PLAINTE DU FNDC CONTRE MAMADY DOUMBOUYA DEVANT LA JUSTICE FRANCAISE : Au-delà du symbole…
En Guinée, les couteaux sont tirés depuis quelque temps, entre la junte au pouvoir à Conakry et le Front national pour la défense de la Constitution (FNDC), une coalition d’organisations de la société civile et de partis politiques, qui dénonce « la gestion unilatérale de la Transition ». Et dans cette guerre des tranchées qui ne dit pas son nom et où les protagonistes semblent décidés à se rendre coup pour coup, chacun semble y aller de ses armes pour parvenir à ses objectifs. En effet, après les entraves par voie d’interdictions multiples et autres violentes répressions de manifestations pour faire preuve de fermeté, la junte croyait avoir résolu l’équation du FNDC en prononçant sa dissolution pure et simple, en août dernier. Mais c’était sans compter avec la détermination et la ténacité de ces croisés de la démocratie, qui s’étaient déjà posés en fer de lance de la lutte contre les velléités monarchistes de l’ex-président Alpha Condé jusqu’à sa chute dans les conditions que l’on sait. A présent, ils ne semblent pas prêts à se laisser conter fleurette par les tombeurs du professeur, dont la lisibilité de l’action à la tête de la Guinée, en vue d’un retour rapide à l’ordre constitutionnel, est devenue sujette à caution.
La question que l’on se pose est de savoir quelles sont les chances d’aboutissement d’une telle plainte
C’est ainsi que malgré sa dissolution et la répression dont elle est régulièrement l’objet, la coalition a maintenu ses manifestations pour demander plus de transparence dans la gestion de la transition. Mieux, elle a déposé une plainte, le 8 septembre dernier, à Paris, contre le chef de la junte, le lieutenant-colonel Mamady Doumbouya, pour « complicité de tortures » et « homicides volontaires » dans la répression des manifestations qui a laissé sur le carreau, une dizaine de Guinéens. La question que l’on se pose est de savoir quelles sont les chances d’aboutissement d’une telle plainte devant la Justice française d’une part, et si cela ne va pas affecter les relations entre la France et la Guinée d’autre part. La question est d’autant plus fondée qu’au-delà de la nationalité française de l’ancien légionnaire putschiste, qui en fait, aux yeux du FNDC, un justiciable devant la Justice hexagonale, on se demande quelle sera la réaction de la Justice française, dans un dossier qui engage un chef d’Etat étranger en fonction, en rupture de ban avec la légalité constitutionnelle. C’est dire si en la matière, les chances, pour le FNDC, de voir le Lieutenant-colonel Mamady Doumbouya répondre de ses actes devant la Justice française, à défaut de comparaître devant la Justice de son pays, sont bien minces. Mais dans le fond, tout porte à croire que pour la symbolique, cette plainte du FNDC contre le chef de la junte militaire au pouvoir à Conakry, est loin d’être totalement dénuée de bon sens.
Cette plainte du FNDC reste comme une épée de Damoclès suspendue sur la tête du dirigeant guinéen
Car, au-delà du symbole, cela apparaît comme une forme de résistance d’une structure qui refuse de rendre les armes du combat pour la démocratie, encore moins de mourir d’une mort dictée par des putschistes. Et en introduisant cette plainte en France, au lieu de la Guinée où elle n’avait visiblement pas de chance de prospérer, le FNDC voudrait dénoncer une Justice aux ordres du pouvoir militaire à Conakry qu’il ne s’y prendrait pas autrement. Mais au-delà, il s’agit surtout de poser un acte contre l’impunité de crimes de sang, survenus sous une transition militaire qui prétend être venue jouer au redresseur de torts contre le peuple guinéen, en le débarrassant de la dictature d’un mégalomane. Mais si c’est pour répéter les mêmes abus autocratiques à travers les mêmes restrictions des espaces de libertés individuelles et collectives, on ne voit pas en quoi Mamady Doumbouya est différent d’Alpha Condé. Toujours est-il que cette plainte du FNDC reste comme une épée de Damoclès suspendue sur la tête du dirigeant guinéen. Car, si, pour le moment, l’homme fort de Conakry peut dormir tranquille sur ses deux oreilles par rapport à cette plainte qui n’est pas près de troubler son sommeil, qui sait ce qu’il adviendra de lui quand il ne sera plus au pouvoir ? C’est dire si tôt ou tard, Mamady Doumbouya pourrait avoir à répondre de cette plainte et plus globalement, de ses actes à la tête de la transition guinéenne. C’est pourquoi, au-delà de sa personne, c’est un message à tous les dirigeants de transitions sous nos tropiques, selon lequel tout ne leur est pas permis et qu’ils doivent, par conséquent, faire attention en inscrivant leurs actions dans le sens des aspirations de leurs peuples respectifs. Autrement, ils sont peut-être forts aujourd’hui parce qu’étant au pouvoir, mais demain, quand ils n’y seront plus, ils pourraient être rattrapés par leur passé. En tout état de cause, de Bamako à Ndjamena en passant par Ouagadougou, l’histoire est pleine d’enseignements de puissants anciens chefs d’Etat africains, à l’image de Amadou Haya Sanogo, Hissène Habré, Blaise Compaoré, voire Moussa Dadis Camara dans une moindre mesure pour les massacres du 28 septembre 2009, dont le jugement semble imminent, qui ont été rattrapés par des affaires judiciaires auxquelles ils n’avaient sans doute jamais imaginé devoir répondre un jour. Mamady Doumbouya est donc prévenu.
« Le Pays »