DISCOURS DU PM SUR LA SITUATION NATIONALE : Récit d’une séance de 8h
L’ambiance était inhabituelle à l’Assemblée nationale le 6 mai dernier. Au sein de l’hémicycle, étaient présents des présidents d’institutions, des membres du gouvernement et le corps diplomatique présent au Burkina Faso. Les parlementaires quant à eux, portaient chacun leur écharpe. En attendant que les choses sérieuses commencent, les discussions allaient bon train. C’est à 10h15 que le Premier ministre Paul Kaba Thiéba a fait son entrée, suivi quelques minutes plus tard du président de l’Assemblée nationale, Salifou Diallo. Le brouhaha occasionné par les causeries a alors cessé. La salle du parlement est chaude. L’air conditionné semble être en difficulté. L’assistance se ventile avec tout ce qui lui tombe entre les mains.
La séance du jour de l’Assemblée nationale s’ouvre. Comme on le sait, l’ordre du jour est unique. C’est la situation de la nation que doit exposer le Premier ministre. Après l’appel nominal des élus pour vérifier leur présence, un secrétaire parlementaire confie qu’il y a 15 absents excusés, 5 non et 108 votants. Après avoir rappelé l’article 109 de la Constitution qui fait obligation au Premier ministre de présenter l’état de la nation aux parlementaires, Salifou Diallo passe la parole à ce dernier. La salle plonge dans le silence. Seul le cliquetis des obturateurs d’appareil photo se fait entendre. Il est 10h 34. Paul Kaba Thiéba commence son exposé devant l’assistance. De la situation politique du pays à celle sécuritaire, en passant par la santé, l’éducation, l’économie etc., rien n’est occulté. Pendant près de 2h d’horloge, il ausculte le « pays des Hommes intègres ». Il est 12h 29 lorsque le Premier ministre conclut son propos. Enfin ! C’est certainement ce que beaucoup ont pensé tout bas. Le président de l’AN suspend alors la séance, pour permettre aux différents groupes parlementaires de préparer leurs questions.
A 13h 25, la séance reprend. Les invités se sont retirés. Chaque groupe parlementaire dispose de la parole durant un temps précis. C’est le groupe MPP qui, le premier, prend la parole, suivi du groupe UPC. Chacun expose ses préoccupations. Puis, c’est au tour du CDP de prendre la parole. Dans l’exposé de ses questions, le nom de leur mentor, Blaise Compaoré est prononcé. La salle remue. Le CDP épuise le temps qui lui est imparti et demande une rallonge. La réponse ne se fait pas attendre. « Surtout pas à vous », dira le président de l’Assemblée nationale. La parole est alors passée au groupe Burkinlim puis enfin, au groupe Paix-justice et réconciliation nationale. La phase des questions prend fin à 15h. La séance est de nouveau suspendue pour une heure. Le gouvernement doit préparer les réponses, expliquera Salifou Diallo. Une suspension qui donne l’occasion à ceux qui le désirent, de se restaurer. Le réfectoire de l’Assemblée nationale est alors plein à craquer.
Pendant ce temps, la salle du parlement est dotée de ventilateurs et d’humidificateurs pour combattre la chaleur. C’est finalement peu avant 17 heures que la séance va reprendre. Mais l’assistance a considérablement diminué. De nombreuses places vides essaiment l’hémicycle. Sur les visages de ceux qui sont restés, il est aisé de lire la fatigue. Le Premier ministre se met à apporter des réponses aux nombreuses questions qui ont été posées. Paul Kaba Thiéba est relativement à l’aise, surtout sur les questions financières. Souvent, il se perd dans ses papiers. Il est presque 18h. L’assistance est impatiente. Le PM le sait, le président de l’AN également. Mais toutes les questions n’ont pas été abordées. A 18h22, le PM s’excuse de ne pouvoir répondre à toutes les questions. Il rassure que d’autres cadres se présenteront pour poursuivre les débats, et remet la parole à Salifou Diallo, au grand bonheur de certains. Ce dernier remercie le Premier ministre et lui réitère le soutien de la représentation nationale. Puis il met fin à la séance du jour. Il est 18h 28.
Thierry Sou
DES PARLEMENTAIRES SE PRONONCENT
Joseph Sama, groupe parlementaire MPP
« Nous sommes satisfaits de son intervention »
Je trouve que le Premier ministre a tout embrassé. Il a abordé tous les points, en tout cas une large partie de la situation nationale. Ce, depuis l’accession du président Roch Marc Christian Kaboré à la magistrature suprême, notamment dans le domaine de l’éducation, de la santé, de l’eau, de l’agriculture, etc. D’une manière générale, nous sommes satisfaits de son intervention. Concernant le cas des Koglwéogo, la question orale avait été posée au ministre Simon Compaoré il n’y a pas très longtemps. Je me rappelle que les discussions ont été houleuses mais on a fini par se comprendre. Il faut reconnaître que les Koglwéogo sont indispensables à l’étape actuelle, dans la mesure où notre système de sécurité n’est pas en mesure de couvrir le territoire national. C’est pour cela que nous sommes d’accord qu’il faut les encadrer.
Alexandre Sankara, groupe Burkindlim
« Il s’est livré à l’exercice avec beaucoup de tact »
Il faut dire que c’est un exercice constitutionnel prévu par l’article 109 de la Constitution. C’est un exercice difficile pour un Premier ministre qui vient d’arriver, car on doit faire la situation de 2015, alors qu’à cette date, il n’était pas là. Qu’à cela ne tienne, je pense qu’il s’est livré à l’exercice avec beaucoup de tact. Je retiens principalement de son discours deux éléments. Le premier est relatif à l’eau potable. C’est une situation difficile pour les Burkinabè, les Ouagalais particulièrement. Le Premier ministre a promis qu’en 2017, le calvaire va prendre fin avec la construction de Ziga 2. En attendant, des mesures d’urgence ont été prises par le gouvernement, notamment la construction de bornes fontaines dans les quartiers périphériques. Le ravitaillement des populations par des citernes est également prévu. La 2e chose que j’ai retenue est la construction d’infrastructures routières dans les provinces et dans la ville de Ouagadougou. Parlant du contexte économique, le Premier ministre l’a dépeint. Nous sommes aujourd’hui à un taux de 4,4% de croissance, ce qui n’est pas du tout rose. Mais cela résulte de la situation politique et sociale que nous avons vécue depuis 2012 jusqu’à maintenant. Le Premier ministre a annoncé des grandes réformes pour relancer l’économie, avec notamment l’adoption du programme national de développement social et économique qui va permettre de booster le taux de croissance et d’améliorer les conditions de vie des populations. Je pense que nous sommes sur le bon chemin, mais on va juger le maçon au pied du mur.
Odagou Goula, groupe UPC
« Il n’y a pas suffisamment de cohérence dans l’action gouvernementale »
Je retiens que le discours du Premier ministre a pris en compte tous les secteurs d’activité. Je retiens également qu’il y a eu des annonces courageuses. Cependant, je constate qu’il n’y a pas d’adéquation entre les actions déjà menées et le discours de politique générale. Si je le prends aux mots, le Premier ministre avait annoncé que le moteur du développement est le secteur privé. Pourtant, la dette intérieure par rapport au secteur privé s’élève à plus de 500 milliards de F CFA. Il ne nous dit pas comment il compte apurer cette dette pour permettre au secteur privé de s’en sortir. C’est dire qu’au niveau de ce secteur, l’activité va demeurer morose. Aussi, les investissements dont il a fait cas, notamment les infrastructures routières et hydrauliques, ne s’étendent pas sur l’ensemble du territoire, de manière à insuffler un développement harmonieux et général. Pour moi, il n’y a pas suffisamment de cohérence dans l’action gouvernementale. Il faut que les différents départements ministériels se concertent de manière à élaborer une stratégie cohérente de développement et faire en sorte que les secteurs qu’on estime être prioritaires puissent avoir l’appui nécessaire. Ainsi, ils pourront tirer vers le haut les autres secteurs. C’est ainsi qu’on envisage le développement. Mais on ne peut pas faire des investissements épars et espérer un développement.
Alfred Sanou, groupe parlementaire CDP
« Pour le moment, c’est de la théorie »
Le Premier ministre a donné des réponses qui sont restées un peu générales ; puisqu’il n’a que quatre mois de fonctionnement et il venait de livrer son discours de politique générale il n’y a pas longtemps. Il faut donc attendre un peu pour qu’on ait du concret. Il y a eu pas mal de problèmes soulevés, notamment celui relatif à l’eau, à l’électricité et les solutions qui sont proposées c’est jusqu’en juillet 2017 pour ce qui concerne l’eau. Tout cela, c’est à voir sur le terrain, parce que pour le moment, c’est de la théorie. Aujourd’hui, les opérateurs économiques se plaignent, l’argent ne circule pas, etc. On attend donc de voir avec les activités, ce qui va se passer. Tant qu’on n’a pas du concret, on ne peut pas dire que les réponses du Premier ministre aux préoccupations sont réalistes. Il y a eu certes des avancées, comme les mesures sur la gratuité des soins, mais beaucoup reste encore à faire.
Ludovic Thiombiano, groupe UPC
« On attend de voir »
C’était un moment attendu, au regard des préoccupations des Burkinabè. C’était normal qu’il vienne rendre compte après son 1er passage à l’Assemblée nationale, le 5 février dernier. Personnellement, j’ai apprécié son discours. Le Burkina est vaste. Lorsqu’on est par exemple à l’Est, on ne voit pas forcément les actions qui se déroulent ailleurs. Le passage du Premier ministre nous a permis de savoir qu’il y a un développement qui est engagé et pratiquement, chaque région à son tour. C’est vrai qu’on est impatient de voir les fruits. Déjà, la gratuité des soins pour les femmes enceintes et les enfants de moins de 5 ans, est effective. C’est bien, mais ce n’est pas la seule priorité. Il faut encourager le chef du gouvernement à aller de l’avant. Par contre, je reste sceptique quant à son développement sur l’eau potable. Je ne crois pas que 90% des Burkinabè ont accès à l’eau potable. Dans la région de l’Est que je connais très bien, il y a véritablement un manque de forages. C’est également le cas dans d’autres régions. Sur le chiffre annoncé par le Premier ministre, je suis dubitatif. Je crois que c’est beaucoup moins. La preuve est que même à Ouagadougou, il y a des problèmes d’eau. Je pense qu’il devait rester collé à des chiffres réels, d’autant qu’il n’était pas face à des bailleurs mais à la représentation nationale. C’est cela qui m’est resté en travers de la gorge. D’autre part, les autres actions sont annoncées pour les semaines à venir. On attend de voir.
François Zilma Bacye, groupe parlementaire « Paix-justice et réconciliation nationale »
« Je suis sceptique quant à un certain nombre de choses »
Le Premier ministre a répondu à une obligation constitutionnelle, mais il faut reconnaître qu’il n’y a pas quelque chose de nouveau dans son discours. Après 4 mois d’exercice du gouvernement actuel, on ne pouvait pas s’attendre à quelque chose de merveilleux. Il a dépeint de façon claire la situation de la nation, une situation de grandes difficultés à la fois économiques, sociales et institutionnelles. En prenant tout cela en compte, il faut simplement dire que notre pays a beaucoup de problèmes à résoudre et qu’il faut un directoire gouvernemental pour anticiper sur les problèmes que je viens d’évoquer. Car, au lieu que les problèmes que nous connaissons trouvent des solutions, ils sont plutôt en train de s’aggraver. Prenez par exemple la question de la sécurité nationale et celle de l’autorité de l’Etat. L’incivisme est grandissant. Sur le plan économique, il y a des difficultés pour résorber la dette intérieure, etc. Toutefois, je pense qu’être en mesure de présenter le problème est déjà un acquis, car c’est être conscient des difficultés. Le gouvernement a intérêt à aller vers le solutionnement des problèmes, de façon consensuelle. Le gouvernement a dit ce qui est en train d’être fait, mais je suis sceptique quant à un certain nombre de choses. Si les problèmes ne sont pas résolus de façon structurelle, on ne peut pas espérer des solutions durables. La question de la réconciliation nationale est par exemple essentielle. Il faut que les gens se disent la vérité, se pardonnent et aillent à la réconciliation nationale. Après cela, chacun va apporter sa contribution à la construction du pays. Mais au lieu de cela, si nous sommes en train de nous diaboliser mutuellement, on ne peut pas avancer. Je pense qu’il faut rechercher ce dialogue inclusif.
Moussa Dicko, groupe MPP
« Le discours cadre avec les réalités du terrain »
L’exercice du Premier ministre était complexe dans la mesure où le bilan est annuel selon la Constitution, alors que lui n’a exercé que sur 4 mois. Mais au nom de la continuité de l’Etat, il fallait faire ressortir tous les acquis et les insuffisances de ces 8 derniers mois, et ceux de ses 4 mois d’exercice. Je trouve que le discours a été très clair, assez précis. Presque tous les détails concernant la vie de la nation ont été pris en compte. De ce point de vue, je pense que le discours cadre avec les réalités du terrain. J’ai compté trois grandes parties dans son intervention, à savoir les réalisations, l’état actuel et les perspectives. C’est donc clair et compréhensif. Je trouve qu’il a pris en compte les aspirations réelles des populations. Le Premier ministre a aussi fait ressortir certaines difficultés. Il y a notamment des programmes qui ont été mis en œuvre sans être budgétisés, ce qui a conduit à une rectification du budget. Mais de façon générale, je pense que le discours était bien.
TS