HomeA la uneAffaire Hissène Habré : le jeu trouble de Déby

Affaire Hissène Habré : le jeu trouble de Déby


Après avoir échoué à récuser, devant la Cour de justice de la CEDEAO basée à Abuja au Nigeria, la légitimité des Chambres africaines extraordinaires, tribunal spécial créé par accord entre la République du Sénégal et l’Union africaine (UA) pour le juger, Hissène Habré, déjà poursuivi pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité et tortures, risque de se voir signifier de nouvelles charges, et pas des moindres. En effet, l’Etat tchadien a déposé, le 25 février dernier, une lettre de constitution en partie civile, aux greffes du tribunal chargé de le juger dans la capitale sénégalaise. Ce faisant, l’Etat tchadien, qui estime que «dans l’état actuel des choses, la République du Tchad est la victime parfaite des agissements de Hissène Habré », entend ouvrir un volet économique dans son procès, aux fins de demander réparations pour le préjudice financier que le natif de Faya-Largeau lui a causé en vidant les caisses de l’Etat.

Là où l’on se perd un peu en conjectures, c’est d’abord le temps mis pour engager une telle procédure

En attendant de savoir le montant du préjudice, on peut, de prime abord, saluer cette initiative de l’Etat tchadien qui est dans son bon droit de défendre les intérêts du peuple tchadien. En cela, l’acte de Déby est un acte hautement patriotique visant à poursuivre et préserver les intérêts du peuple tchadien, si tant est que juridiquement, cette action ne soit pas contestable.

Mais là où l’on se perd un peu en conjectures, c’est d’abord le temps mis pour engager une telle procédure. Pourquoi ne s’y être pas pris plus tôt, et avoir attendu près de 24 ans après la chute de Hissène Habré pour songer maintenant à le faire, d’autant plus que c’est Idriss Déby lui-même qui l’a renversé ? Même si l’Etat tchadien avait gain de cause, l’intéressé aura eu tout le temps et tout le loisir de dissiper, de dissimuler ou de dilapider l’argent volé. Dans ce cas de figure, même si la Justice venait à lui donner raison, comment l’Etat tchadien compterait-il se faire rembourser si le mis en cause était entre-temps insolvable ? A quoi aurait servi cette action ?

Par ailleurs, pendant que le collectif des victimes se bat pour faire aboutir son action, cette autre action de l’Etat tchadien ne risque-t-elle pas de faire traîner davantage en longueur ce procès dont l’épilogue risque d’échapper à beaucoup de victimes et d’ayant-droits ?

Il ne faut pas oublier que les victimes aussi entendent, si elles ont gain de cause, être indemnisées sur les fonds de Habré

Tout porte à croire que Déby veut profiter d’un Habré affaibli pour lui porter l’estocade dans un procès qui pourrait toutefois réserver bien des surprises en termes de déballages. Toute chose qui pourrait l’éclabousser et entacher son image, lui qui a été l’une des figures de proue du régime Habré dont il a été le chef d’état-major pendant plusieurs années. De là à penser qu’il veut faire diversion et détourner l’attention plus sur les questions économiques que sur les crimes de sang, le pas est allègrement franchi, d’autant qu’il a réussi à polir quelque peu son image ces derniers temps, notamment par la bravoure de ses troupes au Mali. Est-ce cette crainte de voir leurs préoccupations reléguées au second plan, qui justifie l’attitude des avocats du collectif des victimes qui ne voient pas d’un bon œil cette décision de N’Djamena au moment où leur dossier a connu de grandes avancées ?
En tout cas, l’Etat tchadien aurait, dès le départ, engagé son action, ne serait-ce que pour le principe, au moment où les victimes se battaient aussi pour engager leur procédure, que l’on aurait mieux compris son action. Aussi, à défaut de soutenir et renforcer l’action des victimes, il serait très dommage que l’initiative de l’Etat tchadien se pose en acteur antagonique des intérêts des victimes, et que la force des revendications de ces derniers s’en trouve amoindrie.

Car, même si on peut penser que Hissène Habré a thésaurisé un vrai trésor de guerre qui lui a permis de se la couler douce pendant plus de vingt ans dans son exil sénégalais, avant d’être mis aux arrêts et placé en détention préventive fin juin 2013, il ne faut pas oublier que les victimes aussi entendent, si elles ont gain de cause, être indemnisées sur les fonds de Habré. Si l’Etat veut maintenant tout prendre, il est clair qu’il peut y avoir conflit d’intérêts dans le cas d’espèce.

En attendant de voir le fin mot de cette affaire, l’histoire nous dira si Déby s’est tiré ou non une balle dans le pied en voulant s’acharner sur son ancien compagnon.

Outélé KEITA


No Comments

Leave A Comment