HomeA la uneCRISE POST-ELECTORALE AU GABON : Que pouvait-on attendre de la délégation de l’UA ?

CRISE POST-ELECTORALE AU GABON : Que pouvait-on attendre de la délégation de l’UA ?


Prévue initialement pour aujourd’hui, 9 septembre 2016, l’arrivée de la délégation de haut niveau de l’union africaine (UA) a été reportée sine die pour, dit-on, raison de calendrier. Pendant ce temps, Jean Ping qui revendique la victoire a finanlement décidé de déposer un recours auprès de la Cour constitutionnelle. On attend de voir la suite qui y sera donnée. Peut-être était-ce pour cette raison que les missi dominici de l’instance continentale, qui devaient être conduits par le président en exercice hilmself, le Tchadien Idriss Deby Itno, accompagné de ses pairs, Macky Sall du Sénégal et Mahamadou Issoufou du Niger, ont préféré ajourner leur déplacement. Quand à Denis Sassou Nguesso du Congo Brazzaville, initialement aligné sur «  la fiche  du  match », ne sera pas de la partie parce que considéré comme persona non grata par l’opposition gabonaise. En plus des chefs d’Etat, le communiqué de l’UA annonçait la participation à la médiation de bons offices entre les protagonistes de la crise, de hauts responsables de la Commission de l’UA et des Nations unies. Mais  que pouvait-on attendre, individuellement pris, de ces urgentistes ? « A tout seigneur, tout honneur ». Quel écot peut être celui du président Deby dans cette crise au Gabon ? En effet, l’homme fait partie de la meute des loups subitement devenus des agneaux au détour du discours de la Baule. Mais on le sait, cette mue est un trompe-l’œil. Car, contre les principes élémentaires de la démocratie que sont l’alternance et la transparence, Deby s’est maintenu au sommet de l’Etat tchadien, 26 ans durant, par le truchement d’élections truquées dont la dernière en date est celle du 10 avril 2016, réprimant au passage de façon sanglante son opposition. De quelle légitimité morale peut donc se prévaloir Deby pour remonter les bretelles à son jeune frère qui a l’avantage sur lui, de ne pas encore traîner derrière lui, une guerre civile dont les morts hantent l’histoire récente du Tchad ? Et quand on sait qu’il y a à peine un an, l’homme se pourfendait  d’une telle déclaration, « si j’avais la possibilité de m’assurer que le pays marchera, après moi, je quitterais aujourd’hui  même le pouvoir (…) Quitter pour quitter et laisser le Tchad dans le désordre, je ne le ferai pas », on peut imaginer aisément que Deby sera à court d’arguments pour convaincre Ali Bongo de quitter les rênes du pouvoir. « Medice, cura ipse »  (médecin, soigne-toi toi-même) devrait-il s’entendre dire !  Certes, Deby avait fait preuve de fermeté vis-à-vis des putschistes burkinabè, mais il sied de rappeler que les contextes ne sont pas les mêmes.

Seul le carnet d’adresses de Ping peut lui valoir des sympathies et peut-être faire bouger les lignes

Le président Macky Sall, lui, a tous les attributs d’un démocrate et doit son pouvoir à la lutte du peuple sénégalais contre les velléités hégémoniques des Wade. Il devrait donc être sensible aux aspirations démocratiques du peuple gabonais. Néanmoins, l’intermède burkinabè a fait la preuve de son attachement plus à ses relations personnelles qu’à la démocratie. A sa décharge, on peut comprendre qu’il était redevable à Blaise Compaoré qui l’a soutenu dans sa quête du pouvoir. Sans préjuger de ses relations avec Bongo, on peut croire qu’il a les mains moins liées et qu’il peut se racheter de ses errements de la crise burkinabè, pour peu qu’il ait retenu la leçon. Quant à Mahamadou Issoufou, c’est tout simplement le bon exemple car il s’est montré souvent à cheval sur les principes de l’alternance et devrait donc être le plus à l’aise face à Bongo. On peut espérer qu’il puisse inspirer, par l’exemple. Mais le bon !   Contrairement à Denis Sassou Nguesso éconduit comme un paria, parce qu’ayant déposé ses souliers pour qu’Ali Bongo y mette les pieds en mitraillant par hélicoptère le QG de Jean Ping, comme lui l’avait fait avec son opposition. En faisant la balance, on peut se hasarder à dire malgré tout que l’équilibre dans la délégation de l’UA, est en ballotage favorable à la démocratie et au peuple gabonais. Mais on ne peut occulter les interactions entre les membres. Mahamoudou Issoufou doit beaucoup à Deby dont l’armée est venue à son secours, pour desserrer l’étau des griffes de Boko Haram. Il lui sera donc difficile de tenir haut le menton face à son bienfaiteur car, dit-on, la « main qui demande ne peut être plus haute que celle qui donne ». Il est important aussi de ne pas perdre de vue que tous ces chefs d’Etat sont membres du même syndicat qui les a envoyés et qu’ils se vouent, malgré les dissensions possibles, une solidarité certaine. Enfin, excepté Deby qui est de l’Afrique centrale, les deux autres sont de l’Afrique de l’Ouest et peuvent pécher par la non- maîtrise des réalités sous- régionales, même si cette situation peut leur garantir une certaine neutralité.

En définitive, sans jouer les Cassandre, il est à craindre que cette médiation ne porte aucun fruit. Car, en plus du profil des membres de la délégation, on imagine mal comment l’UA qui a déjà donné son quitus à l’élection, peut se dédire en si peu de temps. La délégation devrait donc agir dans l’esprit de la lettre de mission de l’UA et comme toutes les autres crises, il faut s’attendre à l’enlisement après son passage.  Seul le carnet d’adresses de Ping qui a présidé la Commission de l’UA, peut lui valoir des sympathies et peut-être faire bouger les lignes. Mais il ne faut pas rêver. Pour que le miracle gabonais ait lieu, il faut bien plus que des rêves.

SAHO


Comments
  • Après plusieurs jours de répression, de violence et de morts dans les rues de Libreville, l’institution continentale l’Union Africaine s’est décidée d’intervenir dans la crise gabonaise. Mieux vaut tard que jamais. Ce qu’il faut à l’esprit, c’est ce qu’elle représente pour les Chefs d’Etat africains : un syndicat. L’expression est du Président Ougandais Youweri Mouseveni. Un syndicat comme toute institution judiciaire, politique et sociale défend les intérêts de ses membres.
    Mais il ne faut pas oublier aussi que cette union s’est dotée en 2007 d’une charte, considérée comme un pas important dans sa crédibilité auprès des populations, des démocrates et responsables politiques, respectueux des valeurs de la démocratie, du respect du droit et de la dignité humaine : la charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance. Que peut-on retenir de cette charte? Des affirmations, une conscience et conviction collectives (mais artificielles), l’expression d’une résolution, une inspiration… bref des mots et des expressions vagues.
    La crise gabonaise nous permet d’analyser les éléments saillants de cette charte pour comprendre d’une part son importance symbolique et son inefficacité. Les signataires reconnaissent “les contributions de l’Union africaine et des Communautés économiques régionales à la promotion, à la protection, au renforcement et à la consolidation de la démocratie et de la bonne gouvernance.” L’instauration, le renforcement, et la consolidation de la bonne gouvernance par la promotion de la pratique et de la culture démocratiques, l’édification et le renforcement des institutions de gouvernance et l’inculcation du pluralisme et de la tolérance constituent des objectifs de cette charte (art. 2, point 6).
    A part les chapitre VIII : des sanctions en cas de changement anticonstitutionnel de gouvernement (art. 23, 24 et 25) et chapitre X des mécanismes de mise en place (art. 45 point 2, art. 45,), l’application du reste des dispositions dépend des Etats-parties. D’ailleurs, les articles commencent par l’expression “Etats-partie”, ce qui laissent un champs libre aux Etats.
    Les cas de figure prévus dans la Charte se sont produits : combien de dirigeants ont violé la norme constitutionnelle pour s’approprier le pouvoir? Combien de gouvernements ont réprimé l’opposition avant, pendant et après la publication des résultats électoraux? Combien de dirigeants ont commis des violations flagrantes des droits de l’homme? La liste des infractions aux objectifs de la Charte est longue. Dans certaines situations, la Commission Africaine a réagit, dans d’autres elle a laissé pourrir, surtout les grands pays. Aussi dans très peu de cas, le groupe d’observateurs.es de l’UA n’a jamais dénoncé des fraudes électorales alors que celles-ci sont évidentes vu le contexte politique des régimes d’apparence pluraliste, mais autoritaires dans l’action politique.
    Dans la crise gabonaise, la nouveauté c’est l’expression “la délégation de haut niveau”. Une expression vide de sens. Et une délégation, qui reflète, un esprit marqué par le compagnerisme politique, l’inefficacité et le symbolisme de l’action. En effet, il est immoral de nommer comme membre de cette fameuse délégation un dictateur, Idriss Déby, et un autre dirigeant qui a gagné illégalement la présidence de son pays, Mahamadou Issoufou. En effet son principal concurrent a été emprisonné, il n’a pas pu faire la compagne électorale. Sur les 3 membres, seul Maky Sall a la posture d’un démocrate, même s’il est accusé de tentative dictatoriale dans son pays d’avoir emprisonné et jugé un rival politique avant die le libérer pour une négociation politique.
    Pourquoi l’Union Africaine n’a pas nommé d’autres dirigeants africains comme l’ancien Président Mozambicain Joaquim Chissano, le Botswanais Festus Mogae, du Capverdien Pedro Pires ou encore le Béninois Boni Yayi? Ou d’autres qui sont en fonction, mais dont leur élection à la magistrature n’a pas fait de contestation ni politique ni populaire. Il y a des dirigeants respectent les valeurs, que promeut ladite Charte.
    En fait l’inclusion d’Idriss Déby et de Mahamadou à la fameuse délégation est le reflet d’un esprit dominant dans le syndicat des Chefs d’Etat : s’appuyer entre amis, qui bafouent les valeurs que veut promouvoir la Charte. D’ailleurs, le report de l’arrivée de la délégation à Libreville soulève une question : pourquoi ce report? La situation politique et sociale est toujours tendue, même si on ne compte de morts. L’Union Africaine n’a pas donné une raison à ce report. Est-ce lié à une opposition au sein des institutions de l’UA? Est-ce que certains dirigeants s’opposent sur sa composition et sa capacité toute relative dans la résolution d’un conflit politique d’un pays?
    En 2013 lors des élections législatives disputées en République de Djibouti, la Commission Africaine n’a pas reçu une délégation de l’opposition de ce pays pour demander une médiation pour éviter une détérioration politique et sociale.
    Selon l’expression d’un ancien africaniste français, la Charte de la démocratie, des élections et de la bonne gouvernance n’est qu’une “feuille de vigne”, c’est-à-dire un document sans importance pour celles et ceux qui dirigent et contrôlent la vie politique et sociale de leurs pays. L’esprit de la Charte est victime d’une pratique de la gestion des affaires politiques et sociales du continent par le syndicat des Chefs d’Etat. Comme les constitutions, qui sont devenues des instruments soumis à la volonté du dirigeant en place.

    10 septembre 2016

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