BOUBACAR HANGADOUMBO TOURE, MEMBRE DE LA COORDINATION DES MOUVEMENTS DE L’AZAWAD (CMA) A PROPOS DE L’ACCORD DE PAIX D’ALGER : « Nous ne voyons pas en quoi l’Algérie torpille le processus de paix»
Boubacar Hangadoumbo Touré est Secrétaire adjoint de la Coalition du peuple pour l’Azawad (CPA), vice-président de la Commission Défense de la Coalition du mouvement de l’Azawad (CMA), signataire de l’Accord de paix d’Alger. La Coalition des mouvements de l’Azawad (CMA) est constituée d’une alliance de groupes armés rebelles touareg et arabes regroupant le Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA), le Haut Conseil pour l’unité de l’Azawad (HCUA), une aile du Mouvement arabe de l’Azawad (MAA), la Coalition du peuple pour l’Azawad (CPA) et une aile de la Coordination des Mouvements et Front patriotique de résistance (CM-FPR2). Nous avons rencontré Boubacar Hangadoumbo Touré à l’occasion de la Conférence internationale sur la paix, organisée par BLM et nous lui avons tendu notre micro pour qu’il s’exprime sur la situation que vit le Nord-Mali, malgré la signature de l’Accord de paix d’Alger qui a eu lieu en 2015 entre le gouvernement, la Plateforme et la CMA.
« Le Pays » : Qu’est-ce qui bloque la paix au Nord-Mali ?
Boubacar Hangadoumbo Touré : A ce que je sache, il y a une volonté globale d’aller à la paix. Mais la paix, comme on a l’habitude de le dire dans notre jargon, a beaucoup d’ennemis. Quand une crise est généralisée, les intérêts et les visions sont divers. C’est ce qui fait traîner les choses. Sinon, on reconnaît que l’on doit vivre ensemble et dans l’équité. Alors nous devons faciliter certaines choses. Seul le compromis peut faire avancer les choses.
Que faites-vous pour que la mise en œuvre de l’Accord de paix d’Alger soit une réalité ?
On s’est battu et les mouvements signataires sont représentés dans la commission Justice et vérité. Nous avons mis le Mécanisme opérationnel de coordination (MOC) qui va regrouper les Forces armées maliennes (FAMA), les forces des mouvements de l’Azawad et les forces de la Plate-forme qui seront bientôt intégrées de façon accélérée dans les forces armées de sécurité pour assurer la sécurisation des sites de cantonenement et accompagner le retour de l’administration et des réfugiés, la sécurisation des grands axes et des villes.
Il fut un temps où c’est Ouagadougou qui gérait le dossier du Mali. Aujourd’hui, la main est passée à l’Algerie et le président Macron, lors de son dernier voyage au Mali, a non seulement rougi les yeux en disant à l’Algérie de jouer franc jeu, mais aussi dit aux chefs d’Etats africains de prendre leurs responsabilités. Que pensez-vous de cela ?
Il ne faut pas être ingrat. L’Algérie, en tant que Nation, en tant que pays voisin, a joué le même rôle que le Burkina Faso. Avant que la CEDEAO ne lui passe la gestion du dossier, elle nous a reçus et a été la première à nous poser des conditions, en tant que Mouvements de l’AZAWAD. Elle nous a dit qu’elle prend le dossier à condition qu’on ne parle ni de partition, ni d’intégrisme ou d’islamisme. L’Algérie a soutenu à 100% les efforts de la médiation et des pourparlers maliens. Nous ne voyons pas en quoi l’Algérie torpille le processus. En quoi l’Algérie est facteur du blocage ? Vous savez, quand les intérêts divergent, il y a des problèmes. Il y a des dessous mais nous, nous voulons un dénouement de la situation pour l’intérêt du Nord-Mali, pour l’intérêt du Mali et pour l’intérêt de l’Afrique.
Selon vous, que veut dire Macron ?
La France est un partenaire du gouvernement du Mali. Donc, la France ne s’est pas ingérée. On lui a demandé de venir au Mali. Elle sait ce qu’elle cherche, elle sait ce qu’elle vise. L’Algérie défend son dossier. Il y a des interférences. A l’international, on observe le dossier du Mali comme vous et on se garde de trop avancer là-dedans. A mon avis, je ne vois en aucun moment un quelconque blocage venant de la part de l’Algérie. Si tous les pays avaient décidé d’accompagner l’Algérie, on n’en serait pas là. Les premiers fonds pour l’accord à travers le Comité de suivi de l’Accord (CSA), s’élèvent à plus de 560 millions. La France n’a pas mis la main à la poche. L’Algérie a décidé de prendre en charge les sites de cantonnements. Chaque site dépasse 2 milliards de F CFA.
Alors, qu’est-ce qui empêche l’application de l’Accord d’Alger ?
Le problème, c’est l’argent. Le décaissement est lent. L’Etat n’a pas les moyens et ceux qui ont décidé d’accompagner le Mali, tardent à mettre la main à la poche.
Pendant ce temps, la situation se dégrade. Pensez-vous que le retard accusé dans l’application de l’Accord d’Alger ne va pas engendrer d’autres problèmes ?
Oui. Cela nous fait peur. Quand vous n’occupez pas un terrain, d’autres vont vous devancer. C’est comme quand on veut déloger les gens du camp de Kidal. Je dis d’accord, mais le camp est occupé par d’autres personnes qui l’ont pris par la force. Attendez que l’on reconstitue les forces.
Pouvez-vous parler clairement ?
Je parle du combat qui a eu lieu le 23 mai à Kidal, entre l’Armée malienne et la CMA. Mais c’est la CMA qui a délogé les Forces armées maliennes. Et c’est nous qui occupons les lieux. Nous sommes un condensé de tous les mouvements de l’AZAWAD.
Plus le temps passe, cela vous arrange puisque cela vous permet d’aménager vos troupes sur le terrain
Cela ne nous arrange pas. Vous savez, nous ne sommes pas des bandits. Nous aspirons à la paix. Nous sommes conscients de ce que vivent nos parents, nos familles dans les camps de réfugiés.
Pourquoi assiste-t-on à une prolifération des narco trafiquants dans la zone que vous occupez ?
Mais qui doit redéployer les gens ? C’est le Mali ? C’est la patrouille mixte ?
Pensez-vous qu’actuellement la Communauté internationale prend la situation du Mali à cœur ?
Nous n’avons pas vu la Communauté internationale. S’agissant des Nations unies ou quoi ? Dans tous les cas de figure, je pense que les mouvements et l’Etat du Mali sont en train de faire en sorte qu’il y ait une véritable normalisation. Que le drapeau du Mali flotte partout.
Mais c’est ce que l’Etat malien veut aussi ?
Si c’est ce que l’Etat malien veut, alors allons-y et très vite.
Mais Iyad Ag Ghali est-il le problème ou la solution ?
Nous, nous avons dit qu’il faut se parler. En se parlant, on peut amener l’autre partie à la raison. Iyad est un être humain. La Conférence d’entente nationale nous a ordonné de parler avec lui. Elle a instruit l’Etat malien de parler avec Iyag et Amadou Koufa. Il faut que les gens fassent beaucoup attention. Est-ce que ce n’est pas un embrasement que les détracteurs du Mali veulent ? Il y a des trucs qui sont très embarrassants. Si Koufa a des moyens, ce n’est pas le Burkina Faso qui les lui a donnés, ce n’est pas le Mali qui les lui a donnés. Alors, où est-ce qu’il les a eus ? Comment nourrit-il ses hommes ? Les fonds dont il dispose passent par où ? Donc, il y a lieu de mener des investigations sérieuses pour savoir. C’est pour cela que je pense que c’est sa communauté qui est derrière lui ou c’est l’Occident. Je me réfère à une chanson célèbre de Tiken Jah qui dit : « allez dire aux hommes politiques d’enlever nos noms dans leur business parce qu’on a tout compris ». Que celui qui veut faire son business laisse
l’islam et les chrétiens tranquilles. Il n’a qu’à laisser la CMA. J’ai horreur d’être manipulé et instrumentalisé. Je n’aime pas cela. C’est mon sang qui ne le tolère pas. Si par exemple il y a de l’or à Kaya et que tu veux l’exploiter, tu n’as pas besoin de créer une rébellion pour tuer 100 millions de personnes. On n’est pas pro quelqu’un. On est pro-équité. Tant qu’il n’y aura pas d’équité entre le Nord et le Sud, il n’y aura pas de paix.
Que répondez-vous à ceux qui disent que le Nord-Mali a reçu beaucoup d’investissements de la part du gouvernement ?
C’est faux. Ils n’ont qu’à nous montrer les preuves et on va leur prouver que ces fonds qui portent nos noms, sont rapatriés après. C’est pour cela que nous avons demandé de mettre les chefs d’exécutifs régionaux. Et que nous avons demandé que ces chefs d’exécutifs remplacent les gouverneurs de région qui doivent être élus le même jour que le Président de la République et même que celui-ci ne pourra rien contre un chef d’exécutif régional qui commande les forces armées de sa région, et gère les finances de sa région.
A quand le retour de l’Etat à Kidal ?
L’Etat est déjà à Kidal parce que Kidal a un gouverneur et le président de la commission nationale du désarmement s’est rendu à Kidal. Il y a eu un dénouement et les mouvements de la CMA sont prêts à libérer toutes les positions. Mais tout cela doit se faire dans les règles de l’Accord, étant donné que le cantonnement n’a pas eu lieu. C’est une position de pré-cantonnement des forces de la CMA. On ne peut pas déloger quelqu’un de ses positions militaires qu’il a préparées pour sa propre sécurité parce qu’aujourd’hui, nul n’est à l’abri des frappes des terroristes.
Ouagadougou a été aussi victime des attaques terroristes. Comment avez-vous vécu cela ?
Nous avons déploré cela. La CMA a fait un communiqué pour condamner cet acte barbare et odieux contre le peuple du Burkina Faso. Ce qui est arrivé au Burkina Faso nous a tous choqués, indignés. Nous prions pour l’âme des défunts. Nous avons vu un peuple modèle, sans hypocrisie, un peuple travailleur, sobre, un peuple debout malgré les adversités de la nature. Le Burkina Faso a changé bon nombre d’entre nous en termes de moralité, de bravoure et d’abnégation à aller au travail. On a vu un peuple qui n’a rien que son potentiel humain et avec cela, il n’est pas dernier. Ils ont créé la force du G5 Sahel mais cette force ne va reposer que sur les forces du Burkina Faso. Je m’excuse de frustrer des gens, mais rien qu’à voir les positions militaires sur le terrain, là où on parle de terrorisme, c’est là-bas que sont les forces burkinabè, à savoir Tombouctou et Kidal. Les Burkinabè sont au cœur du danger et j’y ai rencontré des femmes officiers. Châpeau-bas pour cette force.
Propos recueillis par Françoise DEMBELE