BURKINA/CEDEAO: il faut éviter à tout prix le bras de fer
La Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a une nouvelle fois ressorti son sabre vendredi dernier, pour, cette fois-ci, érafler le Burkina Faso où une junte militaire a, il y a exactement une semaine, mis un terme au régime de Roch Marc Christian Kaboré. La condamnation ferme du coup de poker réussi par le lieutenant-colonel Paul Henri Damiba, et la suspension subséquente du pays des Hommes intègres de la Communauté, étaient, pour ainsi dire, un scénario écrit d’avance, l’instance sous- régionale s’étant toujours montrée particulièrement allergique à tout changement de régime par la force dans son espace. Que ses dirigeants soient hors sol par rapport aux aspirations des peuples, ne semble pas avoir beaucoup d’importance dans le cas d’espèce, l’essentiel étant, pour la CEDEAO, l’application stricte et sans nuance de l’article 1er de son protocole additionnel sur la démocratie et la bonne gouvernance, qui interdit aux militaires de s’arroger le rôle d’arbitre du jeu politique en lieu et place du peuple souverain et de ses institutions constitutionnelles. Or, ce qui s’est passé au Burkina, le 24 janvier dernier, est une entorse à ce texte, et le ballet des militaires de haut rang et des ministres des pays membres de l’instance communautaire à Ouagadougou, le samedi dernier, et ce lundi matin, pour écouter les nouvelles autorités, peut être considéré comme un prélude à une avalanche de sanctions contre le Burkina, si un accord n’est pas trouvé sur les organes de la Transition et la durée de cette dernière. Dans le même temps, c’est une perche que la CEDEAO tend aux nouvelles autorités afin qu’elles s’expliquent sur les tenants et les aboutissants de leur coup de force, et rassurent sur le retour ni laborieux ni erratique, à une vie constitutionnelle normale au Burkina Faso.
On espère que les militaires auront assez de lucidité
A défaut, elle aura la main lourde comme elle en a l’habitude, pour contraindre la junte à abandonner d’éventuelles ambitions politiques qui pourraient ne pas être compatibles avec les intérêts réels des Burkinabè. En clair, la ligne qui sera adoptée jeudi prochain par les dirigeants ouest-africains, va combiner fermeté sur les principes et réalisme politique, afin d’obtenir des putschistes une transition relativement courte qui aboutira au transfert du pouvoir à des responsables politiques civils démocratiquement élus. Cela dit, la CEDEAO doit aller « molo molo » comme on dit dans les rues d’Abidjan, pour ne pas asphyxier davantage un pays déjà sous assistance respiratoire, et qui est actuellement le plus fragile de la sous-région sur tous les plans, en raison notamment de son enclavement et de la rareté de ses ressources. Quant au lieutenant-colonel Paul Henri Damiba qui a actuellement le soutien tacite de bien de ses compatriotes qui ne savaient plus à quel saint se vouer jusqu’à son pronunciamiento du 24 janvier dernier, il doit se focaliser sur la priorité des priorités, qui est la sécurisation du territoire national comme lui-même l’a reconnu. Dans un pays dévasté comme le Burkina, en effet, vouloir corriger toutes les tares de la société et de la gouvernance, serait utopique pour un régime dit de transition. C’est la raison pour laquelle certains Burkinabè situationnistes, populistes et manipulateurs à souhait, demandent ouvertement à la junte de renvoyer le retour au jeu démocratique aux calendes grecques, même s’il faut pour cela engager un bras de fer contre les partenaires du Burkina au nom d’un nationalisme étriqué. Pourtant, faire courir au pays le risque d’être ostracisé par ces temps qui tanguent avec un embargo à la clé, compliquerait davantage la lutte contre le terrorisme pour laquelle les militaires qui sont aujourd’hui au pouvoir, se sont engagés. On espère que ces derniers auront assez de lucidité pour tenir les griots de service à distance, et pour éviter la surenchère verbale d’arrière-garde sur fond de chauvinisme de mauvais aloi, quand ils vont s’adresser aux amis et partenaires du Burkina. D’ici à la fin de cette semaine, on saura si le nouveau régime et la CEDEAO ont accordé leurs violons sur l’inévitable retour des militaires dans leurs casernes quand ils auront fini de desserrer l’étau des terroristes autour des villes et villages du Burkina, et poser les jalons d’une gestion plus saine du pays. Tout cela devra se faire évidemment dans un délai raisonnable, convenu entre l’organisation sous-régionale et le Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR) qui se prononcera au nom des forces vives de la Nation. C’est à ce prix que la pilule du putsch sera avalée par la CEDEAO qui rengainera afin de permettre au Burkina Faso de se mettre en ordre de bataille pour affronter d’autres défis.
Hamadou GADIAGA