GBAGBO ET SON EPOUSE JUGES POUR CRIMES CONTRE L’HUMANITE : Un procès au masculin et au féminin
Dure journée que celle du couple Gbagbo, lundi 9 mai 2016. Au moment où le procès de l’ancien président ivoirien, Laurent Gbagbo, et de son lieutenant, Charles Blé Goudé, reprenait son cours à la Cour pénale internationale (CPI), la session de la Cour d’assises au cours de laquelle sera jugée l’ex-Première Dame, Simone Gbagbo, s’ouvrait en Côte d’Ivoire. On ne peut s’empêcher de se demander si cette quasi-concomitance de la reprise du procès à la Haye et de l’ouverture des Assises en Côte d’Ivoire, est orchestrée ou s’il s’agit d’une simple coïncidence. Difficile de ne pas penser que la Justice ivoirienne a voulu faire dans le symbole. En effet, comme on le sait bien, ces deux procès mettent en scène différents acteurs, mais présentent des similitudes pour ne pas dire des interrelations. Simone Gbagbo tout comme son mari, sont poursuivis pour des faits relatifs à la crise postélectorale qui a secoué la Côte d’Ivoire en fin 2010-début 2011. Les autorités ivoiriennes avaient argué du fait que la Justice ivoirienne est capable de juger l’ex-Première Dame pour refuser d’honorer la requête de la CPI qui demandait qu’elle lui soit livrée.
La Justice ivoirienne a une occasion en or pour tenter de redresser la barre
Les époux Gbagbo sont tous deux, avec Blé Goudé, poursuivis pour crimes contre l’humanité pour les faits de violence relatifs à la crise postélectorale en Eburnie. C’est un procès au masculin et au féminin. La Justice ivoirienne confirme ainsi la décision des autorités ivoiriennes de juger Simone Gbagbo en Côte d’Ivoire et de ne pas l’envoyer à la CPI. Maintenant se pose la question de savoir si le procès sera fait dans les règles de l’art. La Justice ivoirienne fera-t-elle l’effort de se rattraper un tant soit peu? Car, on se souvient que le procès de l’ex-Première Dame pour atteinte à la sûreté de l’Etat, n’avait pas convaincu grand’monde quant à la qualité de sa conduite. Certes, elle a écopé d’une peine de vingt ans d’emprisonnement, mais le débat sur les preuves n’a pas vraiment été épuisé. Ce n’est pas anodin si le Procureur à l’époque, a eu à faire appel de la sanction prononcée contre Simone Gbagbo, la jugeant disproportionnée quant à son quantum. L’objectif d’un procès est certes de condamner les criminels, mais il importe, pour que la décision qui en découle soit la plus juste possible, que les droits de la défense soient respectés et que les preuves ne souffrent pas de contestation.
La Justice ivoirienne a ainsi une occasion en or pour tenter de redresser la barre, de redorer autant que faire se peut, son blason. Elle est suivie à l’intérieur comme à l’extérieur de la Côte d’Ivoire. Autant il est inconcevable que des criminels ne soient pas condamnés pour ce qu’ils ont posé comme acte, autant il est inacceptable que des gens soient condamnés sans que leur culpabilité soit établie avec rigueur et impartialité. C’est dire que la Justice doit s’élever au-dessus de la mêlée, qu’elle doit s’efforcer de travailler en toute indépendance. Malheureusement, ce n’est pas ce qu’on constate depuis un certain temps. La CPI comme la Justice ivoirienne, dans le traitement des dossiers relatifs à la violente crise qu’a connue le pays, ont jusque-là fait dans la Justice des vainqueurs. Rien de sérieux n’a jusque-là été fait dans le but d’entendre les partisans du président Alassane Dramane Ouattara (ADO), soupçonnés de crimes graves.
Tout se passe comme s’il y a les «diables» d’un côté et les «anges» de l’autre. Même si c’était la conviction des acteurs de la Justice, l’opinion ne demande aussi qu’à en être convaincue. Et seule une procédure qui permettrait aux mis-en-cause de s’expliquer, pourrait les «blanchir» si vraiment ils n’ont rien à se reprocher. Eux-mêmes ont intérêt à ce qu’une telle procédure se mette en branle, étant donné que ce sera l’occasion pour eux de prouver leur innocence. En tout état de cause, la Justice ivoirienne, en se comportant ainsi, ne rend pas service aux autorités, ni à la Côte d’Ivoire. Car, ils sont nombreux ceux qui ont jubilé lors de l’arrestation de Gbagbo et qui, aujourd’hui, font grise mine. Dans la situation qu’a vécue la Côte d’Ivoire, la Justice doit s’appliquer à tout le monde de la même manière. A force de s’acharner sur le camp Gbagbo en prenant le soin de protéger, d’épargner celui d’ADO malgré des indices graves de culpabilité, on finit par faire de ceux qui sont traqués, des martyrs. Gbagbo et ses partisans sont rendus sympathiques par la partialité dont fait montre la Justice dans la gestion de l’après-crise.
La CPI aura un œil sur les travaux de la Cour d’assises à Abidjan
Toutes les personnes contre lesquelles il existe des indices graves et concordants devraient intéresser la Justice. Tant que ce ne sera pas le cas, il y aura le sentiment que la Justice est transformée en un vulgaire outil de vengeance personnelle, aux mains des vainqueurs, des plus forts du moment, ce qui est loin d’être sa mission. Une telle justice enlève le côté objectif et apaisant du procès. En effet, en se comportant ainsi, la Justice ne donne pas toutes les chances de faire la lumière et de punir comme il se doit les coupables et tous les coupables. Aussi prend-elle le risque de catégoriser les victimes. Inutile de dire que cela rend un très mauvais service à la réconciliation et fait le lit de crises futures.
Pour en revenir aux interrelations entre les deux procès, il est évident que la CPI aura un œil sur les travaux de la Cour d’assises à Abidjan. Elle voudra au moins s’assurer que l’ex-Première Dame dont elle a réclamé l’extradition en vain, sera vraiment jugée dans les règles de l’art en Côte d’Ivoire. La Justice ivoirienne également nourrit peut-être le secret espoir que la décision qu’elle va prendre par rapport à Simone Gbagbo, influencera le procès de son époux devant la CPI. Sera-ce le cas ? Il faudra attendre de voir. Ce qui est sûr, les choses vont aller plus vite du côté de la lagune Ebrié que du côté de la Haye. La CPI met un point d’honneur à assurer le respect des droits de la défense. Cela est important dans des procès où les faits en cause sont d’une grande gravité et où il convient de faire preuve de beaucoup de professionnalisme. La Justice ivoirienne serait, en tout cas, bien inspirée de conduire le procès Simone Gbagbo comme tous les autres d’ailleurs, avec toute la rigueur et le professionnalisme requis. Ce, en attendant de rectifier le tir en ce qui concerne toutes les personnes de l’autre camp, indexées dans les violences qui ont secoué le pays. Tout cela, dans l’intérêt de l’ensemble des victimes et du pays tout entier.
« Le Pays »