HomeRencontreCOLONEL-MAJOR TAMISIE BONZI : « Je n’ai pas envie de faire carrière au PDIS »

COLONEL-MAJOR TAMISIE BONZI : « Je n’ai pas envie de faire carrière au PDIS »


Les populations délocalisées du barrage de Samandeni ont manifesté le jeudi 25 février 2016 pour exprimer leur mécontentement. Parmi les points de revendications, on note, entres autres, la restitution des retenues de 20% sur leurs indemnisations et le départ du coodonateur du PDIS, le Colonel-major Tamisié Bonzi. Nous avons rencontré ce dernier pour comprendre le fond du problème. Lisez !

« Le Pays » : Les populations touchées par la construction du barrage ont marché. Quelles réponses avez-vous à donner ?

Tamisié Bonzi : Je remercie la population pour cette manifestation pacifique, qui fait partie des modes d’expression accordés aux citoyens dans une République. Les revendications des populations ont été transmises à l’administration, il y a un certain temps, et comprenaient un certain nombre de points. Nous, au niveau de la coordination, avons estimé que la majorité de ces préoccupations était pertinente. Ce sont d’ailleurs les mêmes préoccupations que nous avons dejà posées auprès des autorités compétentes comme problèmes à résoudre pour faciliter le déplacement et la réinstallation de la population. De ce point de vue, nous ne pouvons que nous féliciter de voir les populations elles-mêmes poser ces points de revendications auprès des autorités. Par exemple, sur la
question d’eau, nous sommes d’accord avec elles que sur le site d’accueil, la fourniture en eau potable n’est pas suffisante par rapport aux besoins exprimés. J’informe que nous sommes en train de nous battre au niveau de la coordination pour obtenir des autorités, le financement de la réalisation d’adductions d’eau simplifiées sur les sites d’accueil. Nous sommes aussi d’accord qu’il faut indemniser ceux qui n’ont plus de terres cultivables. C’est leur moyen de production ; ils ne peuvent pas les perdre sans compensation. Ce sont des besoins que nous avons mentionnés dans notre demande de financement adressée à nos autorités. Nous reconnaissons aussi que les sites qui peuvent être inondés par l’eau du barrage doivent être désenclavés. En realité, nous sommes d’accord avec les populations sur la majorité des points de revendications et nous en faisons même nôtres. Nous, nous n’utilisons pas le terme « revendication » à l’égard de nos supérieurs hiérarchiques. Pour nous, ce sont des doléances ou des besoins que nous exprimons. En somme, nous parlons le même langage.

Qu’en est-il des prélèvements de 20% sur les indemnisations ?

Je souligne que lorsque nous avons pris le programme en main et que nous avons reçu le document dans lequel était défini le taux d’indemnisation, sans même consulter les populations, nous avons estimé que ce taux était faible. On indemnisait, par exemple, une maison en banco de dix tôles à 75 000 F CFA. C’est ainsi que nous avons recruté un architecte spécialisé pour réévaluer les
reconstructions selon les normes appliquées au plan national, afin de ne pas léser les populations. Alors qu’il était prévu initialement un milliard sept cent millions de F CFA pour indemniser les populations par rapport à la reconstruction, après la réévaluation, nous sommes passés à quatre milliards deux cent millions. Nous avons estimé le coût des matériaux à environ 31 % du montant des indemnisations. Pour faciliter la reconstruction aux populations, nous leur avons proposé de mettre les 20% de leur indemnisation dans un panier commun pour faire des commandes groupées de matériaux. Cela coûtera moins cher. Chose qu’elles ont acceptée. Et c’est mentionné sur la fiche indivuduelle d’évaluation d’indemnisation de maison de chacun, ainsi que dans le protocole. (Pour l’occasion, des exemplaires de fiche et de protocole nous ont été presentés où figurait bel et bien cet accord sur les retenues de 20%). Ces sommes ont été versées dans un compte ouvert au nom de trois personnes que sont le président, le sécrétaire et le trésorier du CVD. Par conséquent, le compte est celui des populations et non du PDIS. Ils ont ensuite passé des marchés avec des prestataires. Etant donné que dans chaque compte, on pouvait se retrouver avec une centaine de millions, il était donc nécessaire de prendre des précautions pour ne pas laisser l’argent de tout le village à la portée de quelque trois personnes.

En quoi consistaient ces précautions ?

Lorsque les populations lancent une commande et que les matériaux sont livrés, elles établissent un décompte. Et sur la base de ce décompte, les trois personnes signent une fiche de sortie de fonds. La fiche et les pièces justificatives sont ensuite soumises à l’approbation et à la signature du responsable de service environnemental et social du PDIS qui pilote le processus. Enfin, elle est signée par le coordonnateur du PDIS. C’est après cela qu’elles procédaient au retrait de l’argent. Pour ne pas que les gens nous contournent pour aller prendre de l’argent à d’autres fins, nous avons décidé de garder les carnets au niveau du PDIS. Chaque sortie d’argent était conditionnée par l’établissement de cette fiche en trois exemplaires réparties entre le CVD, la caisse et la coordination de PDIS. S’il y a des problèmes, que chacun accepte d’assumer sa part de responsabilité ! Voilà une gestion transparente !
Comment peut-on demander à la coordination de rembourser une telle somme ?

Croyez-vous que les populations trouveront satisfaction à leurs préoccupations avant la mise en eau du barrage en juin ?

Je ne sais pas combien de rapports j’ai adressés aux autorités pour dire que la mise en eau du barrage est conditionnée par la résolution des problèmes des populations ! Le déplacement des populations est une condition sine qua non pour la mise en eau du barrage. J’ai voulu faire passer le message à nos autorités, qu’il n’est de l’intérêt de personne de continuer à voir la mise en eau du barrage retardée. Parce que cela aura plusieurs conséquences néfastes. D’abord, un chantier qui traîne, son coût ne fait qu’augmenter. Ensuite, nous avons emprunté de l’argent aux bailleurs de fonds pour construire ce barrage et ceux-ci ont accordé les prêts avec un différé de cinq ans. Pourquoi ? Parce qu’ils se disent que nous allons prendre cinq ans pour construire le barrage, et qu’à partir de cinq ans il commencera à produire des fruits qui permettront de rembourser les prêts. Mais si on laisse le temps passer, cela signifie que nous allons chercher de l’argent ailleurs pour rembourser les bailleurs de fonds. Nous, à la coordination, nous avons pour souci de faire en sorte que tout le monde prenne des dispositions pour qu’on puisse faire la mise en eau du barrage le plus tôt possible.

Quel est le taux de réalisation des travaux ?

Nous sommes autour de 92%. Techniquement en 2016, la mise en eau est possible. Nous n’avons pas encore fermé le nid du fleuve ; si nous commençons à fermer le nid, c’est comme si nous avions commencé le processus de blocage de l’eau. Donc, c’est là que nous nous sommes arrêtés. Nous ferons tout travail qui ne gênera pas le passage de l’eau. Si le gouvernement donne des réponses satisfaisantes aux populations, et si la réinstallation des populations est possible, nous dirons à l’entreprise de continuer les travaux. Mais nous rappelons que la mise en eau dépend de la résolution des problèmes sociaux des populations.

Vous avez demandé à partir avant la fin des travaux ; n’est-ce pas une façon de jeter l’éponge ?

En avril 2015, quand j’ai demandé à partir, j’ai été reçu par le Ministre d’alors à qui j’ai exposé les raisons de ma décision. Je suis un Colonel de l’armée à qui on a confié une mission. Chez nous, on dit : « une mission, des moyens ». Je devais construire un barrage dans le cadre de la première phase de PDIS qui devait durer cinq ans. Celle-ci devait se terminer en fin 2014. Par conséquent, pour moi, je venais faire cinq ans et repartir faire autre chose. Contrairement à ce que les gens pensent, je n’ai pas envie de faire carrière au PDIS. Je suis venu pour une mission ponctuelle qui devait finir en 2014. Pour des raisons indépendantes de ma volonté, généralement liées à la difficulté de mobiliser les ressources nécessaires à mettre à la disposition des prestataires, et à la lourdeur des procédures administratives, celle-ci n’est pas finie. Figurez-vous, on vous nomme coordonnateur du PDIS et 70% des décisions qui influent sur la marche de votre projet sont prises au niveau de l’administration centrale. Donc, je n’ai pas tous les leviers entre les mains, et cela fait que je ne me sens pas comptable du fait que la mise en eau n’a pas eu lieu en 2014 et qu’on a dû la reporter en 2015. Pour les mêmes difficultés persistantes, on n’a pas pu la faire en 2015, elle a été reportée en 2016. A l’époque, j’ai dit au Ministre de tutelle que même en 2016, ce n’est pas sûr que ça soit possible. Et ma réputation est en train de prendre un coup. On croira que c’est moi qui suis incapable de faire le travail. Pourtant, je me connais, je n’ai pas envie de continuer à voir ma réputation prendre un coup pour des choses dont je ne suis pas responsable. Si vous n’êtes pas en mesure de me donner les moyens nécessaires pour faire le travail, vous me laissez partir. Le Ministre m’a demandé d’attendre la fin de la Transition. J’ai encore alerté les supérieurs en novembre de me libérer au plus tard le 31 décembre 2015, mais ils m’ont convaincu d’attendre le nouveau gouvernement. Et le 3 février encore, j’ai envoyé la troisième correspondance pour qu’on me libère au plus tard le 1er mars 2016. Si après tout cela, on marche pour me demander de partir, j’ai l’impression qu’on est en train d’enfoncer des portes déjà ouvertes. Si ce n’était que moi, le problème de Samandeni serait réglé, il y a longtemps !

Quel message avez-vous à l’endroit des populations ?

J’ai toujours dit aux populations que nous les comprenons. « Nous savons que vous avez à faire face à des difficultés. La coordination de PDIS est en train de se battre à vos côtés pour vous aider à résoudre ces problèmes que nous trouvons pertinents. Mais nous vous disons également que la composante déplacement et réinstallation des populations est malheureusement supportée par le budget national. Les bailleurs de fonds n’interviennent pas dans cette affaire. Tout le monde connaît les conditions de notre pays ! Quelle que soit la volonté de nos dirigeants, la limitation des ressources fait qu’ils ne peuvent pas vous donner tout ce qu’il aurait fallu vous donner pour compenser à 100% vos pertes. Même ce qu’ils peuvent vous donner, ils ne peuvent pas tout vous donner tout de suite. Donc, revendiquer ce qui vous semble être vos droits légitimes, c’est normal, mais ne soyez pas maximalistes et ne vous attendez pas à ce qu’on fasse tout, tout de suite ! » C’est pourquoi nous leur disons de rentrer dans un processus de dialogue avec le gouvernement pour qu’ensemble, des priorités soient fixées en fonction des moyens que ce dernier peut mobiliser. Pour terminer, je rassure les populations que la coordination du PDIS, avec ou sans le Colonel-major Bonzi, sera à leurs côtés pour être leur défenseur auprès des autorités.

A l’endroit du gouvernement ?

Au gouvernement, je dis : « Soyez à l’écoute des préoccupations des populations ! Engagez-vous davantage, mettez les moyens à la disposition de la coordination du PDIS et des populations pour que nous puissions boucler rapidement cette phase, parce que le temps joue contre nous ».

Enfin à l’endroit des partenaires techniques et financiers ?

Je pense que jusque-là, les partenaires techniques et financiers qui interviennent sur des projets similaires dans des pays voisins, ont dit clairement que Samandeni est le projet qui leur donnait le plus de satisfaction. Donc, nous les rassurons que Samandeni va se poursuivre. Concernant les difficultés que nous rencontrons, je pense que bientôt le dialogue va s’établir entre les différentes parties. Nous allons trouver un terrain d’entente pour que le projet se termine dans des délais raisonnables. Nous n’allons jamais trahir leur confiance, nous leur demandons de continuer à soutenir le projet.

Propos recuiellis par Rahamatou SANOU (Correspondante)

 


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