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CEDEAO/ JUNTE MALIENNE


Le quatrième sommet extraordinaire des chefs d’Etat et de gouvernement  de la CEDEAO s’est tenu à Accra, le 9 janvier 2022, avec au menu la situation du Mali. Sans surprise, de nouvelles sanctions ont été prises pour faire pression sur la junte au pouvoir à Bamako dans le but de la contraindre au respect des exigences de la CEDEAO concernant notamment la durée de la période de Transition. La CEDEAO avait donné dix-huit mois à la junte pour l’organisation des élections.

A l’issue des Assises nationales de la refondation (ANR) du 30 décembre 2021, la date de l’élection présidentielle a été fixée à décembre 2026. Ce qui porte la durée de la Transition à six ans et demi. Il y a donc une incompréhension totale entre la CEDEAO et la junte. Pour la CEDEAO, une si longue période de transition est totalement inacceptable et c’est prendre le peuple malien en otage pour les cinq prochaines années. En conséquence, elle a durci sa position en décidant d’imposer au Mali, des sanctions quasi insurmontables comme le rappel des ambassadeurs des Etats de la CEDEAO au Mali, la fermeture des frontières terrestres et aériennes, la suspension de toutes les transactions commerciales entre les pays de la CEDEAO et le Mali à l’exception des produits pharmaceutiques et médicaux et les produits de première nécessité, le gel des avoirs du Mali dans les Banques centrales et commerciales de la CEDEAO et la suspension du Mali de toute aide financière des institutions financières de la CEDEAO, (BIDC et BOAD). Ces sanctions sont immédiatement applicables.

On se rappelle qu’en 2012, après le coup d’Etat du capitaine Ahmadou Haya Sanogo contre le président Ahmadou Toumani Touré, ce sont les sanctions de la CEDEAO qui avaient amené le capitaine putschiste à quitter le pouvoir. En quelques jours seulement, la fermeture des frontières avait commencé à peser lourdement sur la vie économique et sociale du Mali. Certes, comparaison n’est pas raison. Le Mali de 2012 n’est pas le Mali de 2022 et Assimi Goïta n’est pas non plus Ahmadou Sanogo. Que va-t-il donc résulter de ce nouveau bras de fer entre la CEDEAO et une junte malienne ?

 

La situation actuelle offre au Mali l’occasion de se retourner sur lui-même pour prendre son destin en main

 

Les autorités maliennes dénoncent l’illégalité des mesures prises et répliquent en appliquant la réciprocité. Elles annoncent aussi la fermeture de leurs frontières et le rappel de leurs ambassadeurs accrédités dans les pays de la CEDEAO et appellent l’armée à la mobilisation contre toute éventualité de déploiement de forces étrangères contre le Mali. Le ton est donc donné. Apparemment, les autorités maliennes n’entendent pas céder. Mais ont-elles les moyens de résister longtemps ?

Certes, par rapport à la CEDEAO, le Mali est moins enclavé que le Burkina. Il a une ouverture sur la Mauritanie et l’Algérie qui ne sont pas de la CEDEAO. Mais le désert algérien est essaimé de terroristes et la sécurité du transport terrestre, est loin d’être garantie. La Mauritanie semble plus sécurisée actuellement. Mais le petit port de Nouakchott pourra-t-il supporter le poids des échanges commerciaux du Mali qui se font actuellement à travers les ports de Dakar, Abidjan, Téma, Lomé et Cotonou ? A moins de compter aussi sur la junte guinéenne qui pourrait se désolidariser de la CEDEAO dans ce bras de fer, le Mali est parti pour connaître des premiers moments très difficiles.

Par fierté et par orgueil, des Maliens se disent solidaires de la junte et prêts à résister. Mais que valent l’orgueil national et la fierté face aux réalités de la vie ? Evoquer les empereurs du Mali comme les Soundiata Kéita, etc., n’est ici d’aucune utilité. Car, non seulement les époques ont changé, mais aussi les Maliens actuels, surtout ceux des grandes villes qui font l’opinion et qui s’adonnent à la consommation des produits étrangers, ne sont ni de la même trempe ni du même tempérament que ceux du temps des empereurs.

La situation actuelle offre au Mali l’occasion de se retourner sur lui-même pour prendre son destin en main et bâtir son économie et ses perspectives en fonction de ses besoins et de ses aspirations. Pour cela, les Maliens devraient accepter de vivre en fonction de leurs réalités, de produire et de consommer malien, de limiter les échanges commerciaux, notamment ceux portant sur les produits occidentaux non indispensables, de réorienter leur diplomatie, de cesser de regarder ailleurs. Sont-ils prêts à cela ? La junte a-t-elle la vision et le soutien nécessaires pour une telle politique de rupture ? C’est là toute la question. A défaut, sous le coup des sanctions, un autre coup d’Etat ou une violente implosion sociale pourraient emporter la junte à moins que celle-ci choisisse de se réfugier dans l’autocratie.

Cela dit, la CEDEAO aussi joue sa crédibilité dans cette affaire. Si les autorités maliennes tiennent bon et réussissent le pari de se passer des sanctions et de tracer leur voie de façon autonome, ce sera un échec cuisant pour la CEDEAO qui pourrait ne pas survivre à une telle hypothèse. Beaucoup ont déjà l’impression que la CEDEAO se focalise sur de faux problèmes pour ne pas avoir à s’attaquer aux vrais. L’organisation des élections n’est pas une fin en soi, surtout quand on sait comment elles se déroulent dans nos pays. Et ce n’est pas parce qu’un pouvoir serait issu d’un coup d’Etat qu’il ne pourrait pas répondre aux aspirations du peuple. Rien ne dit que la junte malienne serait incapable de jeter les bases pour l’avènement d’institutions fortes au Mali et pour un développement solidaire et harmonieux. Pour cela, en effet, il lui faut le temps nécessaire. Un régime de transition escamotée peut faire plus de mal que de bien, et c’est peut-être ce que veut éviter la junte.

Quand des chefs d’Etat manipulent les Constitutions pour se maintenir au pouvoir, la CEDEAO est aux abonnés absents. Quand il s’agit de promouvoir réellement le commerce intracommunautaire et de rendre effectifs la libre circulation et le libre établissement des citoyens dans les pays membres, elle traine les pieds. L’impression est  alors qu’elle ne serait qu’un instrument au service de ses bailleurs de fonds que sont les Etats occidentaux.

Dans un tel contexte, la victoire éventuelle de la junte malienne sur la CEDEAO pourrait apparaître comme une lueur d’espoir pour les Africains qui voudraient se passer des carcans qui les enserrent pour tracer leur propre trajectoire.

 

                                                                                        Apolem

 


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