HomeA la uneDr OUSSENI TAMBOURA, PRESIDENT DE LA COMMISSION D’ENQUETE PARLEMENTAIRE SUR LA GESTION DES TITRES MINIERS : « Il n’y a pas de règlement de comptes »  

Dr OUSSENI TAMBOURA, PRESIDENT DE LA COMMISSION D’ENQUETE PARLEMENTAIRE SUR LA GESTION DES TITRES MINIERS : « Il n’y a pas de règlement de comptes »  


 

Elu sous la bannière du Mouvement du peuple pour le progrès (MPP), Dr Ousséni Tamboura est député à l’Assemblée nationale où il occupe la fonction de 4e vice-président de cette institution. Ce juriste de formation est, en plus, président de la Commission parlementaire sur la gestion des titres miniers. C’est ainsi qu’au lendemain de la publication officielle du rapport d’enquête sur les titres miniers, nous l’avons rencontré pour comprendre un certain nombre de choses. Sans détour, Dr Ousséni Tamboura a accepté s’entretenir avec nous.

 

Le Pays : Comment s’est déroulé le travail que votre commission a mené sur le terrain ?

Dr Ousséni Tamboura : Les Commissions d’enquête, il faut le rappeler, sont définies dans le règlement de l’Assemblée nationale et qui fait office de règlement intérieur de fonctionnement de celle-ci. Ainsi, nous avons des limites règlementaires qui nous obligent à organiser le travail d’une certaine façon et nous ne pouvons pas excéder quatre-vingt-dix jours de travaux. Généralement, les députés qui composent la Commission d’enquête sont appuyés par des personnels administratifs, des assistants de cadres supérieurs qui viennent aider des commissaires à organiser le travail. La Commission dispose aussi de ressources publiques, c’est-à-dire financières, pour s’attacher les services de tout expert qu’elle juge nécessaire d’avoir à ses côtés. Après cela, la Commission organise son travail sur la base de ses missions et à ce titre, les procédés sont assez classiques. Et quand on veut mener une enquête, il y a la recherche documentaire à savoir la collecte de l’information, les auditions qui consistent à cibler les personnes qui peuvent apporter les réponses que se posent les députés. C’est dans ce cadre que des membres du gouvernement, des sociétés minières, des acteurs du secteur des mines, des anciens ministres, des personnes des comptoirs ont été auditionnés sur des questions précises. Il y a une autre technique qui consiste à aller rencontrer les acteurs sur le terrain dont par exemple les orpailleurs, les populations qui abritent des sociétés minières parce qu’elles se plaignent souvent. Il y a un travail d’écoute et de dialogue qui a été mené par les députés, qui a consisté à poser des questions et il s’agissait, entre autres, de demander à combien vous avez été dédommagé par la mine. Est-ce que vos enfants y sont employés et bien d’autres ? Nous le faisons également avec l’administration de la mine et les employés, avec bien d’autres questions. Ainsi, nous avons su qu’il y a, par exemple, deux groupes de travailleurs dont certains ont des contrats avec la mine et d’autres avec des sociétés de placement. Il faut relever que nous enregistrons les auditions et il y a eu aussi un appel à témoignages publics.

Pour un travail pareil, il y a certainement des difficultés. Pouvez-vous nous en parler ?

Les difficultés constituent le caractère très vaste du sujet. Quand on considère que le secteur des mines est dominé par les compagnies minières, cela n’a pas été très difficile d’organiser les séances d’auditions avec elles. Nous en avons une douzaine. Donc, il est facile de planifier. Lorsque vous prenez la situation des sites d’exploitation artisanale ou d’orpaillage sauvage, il y en a plus de deux cents sur l’ensemble du territoire et vous vous demandez comment rencontrer tous les acteurs. A ce niveau, la Commission a échantillonné en choisissant de rencontrer un certain nombre d’acteurs. En dehors de cela, la Commission n’a pas rencontré de difficultés du point de vue organisationnel et technique.

Que répondez-vous à ceux qui disent que la Commission a fait dans le règlement de comptes ?

Il n’y a pas de règlement de comptes et je dis toujours que les enquêtes parlementaires sont encadrées par la loi. Ce sont d’abord les députés qui ont le pouvoir de mettre en place les Commissions d’enquête et cela est dit par la Constitution. Celle-ci et le règlement de l’Assemblée nationale disent que lorsque ces Commissions sont mises en place, elles doivent forcément être composées de toutes les forces politiques qui existent au Parlement à savoir la majorité et l’opposition. Dans ce cadre, toutes les deux entités étaient présentes dans la Commission et comme nous disions comment celle-ci travaille donc naturellement, elle ne peut pas être un instrument de règlement de comptes. Lorsque la résolution mettait en place la Commission d’enquête et qu’elle disait que nous devions enquêter de 2005 à 2015, elle a été votée à l’unanimité et aucun député n’a dit être contre. C’est l’ensemble des députés, sur la base que le développement minier de notre pays semble ne pas avoir apporté ce qu’on espérait, qui ont décidé de jeter une lumière sur le secteur des mines. A priori, personne n’est visée mais naturellement qu’à l’arrivée, ceux qui ont été gestionnaires de cette période sont forcément concernés par les résultats de l’enquête. C’est un procès d’intention puisqu’aussi bien les personnalités politiques de la majorité et de l’opposition ont été citées dans le rapport.

Pouvez-vous nous rappeler quelles sont ces personnalités et qu’est-ce qu’on leur reproche ?

Je prendrai deux faits. Au sujet de la fraude, la Commission a établi qu’il y en a manifestement eu. C’est en 2006 que le secteur des mines a été libéralisé et il a été plus ou moins supprimé le monopole de l’Etat sur la commercialisation de l’or à travers le Comptoir burkinabè des métaux précieux (CBMP) pour instaurer des comptoirs privés. Mais manifestement, les déclarations des sorties d’or ne correspondent pas à la quantité d’or produite sur l’ensemble du territoire et il y a eu des enquêtes qui ont dit qu’une dizaine de tonnes de notre or s’étaient retrouvées au Togo qui n’est pas un pays producteur. Il y a aussi que la Brigade nationale anti-fraude a saisi, ces dernières années, des cas de fraude dont les 77 kilogrammes d’or. Au niveau des comptoirs d’achat, elle s’est rendu compte qu’il y a des gens qui ne mentionnaient pas les quantités d’or qu’ils avaient sur eux et exportaient à l’étranger. Ainsi, ceux qui sont suspectés de fraude ont été cités. Mais, c’est sur le sujet Tambao que la Commission a été écœurée, troublée par un certain nombre de faits qui se sont succédé et c’est un véritable casse-tête burkinabè parce qu’on ne sait pas où passer pour résoudre ce problème. En 2007, le gouvernement burkinabè autorise une entreprise d’Asie ou d’Arabie Saoudite appelée Al Rawadi, à faire des études espérant avoir un titre d’exploitation du projet Tambao. Quatre ans plus tard, on lui dit de ne plus faire ce qu’elle faisait et elle est remplacée par une autre entreprise qui s’appelle NICE group international qui devrait venir de Singapour. Un premier contentieux est que Al Rawadi se sent lésée et demande à être dédommagée. Sans faire de bruit, l’Etat lui donne de l’argent et la Commission n’a pas pu établir combien de francs lui a été reversé. L’Etat et le gouvernement n’ont pas pu tirer leçon de ce contentieux. NICE group a, par la suite, travaillé pendant un à deux ans et subitement en 2012, on lui dit qu’il est prévu un appel d’offres international et qu’elle n’aura pas le titre d’exploitation de Tambao. Ce groupe se sent donc frustré et exige d’être remboursé sur ce qu’il a déjà investi. On fait l’appel d’offres international et le comité de règlement des conflits des marchés publics dit au ministre des Mines de l’époque, Abdoulkader Cissé, qu’il n’est pas régulier. Malgré cela, le résultat de l’appel d’offres donne un permis de recherche et d’exploitation à un groupe qu’on appelle Pan african minerals et pendant ce temps, on s’entend avec NICE group qu’il va être payé à 15 millions de dollars qui font, près de 9 milliards de F CFA. Et c’est ainsi que le nouveau ministre des Mines, Salif Kaboré, signe cet accord. En juin 2013, on demande au ministère des Finances de payer une partie de cette somme et NICE group qui constate que ce n’est pas fait, porte plainte au Tribunal arbitral de Paris qui règle les conflits entre investisseurs. Ce Tribunal condamne l’Etat burkinabè à payer les 15 millions de dollars. Est-ce que le ministre des Mines a qualité d’aller dans un pays pour signer un accord avec une entreprise pour dire que l’Etat va lui payer 9 milliards de F CFA alors qu’il y a le ministre des Finances ? Lorsqu’on donne le permis au troisième opérateur Pan African de Franck Timis, il n’avait pas, en 2012, les garanties financières et techniques pour exploiter Tambao. Ainsi, nous avons recruté un cabinet en France pour faire des recherches sur cette société et les informations en notre possession, c’est qu’en 2012, Franck Timis était déjà en difficulté financière et n’a jamais exploité une mine de manganèse. Pendant qu’on essaie de comprendre, Franck Timis écrit à l’Etat burkinabè le 9 septembre dernier pour dire que la Transition l’a empêché d’exploiter le manganèse et donc, qu’on doit lui payer 4 milliards de dollars. Savons-nous ce que vaut cette somme ? Une fois de plus, l’Etat burkinabè doit payer l’argent à quelqu’un, par la faute de nos dirigeants. Quand nous avons fait les auditions, il a été constaté de gros soupçons de corruption. Et la Commission dit qu’il faut engager des poursuites judiciaires contre les anciens ministres. (Peut-être que lors du processus, on saura si oui ou non, ils sont corrompus), de même qu’à l’encontre de l’ancien conseiller spécial du président du Faso de l’époque, à savoir François Compaoré dont le nom est revenu trop souvent dans ce dossier Tambao et contre Franck Timis qui apparaît finalement comme le monsieur qui veut piller l’Etat burkinabè.

Certains pensent que la formation de la Commission pèche en elle-même par son déséquilibre. Qu’en dites-vous ?

Nous sommes dix commissaires représentant tous les groupes politiques et tous les groupes parlementaires y sont représentés. La représentation est proportionnelle à la taille du groupe parlementaire et cela est compréhensible mais, il faut relever que la Commission ne fonctionne pas dans le fait majoritaire. Je rappelle que les rapports ont été consensuels et votés par tous les députés.

Vous concluez qu’il y a un manque de 551 milliards de FCFA. Qu’est-ce que cela signifie concrètement ?

Nous avons été très clairs à la séance publique de restitution des résultats, en disant que ce sont des manques à gagner. C’est ce que l’Etat a perdu comme produit financier essentiellement depuis 2005 jusqu’à 2015 par sa mauvaise organisation. Le rapport dit d’ailleurs que c’est au bas mot 551 milliards de FCFA parce que certainement, le temps et les documents ne nous ont pas permis d’établir des hypothèses économiques pour évaluer les véritables pertes subies par l’Etat. Par exemple, pour ce qui est de Tambao, on dit que l’Etat doit payer 15 millions de dollars mais, d’où va venir l’argent si ce n’est pas du Trésor public ? C’est un manque à gagner puisque ce n’est pas de l’argent à récupérer. Au sujet du manganèse, il y a eu 40 000 tonnes qui ont été exploitées avec une partie qui se trouve à Kaya alors qu’elle devait prendre les rails pour être acheminée au port parce que le manganèze a les caractéristiques d’un minerais très lourd qui ne peut pas être transporté par la route. Ces 40 000 tonnes ont été transportées à Kaya par le goudron qui a été dégradé et c’est un manque à gagner parce qu’il n’a pas été construit pour le projet Tambao, mais pour le développement de la région. Il faut relever que les 12 compagnies minières ont créé environ 7 000 emplois dont 1 920 expatriés. Or, notre enquête révèle que le salaire d’un expatrié est généralement plus élevé que celui d’un national et il y en a qui diront que c’est normal. Prenons une hypothèse que l’Etat avait été conséquent en faisant la promotion des cadres burkinabè dans les mines. Des salaires importants seraient revenus à au moins 500 burkinabè qui paieraient des IUTS à la CNSS et investiraient dans bien d’autres domaines et c’est aussi un manque à gagner. Un manque à gagner où il n’y a pas de discussion, c’est que l’Etat dit que si vous voulez créer une mine au Burkina, vous êtes exonéré de douane. Et dans nos enquêtes, nous avons demandé à l’expert-comptable que nous avons recruté d’aller à la douane pour chercher à savoir ce que l’Etat a refusé de prendre chez les miniers. La douane nous dit que cela fait 114 milliards de F CFA, de 2011 à 2015, et notre expert-comptable nous confie avoir trouvé 177 milliards de FCFA. En plus de cela, il y a la spéculation sur les titres miniers et c’est donc au moins 551 milliards de F CFA. Dans cette somme, la Commission a indiqué  qu’il y avait des sommes qui pouvaient être recouvrées et cela fait partie de l’argent que les mines devaient utiliser pour restaurer l’environnement. Nous avons constaté que beaucoup d’entreprises minières, au moins cinq d’entre elles, ne payaient pas les dividendes. Depuis 2010, il n’y a que six entreprises minières qui ont versé des dividendes à hauteur de 15 milliards de FCFA pendant que les autres disent qu’elles n’ont pas de résultat bénéficiaire et nous avons évalué cela à 21 milliards de FCFA. Nous ne parlons pas de la fraude parce que sur un kilogramme d’or, la taxe à l’importation est de 450 000 FCFA.

Pensez-vous que le code minier de l’époque a favorisé les actes délictueux que vous avez relevés dans votre rapport ?

Je ne pense pas que ce soit lié au code. Lorsque nous avons auditionné les acteurs, surtout les anciens ministres, ils ont justifié comment le code minier de 2003 a été fait. Il s’agissait d’attirer des investisseurs à travers des facteurs d’attractivité et c’était une bonne chose. Mais, quand vous faites un contrat avec quelqu’un, il faut vous assurer que vous avez les moyens de contrôle que toutes les choses seront respectées. C’est plutôt cela qui a manqué. C’est l’organisation et peut-être la mauvaise foi de certains dirigeants de l’époque, qui ont voulu profiter de ce développement minier à leur compte personnel. Le code de 2015, tirant leçon de cette situation, a voulu corriger certains aspects. Il dit désormais que, même si les résultats des entreprises sont négatifs, la société minière doit payer les dividendes prioritaires. Dans le rapport, nous avons dit que les mines paient des taxes et l’argent va au Trésor qui le renvoie dans les communes où il y a les mines. Mais, le Trésor ne dit pas au maire que cet argent que je vous envoie est celui payé par les mines alors que celui-ci croit que c’est envoyé par l’Etat. Ces maires mettent cela dans les frais de missions et le carburant. La conséquence, c’est qu’ils ne peuvent pas présenter aux populations, une seule infrastructure réalisée par l’argent des mines. En faisant une simulation dans le rapport, nous avons dit que si tout l’argent reçu par les communes avaient été transformé en CSPS, en CEG et en forages, notre pays auraient fait un bond qualitatif dans le développement.

Et votre appréciation sur le nouveau code minier ?

Je ne suis pas sûr qu’il va régler le problème parce qu’il y a une bonne part qui dépend des hommes et des dirigeants. Le code minier de 2015 a fait une avancée de contrôle des retombées du secteur minier par le peuple et cela se traduit par des textes d’application. Mais, c’est surtout une question de gouvernance et d’organisation. Il s’agit de savoir si notre administration, notre Etat, est suffisamment outillé pour signer des conventions mutuellement bénéfiques avec les compagnies minières ou organisé pour encadrer les milliers d’orpailleurs sur l’ensemble du territoire, pour s’assurer que tout l’or produit ne sort pas sans payer les taxes et nous avons 154 millions de tonnes d’or en potentiel. Est-ce que d’ici à l’horizon 2020, notre Etat est organisé pour dire que sur les 1 920 expatriés, nous allons remplacer au moins la moitié par des Burkinabè puisque nous avons des diplômés qui chôment.

Qu’est-ce que vous auriez aimé dire que nous n’avons pas pu aborder ?

Il faut remercier l’ensemble des députés. Que ce soit l’enquête sur les mines ou sur le foncier, tous les actes ont été faits à l’unanimité par les députés. Ils ont aussi adopté à l’unanimité les rapports sur les différentes enquêtes, avec l’ensemble des recommandations et des propositions de lois afin que nous puissions réorganiser ces deux secteurs. Maintenant, il faut s’assurer que les choses seront mises en œuvre et là encore, le Parlement a pris des dispositions en mettant en place des comités de suivi sur ces recommandations. Mais, il s’agit de demander à l’ensemble des acteurs de penser à l’intérêt national sur ces deux sujets. Il reste à jouer un épisode 2, qui est la mise en œuvre et je pense que le gouvernement est de très bonne volonté et que les choses vont changer.

Propos recueillis par Antoine BATTIONO


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