HomeA la uneDONFOUI BONKIAN, CHEF DU SERVICE REGIONAL DE PROTECTION DE L’ENFANT DU CENTRE, A PROPOS DES SORTIES D’ENFANTS : «  De janvier à février 2022, on a reçu 56 déclarations de sorties d’enfants»

DONFOUI BONKIAN, CHEF DU SERVICE REGIONAL DE PROTECTION DE L’ENFANT DU CENTRE, A PROPOS DES SORTIES D’ENFANTS : «  De janvier à février 2022, on a reçu 56 déclarations de sorties d’enfants»


Commissaire principal de police, Donfoui Bonkian est le chef de Service régional de protection de l’enfant du Centre (SRPEC). Il nous a reçus dans son bureau situé dans les locaux du commissariat central de Ouagadougou, le 31 mars 2022, à l’effet d’échanger sur le phénomène d’enlèvements d’enfants dans la capitale burkinabè. Lisez-plutôt !

 

«  Le Pays » : Comment expliquez-vous le phénomène récurrent et récent d’enlèvements d’enfants ?

 

Donfoui Bonkian

Pour nous, ce n’est pas un phénomène qui est nouveau. Mais on a constaté ces derniers temps, que cela a pris de l’ampleur. Je dois préciser quelque chose. Le terme «  enlèvement » prouve qu’il y a eu une volonté manifeste d’une personne, de déplacer un enfant de son lieu d’habitation ou de son lieu de fréquentation habituelle. A quelles fins ? C’est une question qu’on peut bien se poser. Chez nous ici (la brigade ndlr), nous parlons plutôt de sorties d’enfants. Au niveau de notre service, nous recevons des déclarations de sorties d’enfants. Dans nos enquêtes, nous pourrons savoir si c’est un enlèvement, une simple sortie de l’enfant ou s’il est  égaré. C’est donc à l’issue d’une enquête qu’on pourra véritablement savoir s’il s’agit d’un enlèvement ou pas.

 

Comment expliquez-vous qu’on retrouve parfois des enfants enlevés, sans qu’on ait pu mettre la main sur les auteurs de ces enlèvements ?

 

 

L’enlèvement se fait sous plusieurs formes. Un père ou une mère peut aller enlever son propre enfant. Il peut y avoir une décision de Justice qui a été rendue en défaveur d’un membre du couple. Celui à qui la décision n’a pas été favorable, en voulant se rendre justice, peut guetter l’enfant soit à l’école ou à son lieu d’habitation, pour l’enlever. Dans ce genre de situations, lorsque nous recevons une plainte, et après enquête, nous retrouvons le père ou la mère auteur de l’enlèvement. C’est une décision de justice qui a été rendue et les parents séparés ont obligation de la respecter. Force reste à la loi. Si vous n’êtes pas content de la décision, faites appel. On va essayer de modifier les termes de l’ordonnance. Il y a aussi des enlèvements à des fins de mariage. On peut enlever une mineure avec l’intention de l’épouser ou de la marier.

 

Sur les réseaux sociaux, on lit des annonces d’enlèvements et après, on retrouve l’enfant mais pas l’auteur de l’enlèvement.  Qu’en dites-vous ?

 

 

Nous,  on parlerait plutôt d’enfant déclaré sorti. L’enfant a donc été retrouvé et on ne sait pas comment les choses se sont déroulées ? Et qui était derrière cet acte ? C’est ce que vous voulez comprendre ? Effectivement, on peut avoir une situation où l’enfant a été séquestré quelque part et avec les recherches lancées, l’auteur peut le libérer. C’est en écoutant l’enfant qu’on peut avoir une orientation sur ce qui s’est passé.

 

Avez-vous réussi à mettre la main sur quelques auteurs présumés ou eu affaire à certains qui ont été pris en flagrant délit ?

 

 

Si je dis qu’on a pris des gens en flagrant délit, il ne faudrait pas voir cela comme des gens qui ont enlevé des enfants à des fins criminelles. Dans l’exécution d’une décision de Justice, la mère ou le père va enlever l’enfant à l’école. Les recherches nous permettent après de le localiser. On peut effectivement dire que l’enfant a été retrouvé ainsi que l’auteur de l’enlèvement. C’est pour cela que nous invitons les uns et les autres à s’en tenir aux termes d’une décision de Justice. On ne se rend pas justice.

 

Est-ce que toutes les informations sur les réseaux sociaux à propos des enlèvements, sont avérées ? Si ce n’est pas le cas, quel est le but recherché par les auteurs de ces publications ?

 

Nous lisons ou entendons sur les réseaux sociaux : « enlèvements d’enfants ». Ce que je peux dire, c’est que si les gens patientaient un peu dès qu’il y a sortie d’un enfant avant de faire des publications, ce serait meilleur. Sinon, dès qu’on publie rapidement les informations, elles vont dans tous les sens. Alors qu’en réalité, ce n’est pas toujours ce que les gens pensent. Les réseaux sociaux contribuent à informer la population mais souvent, l’information va plus vite que la réunion de  tous les éléments nécessaires.

 

« Dans mon service, des enlèvements à des fins criminelles, on n’a pas encore rencontré ces cas »

 

Certains pensent que ces enlèvements sont pour des crimes rituels, d’autres disent que c’est à des fins de rançons ; qu’est-ce que vous en savez ?

 

 

Il faut qu’une enquête de police détermine, preuves à l’appui, que l’enfant qui a été enlevé, l’a été à des fins criminelles. Sinon, sans des enquêtes, on ne peut confirmer cela. Actuellement, dès qu’on dit qu’un enfant est sorti, les gens pensent que l’enfant a été enlevé à des fins criminelles.

 

 

 

Vous n’avez pas encore rencontré ce genre de situations au niveau de votre service ?

 

Dans mon service, des enlèvements à des fins criminelles, c’est-à-dire que nous sommes allés trouver le corps d’un enfant ou on a eu des indices, pour le moment, on n’a pas encore rencontré ces cas.

 

Y a-t-il eu des jugements relatifs à ces enlèvements d’enfants ?

 

 

Nous rendons cas de certaines situations qui s’apparentent à des enlèvements et le procureur décide de ce qu’il faut faire pour la suite.

 

Quelle est la situation actuelle dans la ville de Ouagadougou, concernant ce phénomène ?

 

 

A Ouagadougou, le phénomène est en tout cas récurrent. Il y a des chiffres mais cela ne concerne que mon service. Car, tout ce qui est lié aux enfants, ce n’est pas à notre seul niveau que cela est pris en compte. Au niveau des différentes brigades de gendarmerie, une tierce personne peut aller faire sa déclaration là-bas ; au  niveau des commissariats de police, c’est la même chose. Notre service est ici (commissariat central, ndlr) mais regardez la ville de Ouagadougou. C’est pour dire qu’on ne peut pas tout couvrir. Si quelqu’un doit quitter le quartier  Kilwin pour venir faire une déclaration chez nous, alors qu’il y a une brigade de gendarmerie ou un commissariat d’arrondissement, ce ne serait pas facile pour lui. Seulement qu’à la SRPEC, nous sommes spécialisés dans la protection de l’enfant. Mais cela n’empêche pas que les autres services reçoivent des déclarations de sorties d’enfants.

 

« Quand on a déclaré la sortie d’un enfant et qu’après il est retrouvé, vous avez l’obligation de venir faire la déclaration que l’enfant a été retrouvé »

 

Quelles sont donc les statistiques actuellement au niveau de votre service ?

 

En 2021, nous avons reçu 220 déclarations de sorties d’enfants, toutes formes confondues. Et à la fin de l’année 2021, on a reçu 95 déclarations d’enfants retrouvés sur les 220. De janvier à février 2022, on a reçu 56 déclarations de sorties d’enfants avec 24 déclarés retrouvés. Pour le seul mois de mars, nous avons 26 déclarations avec  6 enfants déclarés retrouvés. Quand on reçoit les parents, ils nous disent que l’enfant est sorti. Nous leur demandons d’expliquer ce qu’il s’est passé. C’est après les explications qu’on arrive à savoir de quoi il s’agit. Le plus souvent, c’est de la maltraitance. Le plus souvent, c’est de la négligence de la part des parents. Quand on a déclaré la sortie d’un enfant et qu’après il est retrouvé, vous avez l’obligation de venir faire la déclaration que l’enfant a été retrouvé.  

 

Qu’est-ce qui peut expliquer autant de déclarations de sorties et peu d’enfants déclarés retrouvés ?

 

Si des enfants n’ont pas été déclarés retrouvés, cela voudrait dire qu’il y a un problème. C’est quelques- uns seulement qui reviennent déclarer que l’enfant a été retrouvé. On ne peut  pas expliquer la différence (le gap entre le chiffre d’enfants déclarés sortis et celui des enfants déclarés retrouvés).

 

Quels conseils donnez-vous aux parents ?

 

Il y a une recrudescence des sorties d’enfants. Pourquoi cela ? Parce qu’il y a un problème. Et j’ai toujours attribué ce problème aux enfants. Ils sont moins regardants vis-à-vis des parents. Il y a de la violence à l’égard des enfants. Ils peuvent ne peut pas se rendre compte que ce sont des violences qu’ils exercent sur l’enfant. L’éducation d’un enfant n’incombe pas qu’aux seuls parents mais à toute la société. Mais les parents sont les premiers responsables. Nous leur demandons d’être plus regardants vis-à-vis de leur enfant. Il y a eu une régression dans l’exercice de l’autorité parentale. Il faut vite rattraper cela.

 

Et aux établissements scolaires…

 

 

L’éducation d’un enfant incombe aussi à tout le monde. Au niveau des établissements scolaires, il faut assurer la sécurité des enfants. Il faut mettre un bon dispositif sécuritaire. Le plus souvent, qu’est-ce qu’il se passe? Il y a des pères ou des mères qui enlèvent leurs enfants à partir de l’école. Alors que s’il y a un bon dispositif sécuritaire où tout est bien filtré, toute personne qui vient prendre l’enfant est automatiquement identifiée.

 

Quelle est la tranche d’âge des victimes de ce phénomène ?

 

 

Un enfant, c’est celui qui a moins de 18 ans. Ce sont des enfants de 4 ans et plus qui sont concernés par ce phénomène.

 

Y a-t-il un trafic d’enfants au Burkina ?

 

 

Quand on dit trafic d’enfants, les gens s’imaginent des choses. Nous, à notre niveau, on parle de la traite d’enfants à des fins d’exploitation. Ce sont des enfants qu’on recrute pour les envoyer à l’extérieur ou qui sont exploités dans des champs de coton ou sur des sites miniers à l’intérieur du pays. Cette situation au moins, on la rencontre. Quand on parle de trafic, les gens pensent que c’est le fait d’enlever des enfants pour aller les vendre.

 

Est-ce que le dispositif mis en place pour prévenir cette traite des enfants, ne présente pas des failles ?

 

Le dispositif est fonctionnel. Au Burkina, il y a suffisamment de textes qui traitent de la protection de l’enfant. Il y a des acteurs à plusieurs niveaux qui, dans une synergie d’action, agissent pour la protection de l’enfant. Ce qui pose problème, c’est l’ignorance des parents et leur collaboration avec l’autorité.

 

Qu’avez-vous à dire à l’endroit de l’opinion publique ?

 

Quand nous sommes saisis d’une affaire et que cela fait le tour des réseaux sociaux, les recherches peuvent être impactées. Récemment, un taximan a été interpellé par des riverains parce que dans son taxi, il avait un enfant de 4 voire 5 ans. Rapidement, les gens ont bondi sur lui et ils ont voulu le lyncher. Il a été sauvé  et on l’a conduit chez nous. Pendant ce temps, on disait partout qu’on a pris un taximan avec un enfant enlevé. Imaginez  ce que les gens attendent de notre service dans ce genre de situations. Quand on a un tel dossier, vous voyez un peu ce que cela fait. Mais nous restons sereins et menons l’enquête jusqu’au bout. En fin de compte, c’était l’enfant du taximan. En réalité, son domicile se trouve non loin du lieu où il avait stationné son taxi. Et son enfant était sorti avant de venir s’installer dans le taxi de son père. A l’écouter, quand il a eu un client, dans la précipitation, il a démarré son véhicule pour aller embarquer ses clients. Et c’est là qu’on a découvert  l’enfant dans le taxi. On a fait venir la mère avec les actes de naissance et il s’est avéré que c’est son enfant. Le plus souvent, l’information va vite. Mais l’enquêteur reste serein parce que nous cherchons des éléments de preuves. Mais des fois, cette attitude de l’opinion peut jouer sur l’enquête. Cependant, la pression de l’opinion ne doit pas perturber un enquêteur. On reste serein et on mène notre enquête jusqu’au bout.

 

Propos recueillis et retranscrits par Boureima KINDO

 


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