FESPACO 2019
Des roses et des épines
Les lampions se sont éteints le 2 mars dernier sur la 26e édition du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco), devant un public enthousiaste et en présence d’illustres personnalités comme les présidents du Rwanda, du Mali voisin et bien évidemment du Burkina Faso. Une cérémonie de clôture donc riche en couleurs, qui boucle une semaine de fête qui aura tenu en haleine le public burkinabè, les cinéastes du continent et d’ailleurs ainsi que les nombreux visiteurs qui ont effectué le déplacement de Ouagadougou pour prendre part à la biennale du cinéma africain.
Dans un contexte sécuritaire volatile comme celui du Burkina Faso, c’était une véritable gageure que de réunir autant de monde dans la ville de Ouagadougou déjà ciblée par trois fois par des attaques terroristes, car il y avait des risques que la réalité actuelle du terrorisme au Burkina vienne percuter la fiction des films en compétition. L’enjeu était donc de taille pour nos autorités, puisqu’il s’agissait de garantir la sécurité dans la ville de Ouagadougou pendant la semaine du festival, et du coup, susciter l’engouement du public et notamment des cinéphiles qui, comme tous les Burkinabè, intègrent de plus en plus le fait qu’on peut être victime des mauvais garnements, n’importe où et n’importe quand. Pari réussi pour tous ceux qui se sont investis dans la prévention d’éventuelles attaques pendant la période festive, avec une mention spéciale aux agents de sécurité déployés sur les différents sites et qui ont fait preuve de courtoisie et de rigueur dans l’utilisation des magnétomètres et des portiques, dans les palpations sécuritaires et dans l’inspection visuelle des sacs. Ce professionnalisme de nos ”sécurocrates” est d’autant plus à féliciter que tout s’est bien passé malgré les appréhensions légitimes de départ, et c’est de façon sereine que les nombreux festivaliers ont rallié la cuvette du Palais des Sports de Ouaga 2000 pour assister au clap de fin, avec la remise des récompenses aux lauréats dans les différentes catégories. Et au terme d’une cérémonie longue et lassante entachée de couacs et de ratés indignes d’un pays qui organise l’événement pour la énième fois, c’est le réalisateur rwandais Joel Karekezi qui est reparti avec le très convoité ‘’Etalon d’or de Yennenga’’, avec son long métrage « The Mercy of the Jungle».
La moisson n’a pas été à la hauteur des moyens investis
Ce fringant trentenaire a d’ailleurs fait coup double en décrochant le premier prix pour son film, et le prix de la meilleure interprétation masculine pour son acteur principal, Marc Zinga. Ces prestigieux trophées ont été remis aux lauréats rwandais sous le regard admiratif de leur président, Paul Kagame, assis aux côtés de ses homologues du Burkina Faso et du Mali, Roch Marc Christian Kaboré et Ibrahim Boubacar Kéita. Sur le plan de la symbolique, en tout cas, on peut donner des roses aux organisateurs du festival et aux membres du jury pour leur travail d’orfèvre, car, autant qu’on se souvienne, c’est la première fois, en un demi-siècle d’existence que la biennale du 7è art réunit autant de chefs d’Etat et offre une double récompense à un pays dont le nom n’a jamais figuré dans les annales de l’histoire cinématographique du continent. De l’avis des critiques de cinéma et de nombreux cinéphiles, c’est une couronne bien méritée car le film de Karekezi est de très belle facture, et le fait que son pays soit l’invité d’honneur de ce FESPACO n’a certainement pas pu influencer les membres du jury dont la probité et le professionnalisme n’ont jamais été mis en doute. Le deuxième et le troisième prix sont allés respectivement à l’Egyptien Khaled Youssef pour son film « Karma » et au Tunisien Mahmoud Ben Mahmoud pour son long métrage «Fatwa». Le Burkina Faso s’en est sorti, pour ainsi dire avec 6 prix spéciaux sur les 14 qui ont été décernés, et un autre, celui du meilleur décor dans la catégorie «long métrage fiction», et un Etalon d’or mais dans la catégorie du film documentaire. C’est bon à prendre, mais avouons que la moisson n’a pas été à la hauteur des moyens investis, puisque nos ambassadeurs à ce cinquantenaire du FESPACO, ont bénéficié de la rondelette somme d’un milliard de F CFA que l’Etat a décaissée pour les aider à mieux se préparer. Certes, il y a eu des retards dans l’allocation et la répartition de cette subvention puisqu’il a fallu attendre 4 bons mois après la validation des projets de film pour faire les premiers décaissements, mais ce retard dû à des tensions réelles ou supposées entre les producteurs et le ministère de la Culture, ne saurait justifier, à lui seul, ce palmarès en demi-teinte. Il va falloir que nos cinéastes apprennent à compter sur eux-mêmes et à s’y prendre à temps, si l’on veut que le Burkina renoue avec la palme d’or qu’il a perdue depuis 1997 et la consécration de Gaston Kaboré avec son film «Buud Yam».
Si le pays des Hommes intègres n’a pas fait parler de lui pour la qualité de ses films à l’occasion de ce FESPACO, on peut, tout de même se satisfaire du maintien de ce prix spécial dénommé « Thomas Sankara », pour honorer et célébrer notre président de vénérée mémoire, qui a incarné la créativité et l’espérance panafricaines, et qui fait aujourd’hui la fierté du Burkina et de tout le continent. L’inauguration de sa statue géante le 2 mars dernier en marge du cinquantenaire du FESPACO a, en dépit des polémiques sur la qualité de l’œuvre, drainé du monde sur les lieux de l’abominable crime du 15 octobre 1987, et notamment des cinéastes présents à Ouagadougou, pour surfer sur la vague de l’icône ‘’guevarienne’’ qui s’était illustrée dans la promotion du 7e art. Malheureusement, au même moment, on apprenait qu’un cinéaste burkinabè est sur la sellette pour avoir lacéré deux années plus tôt le visage de l’une de ses comédiennes. Cela est, certes, une mauvaise publicité pour notre pays qui fait jusqu’ici figure d’exemple de par la qualité et le professionnalisme de ses acteurs du cinéma, mais c’est tout de même une bonne chose que des mesures fortes allant de son exclusion de ce FESPACO à la résiliation de son contrat avec une chaine de télévision internationale qui devait diffuser son film aient été prises, pour dissuader d’éventuels agresseurs et nettoyer les écuries d’Augias.
Hamadou GADIAGA