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DECES DE DANIEL ARAP MOI


L’ex-président du Kenya, Daniel Arap Moi, n’est plus. L’enfant de Kurieng’wo qui a dirigé le pays pendant 24 ans, de 1978 à 2002, a tiré sa révérence à l’âge de 95 ans. Le chef de l’Etat kényan, Uhuru Kenyatta, dans un communiqué, a salué la mémoire du disparu en des termes très élogieux. « Notre nation et notre continent ont été immensément bénis par le dévouement et le service du défunt Mzee Moi, qui a passé presque toute sa vie d’adulte au service du Kenya et de l’Afrique ». Mais l’on imagine qu’Uhuru Kenyatta, en encensant le défunt, a voulu seulement rester fidèle aux convenances africaines qui veulent qu’on ne dise pas du mal des morts. Sinon, la mémoire collective retient du “Nyayo”, son règne d’une main de fer sur le Kenya. Mais avant de revenir à la chape de plomb qu’il a fait peser sur le pays, l’on peut se poser la question suivante : qui fut l’homme ? Professeur de profession, Daniel Arap Moi a embrassé la carrière politique en 1955 et a été élu membre du Conseil législatif comme représentant de la province de la vallée du Rift.

Daniel Arap Moi aura été le condensé de toutes les tares démocratiques

En 1960, il crée le Kenya African Democratic Union (KADU) et devient ministre de l’Education dans le gouvernement pré-indépendance. Après l’indépendance du pays, il dissout le KADU qui se fond dans le Kenya African National Union (KANU) de Jomo Kenyatta dont il devient en 1967 le vice-président. A la mort de ce dernier, le 22 août 1978, Arap Moi lui succède à titre intérimaire avant d’être confirmé dans ses fonctions quelques mois plus tard. Il se fera réélire en 1983, 1988, 1992 et 1997. L’on retiendra de cette longue trajectoire politique, la dérive autocratique de 1982 où il instaure le parti unique. Le parlement et la justice sont mis aux ordres et une chasse aux opposants qui sont arrêtés, torturés et assassinés, est ouverte. Contraint par la pression des Occidentaux et de la société civile, Daniel Arap Moi finit par accepter, en 1991, le retour du multipartisme après en avoir fait payer le prix fort aux Kényans par la répression féroce d’une manif dans le sang. Constitutionnellement empêché de se représenter en 2002, il est contraint de quitter le pouvoir. Pendant ce long règne, Daniel Arap Moi aura été le condensé de toutes les tares démocratiques : boulimie, paranoïa, violences et fraudes électorales, instrumentalisation politique de l’ethnie, tripatouillages constitutionnels, tortures et assassinats des opposants, rejet de l’alternance démocratique. Et c’est finalement cette image de despote qu’il lègue aux générations kényanes présentes et futures, contrairement à ce qu’il avait souhaité en se faisant appeler « empreinte » pour signifier qu’il marchait toujours sur les traces de son illustre prédécesseur, le père de la nation kényane, Jomo Kenyatta. A la décharge de Arap Moi, l’on dira qu’il a été l’homme de son temps. Car, les dérives qui l’ont caractérisé étaient dans une grande mesure, partagées par bien des dirigeants du continent de l’époque comme, à titre d’exemple, Hissène Habré, Mobutu Sésé Seko, Idi Amin Dada et autres Jean Bedel Bokassa.

Toute dictature finit toujours dans le déshonneur et dans la profondeur d’une tombe

Par ailleurs, vu sous l’angle du héros de l’indépendance comme son mentor Jomo Kenyatta dont il aura été un compagnon fidèle de lutte, l’on peut comprendre son attachement au pouvoir politique qu’il estime arraché de force des mains du colon. L’on se souvient, en effet, que l’administration coloniale britannique au Kenya, s’était illustrée par sa concupiscence des terres, occasionnant la révolte des Mau-Mau. L’on peut penser aussi que Daniel Arap Moi, comme toute la génération des pères-fondateurs de la nation à l’ombre desquels il s’est construit, n’a pas échappé à l’affection maladive portée aux nouveaux Etats dont ils auraient été les maïeuticiens.  Cela dit, le jugement sévère que l’on porte sur cette figure plus que controversée de l’histoire politique récente du Kenya, alors que même sa dépouille mortelle n’a pas été conduite à sa dernière demeure, devrait donner à réfléchir aux dictateurs qui foisonnent encore sur le continent africain. Il s’agit , entre autres , des Denis Sassou N’guesso, Yoweri Musseveni, Paul Biya, Faure Gnassingbé, Idriss Itno Deby, Teodoro Obiang NGuema ou encore Alpha Condé. Ils doivent prendre conscience que toute dictature finit toujours dans le déshonneur et dans la profondeur d’une tombe. Pendant qu’il est encore temps, ils devraient donc se soucier de l’héritage qu’ils laisseront aux générations futures au risque de les voir danser autour de leur dépouille mortelle comme des souris autour du cadavre d’un vieux chat. L’autre leçon à tirer des errements politiques de Daniel Arap Moi, c’est la nécessité, pour le Kenya, de vite refermer la boîte de pandore qu’il a ouverte en instrumentalisant l’ethnie. Cela est d’autant plus urgent que le pays ne semble pas encore sorti de l’ornière en la matière, quand on se réfère aux affrontements inter-ethniques qui ont caractérisé la dernière présidentielle qui a opposé Uhuru Kenyatta à Raïla Odinga et qui s’est soldée par des milliers de morts. Enfin, la dernière leçon à tirer et pas des moindres, est que le Kenya, comme tous les autres Etats africains , doit œuvrer à empêcher le retour de pareils fossoyeurs de libertés, au pouvoir .

-« Le Pays »


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