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DIALOGUE POLITIQUE AU BURUNDI : Une souricière pour l’opposition ?


 

Alors que le macabre décompte sur fond de 40 victimes de l’apocalypse des répressions policières au Burundi n’en finit pas d’indigner la communauté internationale et de susciter sa réprobation, l’opposition burundaise, contre toute attente, s’est dit disposée à reprendre le fil du dialogue interrompu avec le tyran de Bujumbura, même si elle continue de poser comme non négociable la question du 3ème mandat de ce dernier. 17 partis et organisations politiques ont en effet signé une déclaration commune aux termes de laquelle, ils réaffirment de nouveau leur engagement à poursuivre le dialogue entre les parties prenantes au processus électoral en vue de l’organisation d’élections libres, apaisées, transparentes et crédibles. Ce rebondissement dans la crise suscite des interrogations. Pourquoi l’opposition retourne-t-elle à la table des négociations ? En y allant, ne se précipite-t-elle pas dans l’antre du monstre ? Qu’espère-t-elle de ce processus de dialogue moult fois interrompu et maculé de violences qui rappellent les heures sombres de l’histoire à forts soubresauts de ce pays ?

Si l’opposition burundaise cède au chant des sirènes une fois de plus, deux contraintes majeures semblent l’y avoir poussée :

La  1ère est qu’elle réagit au sommet des chefs d’Etat de la Communauté des Etats de l’Afrique de l’Est (EAC) de Dar-Es- Salam   et à l’appel sans cesse renouvelé de l’ONU au dialogue. De ce fait, elle prend à témoin l’opinion internationale de sa bonne volonté, surtout qu’elle sait que les Chefs d’Etat de l’EAC ont apporté un soutien tacite à leur homologue qui met ses pas dans ceux du très tristement 13ème apôtre du Christ, l’empereur Jean Bedel Bokassa.

La 2e raison est qu’elle prend acte, en interne, de sa mobilisation faiblissante. Les signes d’essoufflement sont perceptibles après deux mois de manifestations et d’affrontements avec les forces de l’ordre. Peut-être espère-t-elle par la reprise du dialogue, marquer une trêve à la médiévale pour offrir du répit à ses militants et puiser aussi à la table des négociations de nouveaux viatiques pour remobiliser ses troupes !

Si l’opposition semble prise dans un traquenard, elle a encore toutes les cartes en main

Si on ne peut denier un certain sens de réalisme politique à cette donne, on peut lui opposer deux  arguments :

D’abord  il y a de l’indécence à s’asseoir à la même table que son bourreau. C’est une question d’éthique. Les répressions des forces de l’ordre qui ne sont en réalité, en partie, que les membres des anciennes milices pro Nkurunziza, ont fait une quarantaine de macchabées et contraint à l’exil des milliers de Burundais, les exposant à d’atroces souffrances. L’opposition politique et les organisations de la société civile peuvent-elles marcher sur les corps étendus de ces martyrs et  traverser cette vallée de larmes pour aller s’asseoir à la table des négociations sans heurter l’opinion et retourner contre elles un peuple dont l’hostilité au président Nkurunziza reste intacte ? Cela ne constituerait-il pas un outrage à la mémoire et au sacrifice des disparus sur les champs de bataille ? En le faisant, n’apporte-t-elle pas sa caution à un président qui a perdu toute légitimité en se rendant coupable du massacre de ses propres concitoyens dont il a en rôle premier la protection ?

Ensuite, le  rapport de force est déjà en faveur de Nkurunziza.  Retourner à sa table, c’est le renforcer. Disposant du soutien tacite de ses pairs de l’EAC, des moyens financiers, des forces de l’ordre et des moyens de communication, Nkurunziza ne manquera pas d’utiliser ce dialogue pour se construire une image d’homme de dialogue. Mieux, il pourrait se revêtir de l’étoffe du visionnaire  qui, en dernier ressort, a raison et ce, après avoir ramené les égarés à la raison. A contrario, pour l’opposition, retourner à la table des négociations peut donner l’impression que la lutte est dans l’impasse et qu’elle est à la recherche d’exutoire, ce qui donnerait une connotation d’amateurisme et d’immaturité politique pour les leaders.

Mais si l’opposition semble prise dans un traquenard, elle a encore toutes les cartes en main ; contrainte par  la real politique à aller à la table des négociations, elle n’est aucunement tenue d’y rester. Elle y va et claque la porte si elle s’aperçoit que ces négociations ne sont qu’une entourloupette. Ce faisant, elle transforme ce que l’on croyait être une faiblesse en une véritable stratégie politique, à la seule condition que l’unité d’action soit véritablement de mise.

Mais tout ne doit pas se jouer à Bujumbura sur cette table de l’ogre aux dents sanguinolentes. La Communauté internationale ne  doit pas attendre comme à un conclave d’élection papale que la fumée blanche ou noire sorte de la cheminée. Elle doit accentuer la pression sur NKurunziza si elle est sensible à la souffrance et aux cris d’orfraie du peuple burundais, en suspendant l’aide internationale comme l’ont déjà fait d’autres pays et en rappelant les différents ambassadeurs pour qu’il comprenne bien que ce troisième mandat qu’il espère le conduit tout droit dans le mur et que nul n’a le droit de prendre en otage un peuple au piège de ses propres intérêts.

SAHO


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