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DISPARITION DE ROBERT MUGABE


Hospitalisé à Singapour depuis avril 2019, le vieux Robert Mugabe a tiré sa révérence le vendredi dernier. Comme l’on pouvait s’y attendre, les réactions ont fusé du monde entier à propos de sa disparition. Mais, c’est sur le continent noir  qu’on a enregistré  le plus de réactions. La plupart d’entre elles, et cela peut culturellement s’expliquer, ont préféré célébrer le combattant héroïque de la lutte pour la décolonisation de son pays en particulier et de l’Afrique en général. Même ses anciens camarades de lutte qui ont été  à l’origine de sa chute en 2017, ont tenu à emboucher la même trompette. L’Afrique de  manière quasi unanime a rendu hommage à l’icône de la lutte anti-impérialiste  et au père fondateur du Zimbabwe débarrassé des souillures de l’apartheid. L’on peut comprendre, voire souscrire à cette image idyllique de l’homme. Les raisons sont les suivantes. D’abord,  en Afrique, il est moralement et culturellement indécent de jeter l’opprobre sur un macchabée.

 

Robert Mugabe a contribué dans son pays et au-delà, à restaurer la dignité des Noirs

 

De ce fait, même les personnes qui, de leur vivant, ont flirté et dîner avec le diable, peuvent avoir droit à tous les égards des vivants dès lors qu’elles passent  de vie à trépas. Ce rapport aux morts fait partie des gènes de l’Afrique. La deuxième raison qui explique que l’on privilégie cette image élogieuse de l’homme, est qu’il s’est investi pour la libération de bien des pays  africains du joug colonial. Des pays comme le Ghana ou encore l’Afrique du Sud garderont encore pendant longtemps dans les mémoires, cette dimension panafricaniste de l’homme. Et lorsqu’il a été porté à la tête du Zimbabwe, il a consolidé cette posture, allant jusqu’à transformer son pays en base arrière du parti de Mandela l’African National Congres (ANC), qui a assené des coups durs au régime de l’apartheid. Enfin, Robert Mugabe a contribué dans son pays et au-delà, à restaurer la dignité des Noirs. Considérés jadis comme des sous-hommes par les racistes qui régentaient notamment bien des pays de l’Afrique australe, les indigènes comme on les appelait à l’époque, ont repris confiance en eux-mêmes avec la longue lutte de libération menée avec brio par Robert Mugabe. Les opinions africaines  ont aussi été fascinées par la volonté de l’homme de rétablir la justice dans son pays en procédant à la réforme agraire. Cette phase de son combat, même si elle n’a pas abouti à des résultats heureux, fait partie de l’épopée de Mugabe. Mais il faut avoir le courage et l’honnêteté  de reconnaître que Mugabe a aussi fait beaucoup de mal à son pays. Après la conquête légitime du pouvoir par la force des armes, son premier réflexe a été de concentrer  en ses mains tout le pouvoir. Cette dérive autocratique a eu raison de cet autre héros de la lutte pour la libération du Zimbabwe, c’est-à-dire Joshua Nkomo. Et dans sa volonté de neutraliser politiquement ce dernier pour gérer à lui seul tout le Zimbabwe, il n’a pas hésité un seul instant à massacrer les populations à travers le Matabeleland dans l’Ouest du pays, fief de son rival. Le bilan de l’opération Gukurahundi était effarant. En effet, des milliers de morts parmi l’ethnie Ndebele, celle de Joshua Nkomo. Cet acte ignoble a marqué le début de la folie meurtrière de Mugabe.

 

Le héros mué en despote mégalomane a quitté le pouvoir par la porte dérobée

 

 

Par la suite en effet, il s’est attelé systématiquement à des actes barbares à l’endroit de tous ceux qui étaient critiques vis-à-vis de sa gouvernance. Et ses opposants, à commencer par Morgan Tswangirai, en ont payé le prix fort.  Et que dire de la mégalomanie de l’homme ? En 1996, en effet, alors que le pays plongeait dans le marasme économique, Mugabe s’est illustré de la pire des manières par un des mariages les plus dispendieux d’Afrique, avec Grace, sa secrétaire. Avec cette dernière, le vieux Bob a davantage perdu le Nord au point que ses anciens compagnons de lutte avec à leur tête l’actuel président Emmerson Mnangagwa, ont été obligés de le destituer. Ainsi donc, le héros mué en despote mégalomane a quitté le pouvoir par la porte dérobée du fait de ses propres turpitudes. Mais il demeure un héros malgré tout. C’est pourquoi ses tombeurs et successeurs préfèrent mettre en avant le côté lumière de l’homme plutôt que son côté ombres. A ce propos, il faut rappeler que le régime  actuel qui fait du Mugabe sans Mugabe, a décrété un deuil national qui va courir jusqu’à ses obsèques. Et la probabilité est grande que lors de celles-ci, Harare refuse du monde. Le voisin  sud-africain, Cyril Ramaphosa, par exemple, ne se fera pas conter l’évènement pour la simple raison que le camarade Bob a énormément contribué à desserrer l’étau de l’apartheid autour de son pays. En tout état de cause, la mort de Robert Mugabe marque la fin d’une époque. En effet, il est le dernier des Mohicans qui se sont illustrés dans la marche de l’Afrique vers la liberté. Rien que pour cela, il a droit à des funérailles nationales et à l’hommage du continent noir. Mais dans le même temps, sa disparition doit interpeller l’ensemble des dirigeants africains sur ce qui suit. D’abord, au nom de la légitimité historique, on ne peut pas tout se permettre. L’Algérien Boutef vient de l’apprendre à ses dépens. Ensuite, la longévité au pouvoir conduit à l’hystérie et à la ruine. Enfin, on ne peut pas tenir tout un peuple en laisse tout le temps. Le temps viendra inexorablement où il se révoltera. L’actuel président Mnangagwa, qui a été l’un des architectes des basses œuvres de Mugabe et qui entend faire du Mugabe sans Mugabe, gagnerait à méditer sur ces conseils.

 

« Le Pays »


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