HomeA la uneENIEME RENVOI DU PROCES DE BLAISE COMPAORE ET SON DERNIER GOUVERNEMENT :  Ne pas noyer le dossier dans les procédures

ENIEME RENVOI DU PROCES DE BLAISE COMPAORE ET SON DERNIER GOUVERNEMENT :  Ne pas noyer le dossier dans les procédures


 

Et de quatre pour ce procès que l’on peut désormais dénommer « Affaire Luc Adolphe Tiao et compagnie ». En effet, après un premier renvoi le 27 avril motivé par la rentrée du Barreau au Burkina Faso, la série des reports s’est poursuivie le 4 mai dernier avec la récusation de Maître Olivier Sur, avocat de Blaise Compaoré, et la commission d’office d’avocats pour les ex-ministres Baba Hama et Baba Diémé. Puis le 8 mai, pour permettre à la Cour constitutionnelle de statuer sur la requête introduite par la défense sur la constitutionnalité de la Haute cour de justice et permettre aussi aux prévenus de s’attacher les services d’autres avocats, après que les premiers eurent décidé de se retirer du procès. Et ce n’est pas tout. Car prévu pour reprendre hier, 15 mai dernier, le dossier a été finalement renvoyé sine die, le temps que le Conseil constitutionnel examine les recours des avocats de la défense. Le moins que l’on puisse dire, c’est que la Haute cour de justice donne ainsi l’impression d’être victime de la malédiction de Sisyphe contraint à rouler au sommet de l’Olympe une pierre qui lui retombe inlassablement aux pieds. Il n’en fallait pas plus pour que le citoyen burkinabè lambda pour lequel cela commence à faire trop, voie dernière ces renvois, des manœuvres destinées à enterrer le dossier et à assurer de facto l’impunité aux prévenus.

Il faut se garder de snober les bourdonnements qui montent de la cité

« Chat échaudé craint l’eau froide», dit l’adage et l’on comprend aisément cette réaction des Burkinabè qui sont coutumiers des procédures judiciaires qui se sont soldées par des non-lieux. Mais pour l’instant, même si les craintes sont justifiées, l’on peut, sans risque de se tromper, dire que les reports sont pour l’instant justifiés, quand bien même l’on aurait voulu se passer de cette entame laborieuse du procès.  D’abord, parce qu’il est bien connu dans les milieux judiciaires que pour connaître d’un dossier, il faut d’abord épuiser les procédures liées à la forme. Et l’on ne peut pas en vouloir aux avocats de la défense d’user de toutes les stratégies légales pour tenter de sauver la tête de leurs clients. L’on pourrait simplement dire qu’ils ne font que leur travail. Tant que l’on peut toujours introduire des recours en nullité, il est de bonne guerre que la défense se fasse entendre. Il faut même s’attendre à ce que ce procès s’étale sur une longue durée, au regard de ses énormes enjeux tant au plan judiciaire que politique. Ensuite, il y va de la crédibilité de la justice. L’on pourrait, en effet, difficilement parler de procès équitable si, par exemple, la Haute cour de justice ne prenait pas la précaution d’observer la nécessaire halte pour que des avocats  puissent être commis à la défense  des prévenus qui n’en avaient pas et qui risquent de lourdes peines comme la réclusion criminelle à perpétuité ou la peine de mort.   Cela dit, il faut bien se garder de snober les bourdonnements qui montent de la cité. Certes, ils expriment la soif de justice des populations qui ne crient pas forcément vengeance, mais souhaitent voir les accusés assumer leurs responsabilités. Ils expriment aussi et surtout  le manque de confiance vis-à-vis d’une justice burkinabè qui tarde à imprimer ses marques et que  d’aucuns n’hésitent pas à taxer de corrompue quand elle n’est pas tout simplement accusée de laxisme. De quoi être bien sceptique quant à la bonne qualité technique même du  dossier, si l’on se réfère aux errements judiciaires que l’on a pu constater dans d’autres dossiers du genre. L’on peut citer à titre illustratif le mandat d’arrêt international émis contre le président de l’Assemblée nationale de la Côte d’Ivoire, Guillaume Soro, dans le cadre de l’affaire des écoutes téléphoniques liées au putsch manqué de septembre 2015.

L’agenda du juge ne peut être celui de la rue

En tout état de cause, l’on ne peut que souhaiter que le dossier ne soit pas noyé dans des procédures sans fin. Car, non seulement ce serait une insulte faite à la mémoire des martyrs de l’insurrection, mais ce serait aussi sans conteste la fin des illusions collectives quant au changement espéré par les populations, notamment la fin de l’impunité tant au plan politique qu’économique. Il faut donc qu’au-delà des traditionnelles passes d’armes entre la Cour et les avocats, les responsabilités soient situées et que le droit soit dit. En d’autres termes, les choses doivent se passer dans les règles de l’art. Il y va de la réconciliation nationale que tout le monde appelle de ses vœux, mais aussi de la portée pédagogique du procès. Tout en envoyant des signaux forts et dissuasifs pour les pouvoirs successifs qui se relayeront à la tête de l’Etat, ce procès se doit d’assécher dans les cœurs les graines de la haine en permettant aux Burkinabè de solder leurs comptes avec l’histoire et de se remettre ensemble dans le sens de la marche.  Il faut aussi et  surtout souhaiter que les failles et les erreurs constatées tant dans les textes que dans les procédures, servent à construire une jurisprudence au service des intérêts du peuple. S’il est vrai, en effet, que chaque procès est un cas particulier tant pour les praticiens du droit que pour les observateurs non avertis, il doit surtout être un cas d’école qui permette de tirer des leçons pour l’avenir.

Quant aux populations, elles doivent se rendre à l’évidence que l’agenda du juge ne peut être celui de la rue, même si l’impression qui se dégage de cette série de reports est que l’on fait traîner les choses en longueur pour gagner les gens à l’usure et étouffer l’affaire. Les Burkinabè devraient d’ailleurs se méfier de  toute forme de justice-spectacle dictée par la rue. Ils en ont assez payé le prix, avec les instructions bâclées dans d’autres affaires similaires ou même connexes.  La quête de la vérité est parfois longue, mais comme dit le proverbe, « aussi longue que soit la nuit, le jour finit par se lever ».

« Le Pays »


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