la situation des droits de l’Homme dans ces domaines précis où ces personnes-là ont de l’expertise. C’est le cas par exemple de la sécurité, de la détention, de l’orpaillage, du cyber-activisme, etc. Dans un troisième temps, nous avons reçu des dénonciations à notre niveau, dont nous essayons d’établir la véracité. L’autre méthode fondamentale et très importante, c’est l’atelier de collecte d’informations que nous avons organisé le 19 avril dernier à Ouagadougou, qui a rassemblé les défenseurs des droits de l’Homme. Au cours de cette session, on a recueilli une masse de cas de violations, de menaces et d’atteintes. C’est l’ensemble de tout ce processus qui a donné le rapport que nous avons présenté. Ce qu’il faut dire, c’est que les cas sont classés par groupes de violations. C’est donc une démarche assez précautionneuse et objective, qui ne fait pas la part belle à une quelconque subjectivité. Nous sommes guidés par la vérité ; donc, les faits et actes commis et vérifiables par tous.
Ne doit-on pas parler plutôt d’un rapport alarmiste?
Je viens de démontrer que les faits sont patents et sautent aux yeux du public. Nous suivons les complaintes à travers les médias, notamment dans les journaux. Le non-respect de la présomption d’innocence, les tortures et sévices d’une autre époque pratiqués régulièrement par les Kolgweogo, ne sont pas imaginés par nous. C’est du réel. Côté justice, tout le monde suit le débat des procès où les procédures sont déviées. Alors, que dire de la justice sommaire où les citoyens se font justice eux-mêmes et détruisent par la violence les biens d’autrui ou publics ? La bastonnade d’un journaliste par un gendarme ou la brutalité subie par un avocat dans une brigade pour avoir voulu assister un prévenu en garde à vue, ou encore l’épée de Damoclès qui plane sur les cyber-activistes et autres lanceurs d’alertes arrêtés, constituent autant de faits parlants. Que dire encore? La liste est longue de faits qui justifient amplement la situation inquiétante bâtie sur le réel. Par exemple, le projet de texte de la nouvelle Constitution porte des germes de violations futures des droits citoyens des Burkinabè. Certaines dispositions ont été écrites avec subjectivisme et passion. Une Constitution ne doit pas s’écrire dans une ambiance “des uns contre les autres”. Comme on peut le constater, on n’invente rien du tout de la situation.
Vous avez indiqué votre détermination de ne pas laisser dormir ce rapport dans les tiroirs. Quelles actions comptez-vous mener dans ce sens?
Nous allons procéder au maximum par une dissémination conséquente de ce rapport auprès des acteurs nationaux, car c’est d’abord eux, les premiers concernés. Il s’agit du gouvernement, des acteurs politiques et de la société civile, du public en général et des citoyens qui font l’opinion publique. Au niveau externe, nous remettrons le rapport aux partenaires techniques et financiers qui sont sur place. Au-delà du Burkina, nous allons l’envoyer au Conseil des droits de l’Homme à Genève et au Haut-commissariat aux droits de l’Homme. Au niveau continental, nous devons envoyer le rapport à la Commission africaine des droits de l’Homme. Il y a d’autres organismes et ONG qui seront également touchés. L’idée, c’est de mettre à la disposition de tous ces acteurs des informations sur les droits de l’Homme au Burkina et accentuer la pression sur le gouvernement pour qu’il revoie sa copie au risque de se faire remonter les bretelles par les instances qui veillent au grain et pourquoi pas par les bailleurs de fonds qui sont beaucoup regardants sur l’évolution des droits de l’Homme dans les pays qui leur sollicitent des aides. Il faut savoir que les Etats violateurs et prédateurs des droits de l’Homme se voient refuser des financements à certains niveaux. C’est aussi l’enjeu de taille qui se place derrière l’obligation des pays de respecter et de faire respecter les droits de l’Homme en leur sein. Bien entendu que la stabilité, la paix et le bien-être humain dans la société dépendent aussi bien de la qualité de la gouvernance, de la démocratie et du respect des principes de l’Etat de droit. Le gouvernement burkinabè doit relever sans atermoiements les défis de ces exigences, s’il veut même donner plus de chances de réalisation du PNDES qui s’appuie sur les financements extérieurs.
Un message quelconque à lancer ?
Je demande aux acteurs et aux citoyens surtout d’accueillir le mécanisme et de se l’approprier. En effet, l’alerte que nous faisons est basée sur les dénonciations qu’ils doivent faire afin qu’on sache l’existence des violations, des atteintes et des abus en matière de droits de l’Homme. En un mot, j’appelle chacun à cultiver davantage le réflexe de la dénonciation auprès de l’ODDH, directement ou dans la presse ; cela nous parviendra. Très bientôt, nous entendons organiser une session de publication avec les partis politiques et la société civile.
Je voudrais surtout remercier et faire noter que Le Pays, votre journal, constitue pour ma petite expérience l’un des grands journaux qui sont suivis et référencés par les organismes et les défenseurs des droits de l’Homme en Afrique. On y trouve un certain penchant pour la promotion des principes des droits de l’Homme.
Propos recueillis par Drissa Traoré