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DEPART EXIGE D’AMNESTY INTERNATIONAL DU NIGERIA


 L’armée nigériane se trompe d’adversaire

Dans son tout dernier rapport intitulé « Récolter les morts », l’ONG de défense des droits humains, Amnesty International, pointe du doigt l’incapacité du gouvernement et de l’armée au Nigeria à protéger les populations civiles, victimes non seulement d’exactions de la secte islamiste Boko Haram mais aussi d’affrontements intracommunautaires. En effet, près de 4 000 personnes, aux dires de cet organisme, auraient trouvé la mort du seul fait des conflits entre éleveurs et agriculteurs, pour ne parler que de ceux-là, en l’espace de trois ans seulement. Il n’en fallait pas plus pour irriter la Grande muette qui ne s’est pas seulement contentée d’une simple manifestation de colère mais elle  a aussi exigé que l’ONG ramasse ses effets,  pour partir du territoire national.

L’armée nigériane devrait pouvoir se remettre en cause

« Amnesty International n’apporte rien à notre pays, ils n’ont rien à faire ici », a laissé entendre  le porte-parole de l’armée. La question que l’on peut de prime abord se poser, est la suivante : pourquoi le rapport irrite-t-il à ce point ?

L’on peut avoir plusieurs réponses. D’abord, l’armée nigériane s’est sentie harcelée par Amnesty International qui, dans de nombreux rapports publiés déjà au cours de l’année, accusait les forces de défense et de sécurité de mener des exécutions extra-judiciaires dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Cette dernière publication serait donc celle de trop et le brigadier général, directeur de l’information militaire, John Agim,  n’a pu se retenir en lâchant ceci : «  Cette année, nous avons eu droit à presque un rapport par mois ! Suivant le principe que plus vous répétez le mensonge, plus il devient une vérité ».

L’autre explication de la colère de l’armée nigériane et pas des moindres, est que le rapport de l’ONG tombe en pleine campagne présidentielle. Or, on le sait, le président Muhammadu Buhari qui est candidat à sa propre succession, avait bâti son programme politique sur la lutte contre Boko Haram. Donc, ce rapport, en indexant l’incapacité du gouvernement et de l’armée à protéger les populations, traduit l’échec du programme présidentiel et participe, de ce fait, à la décrébilisation du candidat Buhari pour le nouveau mandat auquel il aspire. Et l’on comprend donc la mise en garde, même mesurée, du bureau du président.

Enfin, le coup de sang de la soldatesque nigériane, au-delà de la simple réaction d’agacement, traduit toute la mauvaise conscience d’une armée qui, malgré ses récentes victoires avec l’aide de ses consœurs du bassin du Lac Tchad, peine à se défaire du piège dressé par les sbires d’Aboubacar Shekau. Cela dit, elle ne pouvait que prendre en mal ce rapport au titre satirique qui peut saper le moral des troupes.

Toutefois, même si Amnesty International a mis la main là où ça fait le plus mal, elle ne mérite pas un tel déchainement de colère. Et pour causes.

D’abord, l’ONG est dans son rôle. Sa raison d’être est de défendre les droits humains et de tirer la sonnette d’alarme chaque fois et partout où des situations de prédation de ces droits se présentent. Et le crédit dont jouit Amnesty International du fait du sérieux de son travail, le met à l’abri de soupçons liés à des tentatives de subversions et de démobilisation des troupes. Ensuite, l’armée nigériane, elle-même, devrait pouvoir se regarder en face et se remettre en cause.

L’ONG doit faire attention à ne pas produire les effets contraires aux résultats escomptés par ses rapports

Car, même si Buhari a quelque peu fait le ménage au sein de cette Grande muette qui avait les allures d’une armée mexicaine, il n’en demeure pas moins qu’elle est loin de jouir de toutes ses capacités au plan opérationnel du fait, entre autres, de la corruption qui lui colle à la peau. Elle devrait plutôt donc tirer toutes les conséquences de ce rapport et  travailler à s’améliorer.

Mais comme le dit un adage africain, «  lorsqu’on gronde la souris, il faut aussi dire un mot au soumbala ». Cela dit, on pourrait faire aussi des reproches à Amnesty International. L’ONG doit prendre acte de la délicatesse du sujet et travailler à équilibrer ses informations. Même si cela peut ressembler à un procès d’intention, il serait bien que les rapports successifs qu’elle produit, présentent aussi les exactions des groupes terroristes et des populations qui s’affrontent dans les conflits communautaires. Non seulement, de tels rapports, en étalant la désolation que sèment les groupes armés au Nigeria, peuvent contribuer à une prise de conscience qui aide à tarir les sources de financements du terrorisme, mais ils peuvent aussi aider à la mobilisation des fonds pour lutter contre l’extrémisme violent et pour faciliter la gestion des conséquences de ces conflits. En tout cas, l’ONG doit faire attention à ne pas produire les effets contraires aux résultats escomptés par ses rapports. Car, en mettant ainsi sur le banc des accusés les seules forces armées du Nigeria, elle peut effectivement non seulement saper le moral des troupes mais aussi pousser à la révolte des populations nigérianes dont le vivre-ensemble a été souvent mis à rude épreuve comme l’atteste l’histoire de ce pays.

« Le Pays » 


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