HomeA la uneDr OUANGO JEAN-GABRIEL A PROPOS DE LA PRISE EN CHARGE DES TOXICOMANES : « Les structures de soins adaptées n’existent pas encore au Burkina»

Dr OUANGO JEAN-GABRIEL A PROPOS DE LA PRISE EN CHARGE DES TOXICOMANES : « Les structures de soins adaptées n’existent pas encore au Burkina»


Dr Ouango Jean-Gabriel est Professeur titulaire de psychiatrie adulte et de psychogériatrie à l’UFR/SDS de l’Université Ouaga I Pr Joseph Ki-Zerbo de Ouagadougou, au Burkina Faso. Dans cette interview, nous abordons avec lui, la problématique liée à la consommation de la drogue par les adolescents. Il s’agit principalement des causes et des conséquences du phénomène. Il donne au passage des conseils aux parents et aux malades.

 

Le Pays : Comment peut-on expliquer que des adolescents se mettent à consommer la drogue ?

 

Dr Ouango Jean-Gabriel : La maturation physique et psychologique de tout être humain traverse invariablement des étapes psychologiques, sociologiques et environnementaux qui organisent son fonctionnement interne, définissent son appartenance familiale et sociale, et façonnent son comportement extérieur. Le petit enfant apprend à choisir entre ce qui est permis et ce qui est interdit, tandis que l’enfant plus grand apprend à se conformer, malgré ses pulsions, aux lois sociales. L’adolescent, quant à lui, a accumulé suffisamment de connaissances du monde extérieur à lui pour comprendre, comparer et choisir un comportement qui tend à le définir et à asseoir une identité qui lui est propre. C’est une période difficile, complexe et vulnérable, comportant souvent le rejet d’une partie de l’idéal parental. L’adolescent cherche à être le plus proche possible d’une image psychologique à laquelle il veut s’identifier. D’où les comportements d’imitation : imitation d’un père idéalisé qui fume, boit de l’alcool ; imitation d’un ami leader qui parle bien, joue bien au football, plaît aux jeunes filles, dépense de l’argent dans les maquis, ou fume la cigarette, boit de l’alcool ou consomme de la drogue. Le plus souvent, il s’agit d’adolescents en difficulté avec leurs parents ou ayant des difficultés dans leur adaptation à l’école, à la maison ou dans le quartier. La drogue est alors un médicament pour combattre leur détresse, leur inadaptation à la vie. Mais c’est un mauvais médicament qui va entraîner des habitudes de consommation responsables de comportements déviants, et à l’extrême, provoquer la maladie psychiatrique. Classiquement, on incrimine donc des facteurs psychologiques (troubles de la personnalité), l’inadaptation de l’environnement (bandes de délinquants, proximité des produits, facilités financières d’accès aux produits), difficultés familiales, difficultés scolaires, traumatismes précoces (perte de parents, viols, etc.).

 

Selon vous, quelle est actuellement l’ampleur du phénomène dans la société ?

 

Il n’est pas possible, malgré les efforts du Comité National de Lutte contre la Drogue, malgré les recherches à l’Université de Ouagadougou et dans les hôpitaux qui reçoivent ceux qui font des décompensations psychiatriques, de connaître l’ampleur réelle du phénomène. Mais au service de psychiatrie du CHU Yalgado Ouédraogo, nous avons noté que sur une période allant du premier mai au 31 octobre 2015, il y avait 50 toxicomanes sur 230 patients  hospitalisés. 98% étaient de sexe masculin. 84% étaient célibataires et c’était surtout les élèves du secondaire et les étudiants  qui étaient concernés (52%). Les produits les plus consommés étaient le cannabis et le tabac, mais les amphétamines (comprimés « bleu bleu », « missiles », « poggyang tond ballé »….), la cocaïne, l’héroïne et le tramadol étaient aussi consommés. La consommation de plusieurs produits était la règle.

 

« Le Burkina Faso compte seulement neuf psychiatres, tous hospitaliers, parmi lesquels un seul s’est spécialisé dans la prise en charge de la toxicomanie »

 

Quelles sont les effets de la drogue sur ses consommateurs, notamment les enfants ?

 

Les risques principaux liés à la consommation de la drogue sont, entre autres, la dépendance. C’est le désir impératif de consommer le produit ; difficultés à contrôler le moment et la quantité de produits consommés ; réactions désagréables si le produit n’est pas absorbé (sevrage). La tolérance, c’est l’augmentation progressive de la dose pour obtenir les mêmes effets. Il y a également la perte progressive d’intérêt pour d’autres plaisirs ou activités et les difficultés d’arrêter la consommation, même en ayant conscience des dégâts physiques et psychologiques provoqués par le produit. Quant aux conséquences, on peut noter principalement les troubles mentaux graves. L’étude faite à Yalgado a montré que 92% des patients consommateurs de drogue hospitalisés, qui n’avaient pas souffert de maladies mentales auparavant, ont vu apparaître des troubles psychiatriques  après un délai de consommation de 5 à 10 ans. Même s’ils ne sont pas hospitalisés, ces jeunes toxicomanes, à longueur d’années, changent de caractère, deviennent délinquants, parfois criminels, toujours marginalisés.

 

Comment traitez-vous les maladies dues à la drogue ?

 

Lorsque les patients consommateurs de drogue arrivent au service de psychiatrie, c’est qu’ils présentent déjà des signes psychiatriques révélant certaines maladies. Ils sont alors reçus par l’équipe qui évalue le type de maladie associée et sa gravité. Des protocoles thérapeutiques sont alors mis en branle : examens biologiques et radiologiques, utilisations de produits chimiques, traitements psychologiques, conseils aux parents. Mais il y a des conditions obligatoires : le patient doit être motivé sinon cela ne servira à rien s’il n’est pas décidé à changer son comportement vis-à-vis de la drogue. Par ailleurs, il est strictement interdit de consommer la drogue à l’hôpital.

 

« La prise en charge des toxicomanes doit se faire dans des structures de soins adaptées »

 

Quelles sont les difficultés auxquelles vous êtes confrontés dans la prise en charge de ces malades ?

 

Les difficultés sont de plusieurs ordres. Il y a celles liées au patient : s’il ne veut pas arrêter de consommer sa drogue, malgré la psychothérapie et l’information sur les dangers personnels qu’il court, la prise en charge ne peut être qu’un échec. Par ailleurs, si la drogue a déclenché une maladie mentale grave qui était jusque-là contrôlée par le malade, le traitement devient long et les chances de succès sont moindres. Ensuite, on note des difficultés liées aux parents : certains parents ne demandent pas une prise en charge de fond. Ils n’adhèrent donc pas à nos schémas thérapeutiques. Ils demandent simplement de calmer l’agitation, de faire cesser l’agressivité, de corriger les dénutritions et les dépressions consécutives à la toxicomanie. Certains d’entre eux ont honte que l’entourage apprenne que leur enfant se drogue et qu’il fait une maladie mentale. Ils se cachent donc et amènent leur enfant auprès de certaines personnes incompétentes dans la prise en charge de ces pathologies. En outre, il y a des difficultés liées au déficit en personnel qualifié : le Burkina Faso compte seulement neuf psychiatres, tous hospitaliers, parmi lesquels un seul s’est spécialisé dans la prise en charge de la toxicomanie. Les huit autres ont de l’expérience et de la compétence (cela fait partie de leur cursus de formation) qu’ils mettent au service des toxicomanes malades ou non. Les attachés de santé en psychiatrie ont des notions générales de soins aux toxicomanes, mais il est nécessaire d’avoir une équipe bien formée et bien organisée. Bien entendu, nous avons des difficultés en rapport avec les infrastructures hospitalières. La prise en charge des toxicomanes malades ou non, si l’on veut qu’elle soit efficace, doit se faire dans des structures de soins adaptées, qui n’existent malheureusement pas encore au Burkina Faso. Enfin, il y a les difficultés en lien avec l’accessibilité facile aux produits. Ces produits sont vendus à la sortie de l’hôpital Yalgado et certains de nos patients s’en procurent sans difficulté, se cachent pour les consommer et perturbent les soins qu’ils reçoivent.

 

Quel est le rôle des parents dans la prise en charge d’un adolescent malade ?

 

Pour participer pleinement à la prise en charge de leur enfant, les parents doivent : être présents durant l’hospitalisation ou rendre régulièrement visite à leur enfant et arrêter de vouloir le faire garder par des vigiles à l’intérieur de l’hôpital ; parler à l’enfant de son problème sans le culpabiliser et l’écouter afin d’identifier des projets qui peuvent le motiver à arrêter ; amener toute la famille à comprendre que le patient est en détresse et a besoin de la famille ; arrêter l’hypocrisie qui consiste à faire comme si seul l’enfant est responsable alors que l’environnement familial est comptable du début, de l’évolution et des complications de la toxicomanie de leur enfant.

 

Quels conseils donneriez-vous aux parents dont les enfants sont accros de la drogue ?

 

C’est notamment : montrer son amour à l’enfant et l’encourager à s’en sortir ; changer son propre comportement vis-à-vis de l’ensemble des enfants ; proposer des activités saines susceptibles de revaloriser l’enfant à ses propres yeux et l’aider à les organiser ; suivre les conseils des spécialistes afin de minimiser les risques de rechute ; améliorer l’atmosphère familiale en cherchant des moments de détente et de communication ; chercher à comprendre les difficultés scolaires et sociales de l’enfant et éviter d’exiger en permanence des performances au-dessus des capacités de l’enfant.

 

Propos recueillis par Michel NANA en collaboration avec Afronline

 

 

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« Le Burkina Faso compte seulement neuf psychiatres, tous hospitaliers, parmi lesquels un seul s’est spécialisé dans la prise en charge de la toxicomanie »

 

 

 

 


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