HomeOmbre et lumièreCHU-YALGADO OUEDRAOGO : Le calvaire des dialysés

CHU-YALGADO OUEDRAOGO : Le calvaire des dialysés


Des coups de fils de malades souffrant d’insuffisance rénale pour nous informer de la situation qui prévaut au Centre hospitalier universitaire national Yalgado Ouédraogo (CHU-YO) à propos d’une rupture de kits de dialyse depuis en gros une semaine. Nous avons donc effectué une visite ce mercredi 9 décembre 2015 au CHU-YO, plus précisément au service de néphrologie, pour toucher du doigt les problèmes que vivent les insuffisants rénaux au Burkina Faso.

 

En poussant la porte de l’une des vastes salles qui servent à faire la dialyse, un léger frisson nous parcourut le dos. En effet, c’était notre première fois de rentrer dans une salle de dialyse. Une vingtaine de malades couchés de gauche à droite branchés à de grosses machines qui crépitent. Des femmes et hommes en blouses blanches portant des protège-nez allant de patient en patient, vérifiant les machines et prenant la tension de chaque patient. Pour cette séance de dialyse, ils étaient 18 malades branchés pour 4 heures mais ils avaient presque épuisé les quatre heures puisque le groupe qui doit les remplacer était déjà là. Et un des leurs procédait à l’appel des candidats à la dialyse comme on le fait en classe ou pour la proclamation des résultats. Mais cette fois-ci, ceux dont on appelait les noms ne pouvaient pas sauter de joie mais quand même ils étaient soulagés parce qu’ils allaient être libérés d’un poids. Des lits sont enfin libres pour eux. C’était à leur tour. Oui, il faut attendre son tour pour faire la dialyse. Ceci lève un peu le voile sur les difficultés auxquelles font face les malades souffrant d’insuffisance rénale. « Nous les malades, nous souffrons beaucoup. Depuis une semaine, je n’ai pas été dialysé. Alors que sans dialyse, je ne peux rien faire parce que j’ai mal des orteils à la tête. Je suis employé de commerce mais depuis avant-hier (ndlr : lundi), je ne suis pas allé au travail parce que je ne me sens pas bien et seule la dialyse peut me soulager », affirme un patient malade depuis 13 ans, souhaitant garder l’anonymat. Assis sur le lit, branché à une machine, il poursuit : « Au niveau de la dialyse, il y a trop de problèmes. Il y a des produits qu’il faut associer à la dialyse, mais nous ne les avons pas ici. Normalement, nous devons faire la dialyse deux fois par semaine mais nous ne faisons qu’une fois par semaine. Alors que sur les cartes de dialyse, c’est mis deux fois par semaine et même que sur nos certificats médicaux, il est écrit que nous faisons la dialyse deux fois par semaine alors que nous bénéficions de la dialyse tous les cinq jours. Nous on ne peut pas le supporter ». L’agent commercial, lui au moins est logé à une bonne enseigne par rapport à Z.M qui, elle, attend patiemment son tour. Assise à même le sol et adossée au mur, elle mangeait tranquillement le sandwich qu’elle s’est fait acheté avec une boisson gazeuse. A la question de savoir si elle n’était pas soumise à un régime alimentaire, elle répondit par l’affirmative mais signifia que « le régime était exigeant et cher ». Z.M était en compagnie d’autres patientes, elles aussi assises sur un pagne qu’elles ont étalé à même le sol. A la question de savoir combien Z.M débourse pour la dialyse elle dit laisser le soin à l’administration de nous le dire parce que les sommes déboursées divergent d’un malade à l’autre. « Ce qui est sûr, dit-elle,  je ne rentrerai pas à la maison sans être dialysé. Même si c’est demain, nous attendrons. Nous ne pouvons pas rentrer à la maison avec cette souffrance », confie-t-elle. La souffrance, elle se lisait sur le visage des patients, mais ils sont obligés d’être patients tout en gardant l’espoir de se faire dialyser. Au CHU-YO, deux grandes salles accueillent les malades qui font la dialyse. Et dans chaque salle, il y a un personnel soignant qui s’active pour permettre aux malades de faire la dialyse dans de bonnes conditions. Sayouba Tapsoba est infirmier d’Etat et fait partie de ce personnel soignant. «Par jour nous branchons trois groupes de malades. Aujourd’hui, (ndlr :mercredi), c’est le groupe 5. Et ce groupe est subdivisé en sous-groupe A, B et C. Si les malades sont fonctionnels, chaque malade a droit à quatre heures et nous commençons à brancher les malades à partir de 6h du matin. Nous descendons à 14h et une autre équipe monte pour descendre aux environs de 22h », affirme-t-il. Sans même que je lui demande les difficultés qui ralentissent le travail, Sayouba Tapsoba poursuit: « Sinon il y a trop de problèmes. On n’a pas assez de machines. Ce sont les deux salles qui accueillent tous les malades du Burkina Faso et nous n’avons que 28 générateurs pour 313 malades. Et chaque jour que Dieu fait, on découvre de nouveaux cas. Et supposons qu’on ajoute 1 malade et l’heure de descente n’est plus à 22h parce qu’il faut y ajouter 4h. Alors qu’à un moment donné, on est tous fatigués et on ne tient plus. En plus, s’il y a rupture, on traite quelques urgences et on s’asseoit sans rien faire». Pendant ce temps, certains malades venus des autres provinces du Burkina et qui n’ont pas de logeurs dorment dans les couloirs du service de néphrologie. « Le problème est sérieux », souligne Robert Bibia Sangaré, Directeur général (DG) du CHU-YO. “Il y avait rupture mais depuis hier soir (ndlr :mardi 08 décembre) tout est rentré dans l’ordre parce que nous avons reçu 4 000 kits de dialyse. Nous avons un gros problème. Aujourd’hui l’insuffisance rénale prend des proportions inquiétantes, c’est malheureux mais c’est la réalité. Pratiquement 60 à 70% des malades qui arrivent aux urgences sont des insuffisants rénaux de telle sorte que le rythme de la consommation des kits augmente de façon vertigineuse. Et en matière de dialyse, il suffit de 5 à 10 malades pour fausser les calculs. Pendant ce temps l’Etat n’affecte qu’un milliard aux achats des kits de dialyses. En plus la procédure pour l’acquisition des kits est très lente. C’est pourquoi un décret allégeant les procédures d’acquisition de certains médicaments avait été pris en juillet 2014. Mais jusqu’à présent, il n’est pas appliqué. Nous faisons face aux mêmes lourdeurs administratives. Tout ceci contribue à provoquer des tensions de stock», précise-t-il. Mais il se trouve que les problèmes du service de néphrologie ne se limitent pas seulement à la rupture en kits. Il y a aussi le problème de ressources humaines. « Nous n’avons qu’un seul spécialiste en néphrologie qui, d’ailleurs, va à la retraite l’année prochaine. Nous avons deux autres jeunes médecins mais ils sont en spécialisation », ajoute le DG du CHU-YO. Pour résoudre les problèmes du service de néphrologie, Robert Bibia Sangaré préconise de voir à la hausse le budget en 2016 afin d’augmenter la commande de kits pour la dialyse. En passant, le DG a signalé que la séance de dialyse ne coûte que 15 000 F CFA. Il invite par ailleurs l’Etat à mettre en application le décret qui allège les procédures d’acquisition de certains médicaments tels que les kits de dialyse et l’oxygène. Pour terminer, Robert Bibia Sangaré, DG du CHU-YO souhaite qu’il y ait beaucoup plus de spécialisation en néphrologie afin d’endiguer le problème de ressources humaines. Et nous avons eu la chance de nous entretenir avec le seul spécialiste en néphrologie du CHU-YO, pour ne pas dire du Burkina Faso, Pr Adama Lengani. Il relève d’ailleurs que l’insuffisance rénale n’est pas une maladie, mais est la conséquence de plusieurs maladies comme l’hypertension, les angines, les caries dentaires et les maladies de la peau. Raison pour laquelle il faut diagnostiquer correctement toutes ces infections très tôt et que l’on fasse un traitement adapté avec une durée suffisante. Pour prévenir l’insuffisance rénale, le professeur conseille « d’avoir une hygiène de vie saine pour ne pas devenir hypertendu, obèse, diabétique. Et quand on a une maladie chronique, on doit se faire suivre correctement et éviter de prendre des médicaments au hasard parce que beaucoup de médicaments ont une toxicité rénale. Il faut aussi éviter les médicaments de la rue ». Pr Lengani a tenu à attirer l’attention de la population par rapport à ceux qui disent pouvoir guérir le diabète ou l’hypertension : « ce n’est pas vrai », martèle-t-il. Ce sont des médicaments toxiques qu’il faut éviter. En plus, il a déconseillé les produits dépigmentants qui sont aussi toxiques pour les reins. Pour terminer, Pr Lengani préconise « de surveiller la tension artérielle et de faire un bilan de santé ».

Françoise DEMBELE

 


No Comments

Leave A Comment