HomeOmbre et lumièreABSORPTION DES ADMIS AU CEP 2014 EN 6e:Vers une école à deux vitesses

ABSORPTION DES ADMIS AU CEP 2014 EN 6e:Vers une école à deux vitesses


Le ministère de l’Education nationale et de l’Alphabétisation (MENA) vient de prendre une décision qui permet aux admis au CEP (Certificat d’études primaires) de la session de 2014, d’accéder à la classe de 6e. A priori, cette décision peut être saluée pour plusieurs raisons. D’abord, elle vient enlever une grosse épine du pied des parents d’élèves qui ne seront plus obligés de s’arracher les cheveux pour trouver une place dans les collèges et lycées pour leurs enfants. Ensuite, cette offre, qui tente de répondre à la forte demande des populations en matière de scolarisation, va donner des chances aux nouveaux certifiés de poursuivre leurs études au post-primaire.

 

L’absorption des admis au CEP va entraîner une explosion des effectifs

Toutefois, cette décision, qui s’inscrit dans le cadre de la mise en oeuvre de la réforme du système éducatif dont l’un des objectifs est la démocratisation de l’école, peut susciter quelques inquiétudes. L’on peut d’abord se poser la question de savoir si l’Etat dispose d’infrastructures pouvant absorber effectivement tous les impétrants du CEP de 2014. Pour pallier ce problème, des bâtiments publics en déshérence seront mis à contribution, de nouvelles constructions seront entreprises, mais cela pourrait être insuffisant pour accueillir tout ce beau monde. Si l’on prend l’exemple de la province de la Comoé qui compte 9166 enfants à absorber en 6e et pour lesquels il faut dégager 84 classes de 6e supplémentaires, l’on peut se faire une idée de l’envergure du défi qui attend l’Etat et ses services déconcentrés et décentralisés. Cette inquiétude est d’autant plus justifiée qu’avant même la prise de cette décision, notre système éducatif connaissait déjà des problèmes récurrents d’infrastructures. L’on peut donc s’attendre objectivement à ce que ce problème soit accentué, au point de retrouver dans certaines localités des élèves de 6e sur des sites de fortune atypiques tenant lieu de salles de classes. A ce problème d’ordre infrastructurel, pourrait s’ajouter un problème d’ordre pédagogique. Le problème d’infrastructures peut être amoindri par des mesures palliatives, mais les problèmes d’ordre pédagogique sont tellement délicats que pour les résoudre, on ne peut pas faire dans l’improvisation ni l’approximation.

En effet, l’absorption systématique des admis au CEP va entraîner une explosion des effectifs dans les salles de classe. Les professeurs seront confrontés à des effectifs pléthoriques dont la prise en charge pédagogique va constituer une véritable alchimie. Des innovations pédagogiques comme la pédagogie des « grands groupes » seront sans doute mises en œuvre pour gérer au mieux le phénomène, mais elles pourraient très vite montrer leurs limites au regard de la forte demande des populations. Dans ces conditions, le professeur a beau faire preuve d’ingéniosité pédagogique et didactique, il pourra difficilement amener chaque élève, au bout d’une séance d’apprentissage, à s’approprier les objectifs qu’il s’est fixés.

Cette décision risque d’être le coup de grâce à un système déjà grabataire

Le meilleur moyen pour le vérifier, c’est l’évaluation. A ce niveau, il va falloir plus que la pédagogie, pour mettre en place des instruments efficaces pour renvoyer à l’enseignant le feed-back de son cours. Par ailleurs, dans les entrées de cycle et plus généralement dans les classes du primaire et du post-primaire (6e, 5e, 4e et 3e), les apprenants ont plus besoin d’un encadrement de proximité. Or, avec les « grands groupes », pour faire dans l’euphémisme, le professeur peut être tenté, faute d’espace pour aller vers chaque élève, d’opter pour la méthode magistrale au détriment des méthodes actives et participatives qui sont fortement recommandées aujourd’hui. Les résultats en termes d’appropriation des leçons par les élèves pourraient , de ce fait, s’apparenter à une véritable catastrophe. Or, de telles catastrophes pédagogiques sont difficilement remédiables. A ce propos, l’on peut se rappeler que l’un des ratés du Conseil national de la révolution (CNR), c’est d’avoir licencié à la pelle des enseignants pétris de pédagogie pour fait de grève et de les avoir remplacés par des gens dont certains n’avaient pour seule compétence que leur capacité à seriner les slogans qui étaient en vigueur à l’époque. On a vu la suite d’une telle faute. La qualité de la formation des élèves en a pris un coup. Si on n’y prend garde, la décision d’absorber systématiquement tous les certifiés de 2014 en 6e, risque d’être le coup de grâce que l’on va porter à un système qui est déjà grabataire. Cela dit, la formation que l’on va assurer dans ces collèges à larges effectifs, pourrait être une formation au rabais, réservée exclusivement aux enfants des classes sociales les plus défavorisées. De ce point de vue, l’on risque d’aller vers une école à deux vitesses.

D’un côté, l’on aura les écoles sanctuaires, conçues pour les enfants des nantis avec de petits effectifs, et encadrés par des professeurs expérimentés. Et de l’autre, l’on aura une école digne des Bantoustans de l’époque de l’apartheid en Afrique du Sud, qui va accueillir les enfants des crève-la-faim et des rebuts de la société. C’est pourquoi l’on doit dès à présent interpeller les décideurs pour qu’ils ne sacrifient pas, par cette mesure, la qualité à la quantité, en voulant simplement l’accompagnement de certains bailleurs de fonds. L’enjeu, ici, c’est la qualité de la formation des citoyens qui, on le sait, est la condition sine qua non de l’émergence vers laquelle le Burkina veut aller.

SIDZABDA


No Comments

Leave A Comment