HomeRencontreEL HADJ HAMADI BARO DE RETOUR DE LA MECQUE : « Les visites médicales ne se font pas dans les règles de l’art »

EL HADJ HAMADI BARO DE RETOUR DE LA MECQUE : « Les visites médicales ne se font pas dans les règles de l’art »


Il faisait partie des 5 500 pèlerins qui ont pris part au hadj 2015. La première expérience de sa vie. Hamadi Baro, journaliste-collaborateur des Editions « Le Pays », a accompli le 5e pilier de l’islam en bonne santé. C’est avec enthousiasme que nous l’avons accueilli à la Rédaction pour qu’il puisse nous décrire son séjour en terre sainte où tout musulman souhaite se rendre pour raffermir davantage sa foi. Entre autres questions que nous avons abordées avec notre confrère, ce sont la bousculade meurtrière de Mina qui a coûté la vie à plus de mille pèlerins, son expérience du pèlerinage et l’analyse qu’il fait du hadj. Lisez plutôt !

 

« Le Pays » : Pourquoi celui qui revient de la Mecque est-il couramment appelé El Hadj dans notre communauté ?

Hamadi Baro : Selon les théologiens, le mot « hadj » signifie voyage. Dans le droit musulman, on parle de « hadj baytoullah » qui signifie voyager vers la maison sacrée de Dieu. Depuis Médine jusqu’à la Mecque, les autochtones appellent les étrangers qui viennent généralement pour les rituels, « hadj ». Alors, si vous êtes un homme, on vous appelle « hadj ». Si c’est une femme, c’est « hadja ». Ce qui veut dire tout simplement « étranger », puisque vous êtes en voyage pour les Lieux Saints. Pour moi, c’est une fois que vous êtes là-bas, qu’on doit vous appeler « hadj ». Lorsque vous êtes de retour chez vous, vous n’êtes plus « hadj » car vous n’êtes plus étranger, encore moins en voyage. Il importe de signaler qu’il n’existe aucun texte religieux qui stipule qu’on doit s’appeler El hadj un tel, une fois avoir effectué le hadj. Donc, si je peux m’exprimer ainsi, c’est en quelque sorte un abus de langage que d’utiliser le mot « El Hadj » comme un titre.

 

Vous venez d’arriver de La Mecque, comment vous vous portez ?

Je me porte très bien. Mon pèlerinage s’est bien passé. Car j’ai pu pratiquer le rituel comme il se doit. Je rends grâce à Allah qui m’a permis d’effectuer ce voyage vers sa Maison sacrée.  Je déplore le nombre de victimes que nous avons enregistrées des suites de maladies et de la triste bousculade. Je présente toutes mes condoléances aux familles éplorées. Sur ce, il est rapporté que tous ceux qui ont exprimé l’intention d’effectuer le hadj pour s’approcher de Dieu et qui trouvent la mort sur les lieux saints, seront ressuscités le jour du jugement dernier en tenue de sacralisation et disant : « Labaïka Allahoumma labaïka », c’est-à-dire « Me voici ! O Mon Seigneur, me voici ! » Qu’Allah leur pardonne et les accepte dans Son Paradis !

 

Certains pèlerins se plaignent de n’avoir jusque-là pas pu retirer leurs bagages, est-ce le cas chez vous ?

Non. Je suis rentré en possession de tous mes bagages. Cela, après deux jours d’intenses recherches. Je me plaignais car j’ai estimé qu’il y avait un problème d’organisation au niveau de l’aéroport. On laisse les bagages s’entasser au fur et à mesure qu’ils arrivent. Ce qui fait qu’il est très difficile de pouvoir fouiller et retrouver ses bagages à temps. Le Comité d’organisation doit revoir sa copie pour qu’à chaque arrivée, on puisse classer les bagages des pèlerins en fonction de leur ordre d’arrivée.

 

Il nous est revenu que certains pèlerins se sont égarés à Mina, est-ce vrai ?

Le déferlement des pèlerins de Arafat à Mouzdalifat et de Mouzdalifat à Mina n’est pas chose facile. Il y a trop d’embouteillages. Car ce sont des millions de pèlerins qui quittent Arafat pour Mina pour le jet des « Jamarates » ou stèles, encore appelé « lapidation de Satan ». Chaque pays vient avec ses drapeaux pour pouvoir guider ses pèlerins. Une fois qu’un pèlerin perd de vue le drapeau de son pays, il lui est souvent difficile de se retrouver. Ce genre de cas, on en enregistre à chaque pèlerinage, disent les organisateurs.

Où étiez-vous le jour de la bousculade meurtrière de Mina qui a coûté la vie à plus de mille personnes ?

Je ne peux effacer de ma mémoire ce que j’ai vécu le jour de la bousculade. Si je suis resté vivant, c’est par la grâce d’Allah. Car c’est juste après le départ du groupe, dont je faisais partie, du lieu du jet de pierres, que l’incident s’est produit. Selon des informations que nous avons eues, en 2005, il y a eu une bousculade qui avait fait environ 300 morts. En son temps, le roi Fahd avait décidé de réaménager Mina afin d’éviter qu’il y ait des morts dans cette localité. Dès lors, tout est fait de telle sorte que lorsqu’un pèlerin emprunte une voie à l’aller, il lui est impossible de l’emprunter au retour. Quand nous sommes allés jeter les pierres, de retour, nous nous sommes retrouvés sur une voie au-dessus des tentes. De là, nous avons vu des ambulances qui se suivaient en file indienne. C’est après qu’on a appris la triste nouvelle concernant le nombre de victimes.

 

Quelles sont, selon vous, les raisons de ce drame ?

Au tout début de l’incident, il n’y a pas eu de communication. Personne ne pouvait a priori en déterminer les causes. C’est par la suite qu’on a entendu certains pèlerins accuser la sécurité d’avoir bloqué la voie principale aux milliers de pèlerins qui déferlaient de la pleine de Mouzdalifat pour le jet des stèles. Beaucoup ont été obligés d’emprunter des petites voies.

« Les pèlerins burkinabè étaient à 70% de vieilles personnes »

Malheureusement, ils ont rencontré ceux qui avaient fini de jeter les pierres et qui revenaient. Alors que quand vous transgressez les règles, vous devez vous attendre à ce genre de drame. Par la suite, on a appris que ce blocage de la voie par les agents de sécurité était lié au passage du convoi d’un des princes de la famille royale.

 

Les Burkinabè qui ont été victimes de ce drame ont-ils été tous bien pris en charge là-bas ?

La question serait plus intéressante à poser à l’équipe médicale. J’ai eu des entretiens avec certains d’entre eux qui nous ont fait savoir qu’ils ont été immédiatement pris en charge et que ceux qui se sentaient beaucoup mieux sont rentrés. En venant, j’ai appris qu’il y a deux personnes qui étaient dans une situation très critique et une en situation d’amélioration. En tout cas, à ce que je sache, tous ceux qui étaient malades ont été pris en charge par les agents de santé saoudiens.

 

Est-ce que les dépouilles des pèlerins qui ont trouvé la mort au cours de ce drame ont été rapatriées ?

Je ne le pense pas. Parce qu’à ce que je sache, suite à un drame en terre sainte, ce qui intéresse les autorités saoudiennes, c’est l’identification du corps. Une fois cela fait, on l’enterre là-bas.

 

Il semble qu’il est déconseillé aux gens du 3e âge de faire le pèlerinage pour leur propre sécurité et en raison de la rudesse des rites. Partagez-vous cet avis ?

Je partage parfaitement cet avis. En échangeant avec une agence, j’ai appris qu’on notait cette année plus de 70 % de vieilles personnes dont la tranche d’âge variait entre 60 à 70 ans. Alors que cela n’est pas conseillé. Avec ce que les pèlerins vivent là-bas, quand une personne de cet âge s’y trouve, ce n’est pas facile. Car le hadj recommande la santé physique et morale du pèlerin. Si vous ne remplissez pas ces obligations, vous en souffrirez. Le hic, c’est que ces vieilles personnes, même étant chez elles, n’arrivent pas à se mouvoir d’elles-mêmes. Pour boire de l’eau, il faut quelqu’un pour les aider. Pour trouver de la nourriture, il faut quelqu’un pour les aider. Vous imaginez le calvaire de ce genre de personnes, si elles se retrouvent à la Mecque, surtout sans accompagnant ? Nous avons entendu des histoires sur de vieilles personnes qui s’en prenaient à leurs fils et filles de les avoir envoyées là-bas. Alors, si on retrouve beaucoup de vieilles personnes très fatiguées à la Mecque, souvent malades, c’est parce qu’à mon avis, les visites médicales ne se font pas toujours dans les règles de l’art. Car j’ai demandé à un agent de santé pourquoi, après les visites médicales, on voit de vieilles personnes souvent incapables de marcher au hadj. Il m’a juste répondu que ce n’est pas à eux de décider de qui doit faire le hadj ou pas. Leur travail, m’a-t-il précisé, c’est de faire un bilan de santé, dire au pèlerin de quoi il souffre et ce qu’il doit prendre pour soulager sa souffrance. Poursuivant ses explications, l’agent de santé m’a dit que cette année, il y a deux pèlerins à qui les médecins ont demandé aux parents de reconsidérer leur position, au regard de leur santé. Malheureusement, ces personnes ont trouvé la mort deux semaines après les diagnostics des médecins. Imaginez-vous si celles-ci s’étaient rendues à la Mecque.

« Il faut éviter d’envoyer les vielles personnes à La Mecque »

Donc, il est temps qu’on commence à écarter certains après les bilans de santé. Pour la petite anecdote, durant mon séjour à la Mecque, j’ai croisé un responsable d’agence qui suivait un pèlerin comme une poule et son poussin. Lorsque j’ai cherché à comprendre pourquoi il suivait régulièrement le pèlerin, il m’a répondu que s’il le perdait de vue, ce dernier risquerait de se perdre. Car il ne sait même pas où se trouve son dortoir. C’était un vieil homme. Le comble est que lorsque celui-ci avait besoin de se soulager, il fallait qu’il l’accompagne jusqu’aux toilettes.

 

Est-ce qu’il est recommandé dans le Coran de faire le hadj à la place de ces personnes physiquement abattues ?

Oui. En islam, il est permis de faire le hadj au nom d’une tierce personne lorsqu’elle n’est pas physiquement apte à le faire. Donc, il est possible de demander aux vieilles personnes de laisser leurs fils faire le hadj à leur place. Dans le cas contraire, il faut forcément envoyer un accompagnant qui va aider la vieille personne à accomplir ses rites. Mais cela nécessite de gros moyens. Un responsable d’agence m’a déjà fait une confidence selon laquelle lorsque les gens envoient des photos pour les passeports, ils donnent généralement des photos des intéressés lorsqu’ils étaient encore plus jeunes. Au moment de l’embarquement, on se rend compte que ce sont de vielles personnes. Que faut-il faire dans ce cas de figure ? Donc, il faut un travail de fond. Au niveau de l’établissement des passeports, il faut plus de rigueur dans la vérification des âges des pèlerins. Pour ce qui est des visites médicales, il faudra que les médecins aient le pouvoir de se prononcer sur la participation de certaines personnes au hadj après avoir fait le bilan de santé des pèlerins.

 

Quelle différence faites-vous entre le pèlerinage d’hier et celui d’aujourd’hui en termes de rites, de foi, d’accueil, etc.

En matière de rites, ce sont les mêmes. En matière de foi, chacun a sa conviction. Il faut dire qu’auparavant, les pèlerins souhaitaient prolonger leur séjour à La Mecque pour les rites surérogatoires. Plus vous faites des semaines, plus vous avez des bénédictions en allant accomplir vos prières en Lieux-Saints et en accomplissant le petit pèlerinage pour des proches. Aujourd’hui, c’est le contraire. Immédiatement après le hadj, les pèlerins cherchent à rentrer chez eux. Beaucoup estiment qu’en 21 jours, on peut effectuer le pèlerinage.

 

Quelle différence y a-t-il entre faire le pèlerinage une seule fois et le faire plusieurs fois, comme c’est le cas chez certains ?

Faire le pèlerinage une seule fois, c’est une obligation pour ceux qui en ont les moyens. Car, le pèlerinage à la Mecque fait partie des piliers de l’islam. Mais, si vous avez les moyens, vous pouvez le faire plusieurs fois, c’est à ce moment qu’on parle d’acte surérogatoire. Si vous pouvez faire ça pour autrui, ce serait encore meilleur. C’est ce qui amène les gens à le faire plusieurs fois. Car cela permet de raffermir davantage sa foi.

 

Il a été constaté, dans certains milieux, que ceux qui reviennent de La Mecque deviennent souvent riches. Est-ce qu’on partage de l’argent à la Mecque ?

(Rire). Partager l’argent ? Non ! Je n’en ai pas vu. Mais des bénédictions, on en gagne. On ne partage pas de l’argent à La Mecque. Seulement, celui qui va à La Mecque renaît. Ses péchés sont pardonnés et ses prières sont exaucées. Beaucoup de portes s’ouvrent à lui et généralement, ce qu’il entreprend marche. Ce qui fait que certaines personnes, lorsqu’elles reviennent de La Mecque, entreprennent d’autres activités, et comme par miracle, ils prospèrent.

 

Que pensez-vous du coût du billet pour La Mecque aujourd’hui, par rapport aux différents services dont bénéficie le pèlerin ?

Le coût du billet est cher. Car, au lieu des vols réguliers, ce sont des avions charters. Alors que les avions charters, à en croire les responsables d’agences de voyage, sont généralement moins cher que les vols réguliers. Pour eux, quelqu’un qui a l’habitude de prendre des vols réguliers vers l’Asie sait bien que le billet ne dépasse pas 600 ou 800 mille F CFA. Si, avec les avions charters, on parle de 1 million 180 mille F CFA, je trouve que c’est quand même cher.

 

Avez-vous des critiques à faire par rapport à l’organisation matérielle du pèlerinage au Burkina et sur place à la Mecque ?

Si ce sont des critiques, il y en a beaucoup. Les agences de voyages doivent mieux s’organiser pour que les pèlerins quittent le pays dans des bonnes conditions. Ceux qui s’inscrivent en premier lieu, doivent pouvoir prendre les premiers vols. A cet effet, il faut qu’il y ait des tickets d’inscription pour éviter les amalgames. Sinon, il y a un sérieux problème au niveau des inscriptions. Il faut que les gens prennent les vols en fonction de l’ordre d’inscription. Nous autres qui devrions, cette année, prendre les premiers vols, nous nous sommes retrouvés pratiquement dans les derniers vols. Ce n’est pas normal. Cela veut dire qu’il y a un problème d’organisation. Deuxièmement, il faudra que les agences commencent à envoyer très tôt leurs éléments pour baliser le terrain, pour les pèlerins. Au niveau sanitaire, c’est à revoir. Si vous arrivez à inscrire 500 pèlerins, selon le cahier des charges, vous devriez envoyer un infirmier. Au-delà de 500 pèlerins, en plus d’un infirmier, vous devriez envoyer un médecin. Cette année, on s’est rendu compte qu’il y avait des agences qui n’avaient pas d’agents de santé. Que l’équipe de santé qui accompagne les pèlerins n’était pas renouvelée à 100%. Il faudra aussi qu’il y ait moins d’immixtion de l’Etat dans la gestion du hadj. Que l’Etat laisse la grande partie du travail à la Fédération des associations islamiques. En tant qu’homme de médias, j’ai constaté que l’Etat burkinabè ne songe pas non plus à envoyer des journalistes au pèlerinage pour les reportages. Alors que d’autres pays le font. Ce n’est pas normal. Seule la Chaîne de télévision France 24 et de la Radio France internationale (RFI) diffusaient les informations en temps réel. J’étais pratiquement le seul journaliste burkinabè au hadj à envoyer des éléments sur le hadj.

L’idée que vous vous faisiez de la Mecque et du pèlerinage correspond-elle à la réalité que vous avez vécue sur place ?

Dans l’ensemble, tout se passe comme je l’avais entendu de par le passé. Les interdictions, les obligations que j’ai entendues aux lieux de pèlerinages sont une réalité au hadj. Rien n’a changé et j’ai vécu tout cela comme je l’avais entendu de mes devanciers. Seulement, il faudra mettre l’accent sur les actes d’accomplissement du hadj.

Interview réalisée par Mamouda TANKOANO

Le coup de cœur de notre collaborateur, El Hadj Hamadi Barro

« Je tiens à remercier tout d’abord les Editons « Le Pays », surtout son fondateur, Boureima Jérémie Sigué. C’est grâce aux efforts que je fournis dans les colonnes de son journal que le directeur en charge du hadj et de la Oumra de l’agence Al Barka Tour, El Hadj Ibrahim Traoré, a fait ma connaissance. Ce dernier a trouvé que j’étais très actif dans le domaine religieux à travers le journal « Le Pays ». Me félicitant pour mon travail, il m’a dit ceci : « Frère Baro, cela fait plus de 15 ans que je vous connais. Chaque année, vous parlez de la religion musulmane. Il est nécessaire que vous puissiez prendre part au hadj pour renforcer votre foi ». C’est ainsi qu’il m’a donné cette chance daller à La Mecque. Je tiens à le remercier. Qu’Allah le Tout-Puissant lui rende au centuple ses bienfaits ! »

 


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