CONGRES EXTRAORDINAIRE DU CDP SUR FOND D’EXCLUSION DE MILITANTS
Va-t-on vers une implosion du CDP ? Telle est la question que l’on pourrait se poser au lendemain du congrès extraordinaire du 22 septembre dernier, tenu au terme d’un feuilleton judiciaire qui opposait depuis des mois des militants et pas des moindres au directoire du parti, et dont les décisions fortes se traduisent par l’exclusion et la suspension de cadres et autres membres influents. Sont de ceux-là, Mahamadi Lamine Kouanda, Léonce Koné, Salia Sanou et autres, qui ont été jugés indignes de continuer à porter les couleurs du parti et sont donc renvoyés, mais aussi de grandes figures comme Boureima Badini ou encore Juliette Bonkoungou qui écopent d’une suspension d’un an pour avoir été aussi de la fronde. Toutes ces sanctions n’auraient pas eu autant de répercussions, si elles n’intervenaient pas dans un contexte de lutte de positionnement pour la présidentielle de 2020 qui divise le parti entre partisans de Eddie Komboïgo (le président du parti en quête d’adoubement) et soutiens de Kadré Désiré Ouédraogo, candidat déjà déclaré.
Il est à craindre que ceux qui ont été punis, mettent leur énergie à combattre le parti
De là à voir derrière ces sanctions, un acte calculé visant à dégager la route de l’investiture du parti à l’enfant du Passoré, il y a un pas que les détracteurs de Ediie Komboïgo ont vite fait de franchir. Quoi qu’il en soit, on ne peut pas reprocher au CDP de chercher à faire le ménage en vue de mettre de l’ordre dans ses rangs. Pour un parti d’une telle envergure, qui a eu à gérer le pouvoir d’Etat et qui nourrit l’ambition de signer son retour en force au devant de la scène politique, plus qu’une nécessité, c’est un devoir pour tous les militants d’observer scrupuleusement la discipline du parti. C’est pourquoi la tenue d’une instance comme le congrès extraordinaire était un impératif. Seulement, tout porte à croire que le torchon qui brûlait entre les héritiers de Blaise Compaoré, a fini de se consumer entre leurs mains sans qu’ils ne parviennent à éteindre l’incendie. C’est dire s’ils ne se sont pas déjà brûlé les doigts. Comment peut-il en être autrement quand le fondateur du parti qui est le dénominateur commun des protagonistes, continue, comme à ses habitudes, de garder le voile sur ses intentions, au point que l’on ne sait pas à quel son de cloche se fier ? En tout cas, chacun des protagonistes dit avoir son onction, mais seul l’exilé de Cocody sait de quel côté penche son cœur et ce qu’il a dit à chacun de ses visiteurs. A moins que cette situation ne traduise tout simplement son embarras devant un choix cornélien, au point de vouloir laisser les choses se décanter d’elles-mêmes. Si c’était le cas, ce serait un jeu dangereux car c’est le parti qui risque, si ce n’est déjà fait, de payer le prix de la désunion des militants. Ou alors, faut-il y voir un effritement de l’autorité de Blaise Compaoré, quand on sait que des voix et pas des moindres au sein du parti, ont, dans des propos à peine voilés, signifié que de son exil abidjanais, elles ne voyaient pas le président d’honneur à vie imposer de candidat mais plutôt faire des suggestions ? Quoi qu’il en soit, force est de constater qu’en lieu et place d’un congrès de rassemblement pour l’opération reconquête du pouvoir, la réunion politique du 22 septembre dernier et les décisions d’exclusion qui en sont sorties, risquent de fragiliser le parti en creusant davantage le fossé entre des camarades qui se regardent aujourd’hui clairement en chiens de faïence. En tout cas, ce congrès marque indubitablement un tournant car ces sanctions pourraient provoquer un séisme qui risque de marquer profondément le parti. Car, si ces sanctions devaient être vécues comme des règlements de comptes politiques, il est à craindre que ceux qui ont été punis, mettent leur énergie à combattre le parti plutôt qu’à œuvrer à son retour au premier rang de la scène politique au Burkina. Et quand on sait le poids de ces personnalités politiques dans leurs régions respectives, on n’est pas loin de croire que le CDP s’est tiré une balle dans le pied en leur déclarant une guerre ouverte plutôt que de travailler à les ramener docilement dans l’enclos.
le Burkina aurait pu faire l’économie de l’insurrection populaire
Par exemple, un Salia Sanou a longtemps été vu comme la cheville ouvrière du CDP dans la région des Hauts-Bassins. Que dire d’un Boureima Badini dans le Yatenga, d’une Juliette Bonkoungou ou d’un Yahaya Zoungrana dans le Boulkiemdé ou encore d’un Rasmané Daniel Sawadogo dans le Sanmatenga ? Cela n’est pas sans rappeler la sanction d’un certain Salif Diallo, en 2008, qui marquait déjà un tournant dans la vie du parti. Cela n’est pas non plus sans rappeler les cas de Diemdioda Dicko, Louis Armand Ouali et autres Anatole Bonkoungou qui avaient tous eu maille à partir avec le parti et qui était revenus le battre sous d’autres couleurs dans leurs fiefs respectifs. Cela n’est pas non plus sans rappeler enfin le cas des dissidents du MPP qui ont finalement contribué à la perte du pouvoir par le CDP. C’est pourquoi l’on est porté à croire qu’à l’épreuve de la démocratie interne, l’ex-parti au pouvoir est en train de filer du mauvais coton au risque d’hypothéquer ses chances de reconquête du pouvoir en 2020. Car, à moins d’un an et demi de la présidentielle, alors que les états-majors des différents partis politiques s’affairent à battre le rappel des troupes pour resserrer les rangs avant d’aller à la conquête du pouvoir, le CDP semble ramer à contre-courant de cette stratégie. Comment pouvait-il en être autrement dès lors que les instances internes du parti ont échoué à concilier les positions au point de laver le linge sale au prétoire ? Ce qui n’est jamais bon signe. Car, si les tiraillements et autres courants divergents apparaissent comme autant de signes de vitalité d’un parti politique, il reste qu’au CDP, cela semblait avoir dépassé le cadre de la saine rivalité politique pour prendre la nauséeuse forme de règlements de comptes. Et aujourd’hui, on semble avoir atteint le point de non retour. C’est pourquoi, au lieu d’être l’épilogue d’un malaise, il est à craindre que ces sanctions marquent plutôt le début d’un nouveau bras de fer qui risque d’exacerber les tensions entre des militants qui se considèrent de la 1ère heure et ceux qu’ils taxent publiquement de militants de la 25e heure. A moins que ces derniers ne décident de rompre définitivement les amarres. En tout état de cause, le CDP devrait savoir tirer leçon de l’histoire. Car, il a fallu que le peuple burkinabè prenne ses responsabilités avant que ce parti comprenne qu’il compte aussi dans ses rangs, des personnalités politiques de premier rang en dehors de Blaise Compaoré. Si ceux-là avaient pris leurs responsabilités en son temps, le Burkina aurait pu faire l’économie de l’insurrection populaire. Alors, il faut savoir raison garder.
« Le Pays »