HomeA la uneARRIVEE DES AFRIKANERS AU BURKINA : Ismaël A. Diallo s’en souvient

ARRIVEE DES AFRIKANERS AU BURKINA : Ismaël A. Diallo s’en souvient


L’auteur du point de vue ci-dessous réagit à la sortie médiatique de Frédéric Guirma à propos de l’assassinat de Thomas Sankara. Ismaël A. Diallo, puisque c’est de lui qu’il s’agit, qui a connu et côtoyé Sankara, dit se rappeler comme si c’était hier, l’arrivée des Afrikaners au Burkina Faso. Lisez !

 

« En 1987, les relations entre Thomas Sankara et l’ancienne puissance coloniale s’étaient si améliorées que la France n’avait aucun intérêt à son assassinat. Mme Mitterrand l’avait pris tellement en sympathie que sous son égide, elle avait encouragé des Afrikaners farouches du régime raciste d’Afrique du Sud, à venir dialoguer à Ouagadougou alors que, sauf la Côte d’Ivoire, aucun Etat africain n’acceptait l’idée de dialogue avec Pretoria. La délégation de l’Apartheid était conduite par Frederick Van Zil Slabber … »

 

Comme chaque fois que je vois une contribution de l’Ambassadeur F. F. Guirma, j’ai lu avec grand intérêt celle parue dans « Le Pays » N°6017 du 14 janvier 2015 à la page 10. Je prends cette fois la liberté de suggérer un complément d’information à la partie de son article (reprise ci-dessus en gras) concernant la visite au Faso “des Afrikaners”.

Juillet 1987 : j’étais à Casablanca à une réunion des directeurs des Centres d’information des Nations-unies en Afrique quand j’ai su par la presse qu’une délégation de l’ANC allait rencontrer une autre d’Afrikaners à Dakar. J’ai téléphoné à Thomas (Sankara s’entend) pour échanger sur ce nouveau développement, et lui ai dit : “Ce serait bien si les deux délégations pouvaient venir à Ouaga après Dakar” ; il en était informé ; la fulgurance de son esprit s’est immédiatement manifestée pour me faire dire : “Excellente idée, faisons cela. Qu’est-ce que tu proposes?” ; “Je peux m’arrêter à Dakar sur le chemin du retour, voir les deux délégations pour les convaincre de poursuivre leur chemin à Ouaga” ; “Oui! tu t’arrêtes à Dakar, tu les vois et on se reparle ; tu me diras ce qu’il faut faire de ce côté”.

La réunion des N.U. terminée le soir, j’arrive à Dakar le lendemain et m’emploie à rencontrer les deux délégations et à obtenir leur accord. Après de nombreuses questions sur le Burkina, la politique du pays sur la question de l’apartheid, la sécurité, la durée et le programme du séjour …, je téléphone à Thomas pour lui demander de dépêcher à Dakar un émissaire porteur d’une invitation officielle -signée par lui-même – à chacune des délégations. L’émissaire, (la Bobote) Bernadette Sanou, est rapidement arrivée de Ouaga à la tête d’une délégation et a remis les invitations. Je note que le gouvernement sénégalais a convenablement reçu la délégation burkinabè qui est repartie sans attendre. Je suis moi-même retourné à Ouaga deux jours avant l’arrivée des Sud-Africains.

Les deux délégations -ANC + Afrikaners- ont été reçues à leur descente de l’avion par mon humble personne (photos) ; nous les avons conduites à l’hôtel Silmandé et commencé les entretiens (a) entre elles seules, (b) avec des Burkinabè (photo). Une rencontre -assez longue- s’est tenue sur la terrasse du Palais sis à Koulouba un soir ; les Sud-Africains y ont échangé beaucoup avec le PF, expliqué les réalités sud-africaines et leurs souhaits pour l’avenir.

 

Deux petites anecdotes :

 

  1. Nous avons organisé une rencontre avec les jeunes à la Maison du Peuple. A l’occasion, nous avons donné la consigne qu’entre deux Afrikaners au moins 5 Burkinabè (Noirs) prennent place. De retour à l’hôtel, les Sud-Africains blancs ont avoué leur peur : l’un d’entre eux a dit : “J’ai eu la plus grande frayeur de ma vie, me retrouver entouré de Noirs et en minorité” ; nous en avons tous ri.

 

  1. Nous avons conduit la délégation Afrikaner au marché central Rood Wooko (c’est comme ceci que je l’écris, comme j’aime écrire Wéd’Raoogo au lieu de Ouédraogo) et les y avons promenés dans tous les sens en s’arrêtant souvent devant les étals pour parler aux gens. De retour à l’hôtel, un des Blancs s’aperçoit qu’il a perdu son portefeuille avec ses papiers d’identité, son billet d’avion et de l’argent. J’appelle Patrick, lui narre ce qui est arrivé et lui dis : “Patrick! nous ne pouvons pas laisser repartir ce Blanc-là avec l’image ternie du Faso” ; Patrick, calmement et avec un petit sourire, me répond : “J’ai des amis autour de la gare de train, si c’est un voleur qui a pris le portefeuille, ils le retrouveront, mais je ne garantis pas que l’argent y sera”.

Le lendemain, Patrick vient me voir avec le portefeuille, les papiers et de l’argent. Nous nous précipitons à l’hôtel pour – triomphalement et fièrement – remettre au propriétaire son bien. Celui-ci bat le rappel de tous les Sud-Africains, brandit le portefeuille et son contenu : pièces d’identité + billet d’avion + argent, surtout l’argent ! Il se tourne vers nous et nous demande “Comment vous qualifiez votre pays?” ; « Pays des Hommes intègres », lui avons-nous répondu ; “Vous êtes en effet des Hommes intègres! Ça, c’est mon plus beau souvenir”.

Quand j’ai rapporté à Thomas (Sankara) cet épisode, il a commenté, mi-sérieux, mi-blagueur :”Ce gars, il faut le mettre en prison et quand il aura purgé sa peine, le décorer” ; à la réflexion, on aurait dû faire exactement cela; ça aurait été une excellente leçon et une école !

Apprenant que des délégations Afrikaner et de l’ANC sont à Ouaga, J.J Rawlings, alors Président du Ghana, téléphone à Thomas et lui demande de les inviter à Accra de sa part. Les deux délégations ont accepté de s’y rendre ; pendant que nous travaillions sur les formalités, nous nous apercevons -avec l’Ambassadeur du Ghana- qu’un texte fondamental de son pays interdit d’entrée sur le territoire toute personne détentrice d’un passeport sud-africain (d’Afrique du Sud de l’Apartheid) ; alors comment faire? D’entente avec les autorités ghanéennes, nous convenons que les deux délégations vont emprunter un vol spécial Air Burkina : Ouaga-Accra-Ouaga. Arrivés à l’aéroport d’Accra, les Sud-Africains ont embarqué dans un mini-bus après quelques petits pas sur le sol ghanéen, sont allés rencontrer J.J toute la nuit durant… et retour à Ouaga ; aucune formalité à l’arrivée comme au départ d’Accra, comme s’ils ne s’étaient pas rendus au Ghana.

Ironie du sort, le Ghana ne pouvait pas ébruiter l’événement au risque de se mettre lui-même en porte-à-faux avec sa loi.

Voici ma contribution sur la visite des délégations Afrikaner et de l’ANC à Ouaga en juillet 1987. Elle ne contredit pas les propos de l’Ambassadeur F.F Guirma ; elle les complète.

 

Je pourrais apporter un éclairage additionnel sur [i] Danielle Mitterrand et le Burkina Faso (elle est venue au FESPACO 1987, accompagnée de Jacques Lang), [ii] le capitaine-neveu de Omar Bongo, promotionnaire de Thomas, [iii] Sennen Andriamirado … mais là n’est pas l’objet de cette contribution.

Si chacun(e) apporte sa part de connaissance, nous pourrons écrire la vraie et grande histoire du Faso, notre patrie.

 

Ismaël A. DIALLO

 

[email protected]

 

 


Comments
  • Ils feront tous mieux de penser à leur retraite et à transmettre ce qu’ils savent de bien à leurs jeunes frères au lieu de toujours vouloir se mettre en avant, ou laissez tout simplement des écrits à la postérité.

    9 avril 2016

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