ASSASSINATS REPETES AU BURUNDI : La violence engendre la violence
Il y a deux semaines, le général Adolphe, le patron de de la sécurité intérieure qui passait pour être le numéro 2 du pouvoir burundais, était assassiné à Bujumbura. Pendant que les autorités étaient en train de mettre aux arrêts les présumés membres du commando qui ont posé cet acte ignoble, un autre assassinat ciblé s’est produit le 15 août dernier. La victime n’est autre que l’ancien chef d’Etat-major, le colonel à la retraite Jean Bikomagu. L’infortuné, rappelons-le, était à la tête de l’armée tout au long de la guerre civile (1993-2006) durant laquelle les ex-FAB (Forces armées burundaises) dominées par la minorité tutsie, s’étaient battues contre les anciens mouvements rebelles hutus, essentiellement les ex-rebelles du CNDD/FDD (Conseil national pour la défense de la démocratie / Forces du défense de la démocratie) aujourd’hui au pouvoir.
Nkurunziza semble ne pas laisser à l’opposition d’autre choix que celui de se faire entendre par la violence
Selon le porte-parole du « Mouvement d’Arusha », Jérémie Minani, qui milite contre un troisième mandat du président Pierre Nkurunziza, l’assassinat du colonel Bikomagu pourrait être perçu comme un acte orchestré par le pouvoir en représailles à l’assassinat du général Adolphe. De ce fait, il évoque l’hypothèse de conséquences dramatiques pour le pays en ces termes : « Ça risque de provoquer une implosion de notre armée, parce que Jean Bikomagu symbolisait beaucoup de choses pour les ex-forces armées burundaises ». Il craint donc la possibilité d’un affrontement entre les ex-FAB et les forces de sécurité issues de la rébellion CNDD/FDD.
Mais au sommet de l’Etat, cette hypothèse est balayée du revers de la main. En effet, le porte-parole de la présidence, Gervais Abayeho, a tenu à assurer que « cet assassinat comme celui du général Adolphe, ne feront pas du tout retourner le Burundi en arrière, en termes de paix, de réconciliation, que ce soit au niveau de l’armée ou de la population ».
Il faut souhaiter que les jours à venir donnent raison au porte-parole de la présidence. Mais force est de reconnaître que le Burundi est plus que jamais au bord de la guerre civile. Les signes précurseurs sont déjà visibles. En effet, Nkurunziza, après son passage en force pour préserver son fauteuil, et ce, en s’asseyant sur l’accord d’Arusha grâce auquel, il faut le rappeler, le Burundi avait émergé de la nuit noire de la guerre civile pour aller à la lumière, semble ne pas laisser à l’opposition d’autre choix que celui de se faire entendre par la violence.
Cette alternative est d’autant plus envisageable que l’opposition a du mal à s’exprimer sur le terrain politique, au regard de l’interdiction qui lui avait été faite par le pouvoir, de manifester. De ce fait, elle est obligée de ruminer dans le silence ses nombreuses frustrations. Une telle situation prédispose à la guerre. Les signes avant-coureurs d’une telle éventualité, peut-on dire, sont déjà là. En effet, les assassinats à répétition dont sont victimes à la fois les hommes au pouvoir et les opposants, sont suffisamment parlants. La situation est telle que chaque Burundais, en se levant de son lit, est en droit de se poser la question suivante : à qui le tour ? Et cette question hantera les esprits dans ce pays, tant que les contradictions politiques ne seront pas résolues par le droit. Or, Nkurunziza n’est pas un homme susceptible de s’inscrire dans un schéma de résolution pacifique de la grave crise politique que vit son pays.
Il faut craindre que la situation au Burundi ne vire à une situation de déflagration totale
De toute évidence, l’homme n’a pas réussi à se débarrasser de ses habits de chef de guerre qu’il avait longtemps portés pendant qu’il était dans le maquis, pour revêtir ceux de démocrate et d’homme d’Etat. Tout laisse croire que ce n’est donc pas demain la veille qu’il va opérer cette mue. Et il est encouragé en cela par le comportement de presque l’ensemble de ses pairs de la sous-région. Tous, à l’exception du président tanzanien, passent pour être de redoutables prédateurs confirmés de la démocratie devant l’Eternel. Et ce ne sont pas les sorties timides de la communauté internationale avec à sa tête les Nations unies, dans lesquelles elle rappelle, pour se donner bonne conscience, les principes élémentaires de la démocratie, qui peuvent freiner leur boulimie du pouvoir. Les peuples de ces pays sont, de ce fait, orphelins. Ils ne peuvent compter que sur leur seule détermination à se battre pour se défaire de leurs chaînes. Il faut craindre que la situation au Burundi, qui s’apparente actuellement à une sorte de vendetta, ne vire à une situation de déflagration totale à laquelle pourrait ne pas survivre le petit pays des Grands lacs. Cette inquiétude est d’autant plus fondée qu’à la discorde politique actuelle, pourraient se greffer des considérations ethniques entre Tutsis et Hutus. Ces clivages que l’accord d’Arusha avait réglés par un savant dosage dans la répartition des responsabilités politiques entre ces deux groupes, pourraient refaire surface à la faveur de la tournure prise par les événements. Certes, ces clivages peuvent être imputés à la colonisation belge qui, pour mieux régner, avait installé le pays dans une logique manichéenne, mais il faut reconnaître qu’après les Belges, les hommes politiques du pays ont repris le relais en surfant sur cette réalité historique absurde, pour conquérir le pouvoir d’Etat. Nkurunziza, même s’il s’en défend, pourrait ne pas se gêner, pour conserver son pouvoir, de se faire passer pour le redresseur des torts subis par la communauté hutu majoritaire dont il est membre. Un tel scénario est d’autant plus à craindre que cela risque de réveiller les vieux démons de la haine ethnique chez le voisin rwandais qui, on se rappelle, avait vécu l’un des plus grands génocides de l’époque contemporaine entre 1993 et 1994.
Toute chose qui devrait interpeller la communauté internationale à agir ici et maintenant, dans le but d’éviter au Burundi de vivre un tel drame.
A moins qu’elle ne veuille, comme ce fut le cas du Rwanda, intervenir après coup, pour s’émouvoir ensuite en faisant le décompte macabre des victimes.
« Le Pays »