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GUINEE-CONAKRY


En marge de la 74è Assemblée générale de l’ONU à laquelle il participe, le président guinéen, Alpha Condé, a tenu, le 22 septembre dernier  devant des ressortissants guinéens résidant au pays de l’oncle Sam, des propos qui suscitent la polémique dans son pays. « Je vous demande de vous organiser et de vous préparer pour le référendum et les élections », a-t-il notamment dit. Ces propos du chef de l’Etat guinéen n’auraient certainement pas été autant sujets à caution s’il n’y avait pas le contentieux de la tentation du troisième mandat qu’on lui prête et qui continue d’empuantir l’atmosphère sociopolitique en Guinée où l’opposition est sur le pied de guerre contre une éventuelle modification constitutionnelle qui permettrait au locataire du palais Sékoutouréya de se remettre en selle dans la course à sa propre succession. A la veille du dixième anniversaire des massacres du stade du 28 septembre de Conakry qui marquaient déjà un tournant dans la lutte du peuple  guinéen pour la démocratie, le président Condé ne pouvait pas choisir pire moment pour faire une telle annonce qui s’apparente à un glaive qu’il aiguise dans l’intention de l’enfoncer dans le flanc de la jeune démocratie guinéenne.

 

La question du référendum est un pari risqué pour le président guinéen

 

 

Aussi, c’est peu dire que ces propos ont fait l’effet d’une bombe à Conakry où la classe politique n’a pas tardé à réagir, notamment l’opposition politique selon qui « plus aucun doute n’est possible » sur la volonté du Professeur de s’octroyer un troisième mandat à la faveur d’un changement de Constitution. Du côté du pouvoir, entre gêne, refus de se prononcer et tentative maladroite de soutenir la thèse d’un « montage » qui aurait sorti les propos du chef de l’Etat de leur contexte, on évite soigneusement d’être prolixe sur ce sujet embarrassant. D’autant plus que les consultations nationales entreprises par le Premier ministre auprès de l’opinion nationale sur l’opportunité d’une nouvelle Constitution, sont toujours en cours et ne rencontrent déjà pas l’adhésion de l’opposition. Aussi, la question que l’on pourrait se poser est de savoir si le président Condé est allé trop vite en besogne sur la question sensible du référendum, ou si c’est une sortie calculée, qui participe d’une stratégie. Quoi qu’il en soit,  vu les réactions controversées de ses compatriotes qui sont visiblement divisés sur la question, il y a lieu de croire qu’ Alpha Condé joue avec le feu. Pourtant, le sort peu enviable de certains de ses anciens pairs qui se sont brûlé les doigts en s’essayant au jeu du tripatouillage constitutionnel pour jouer les prolongations, devrait lui servir de leçon. C’est pourquoi, à quelque un an de la prochaine présidentielle, la question du référendum est un pari risqué pour le président guinéen. Pas pour une question de légalité, mais plutôt pour celle de la légitimité du chef de l’Etat à briguer un troisième mandat à la faveur d’une éventuelle modification constitutionnelle qui risque de mettre le feu aux poudres. Comme cela a été le cas au Burkina Faso avec Blaise Compaoré qui a dû son salut à la vitesse de ses jambes pour se retrouver depuis lors en exil du côté de la lagune Ebrié, au Burundi avec Pierre Nkurunziza qui a dû enjamber beaucoup de cadavres de ses compatriotes pour s’octroyer son mandat querellé ou encore en République démocratique du Congo où Joseph Kabila a été contraint de renoncer au fameux troisième mandat, en reculant pour peut-être mieux sauter. C’est dire si avec l’annonce de ce référendum, de gros nuages s’amoncellent dans le ciel de la Guinée.

La question du référendum est un alibi pour contourner l’obstacle constitutionnel qui empêche Condé de prétendre à un autre mandat

 

 Car, en l’absence de consensus sur une question qui divise fortement les Guinéens et sur laquelle l’opposition a déjà une position tranchée, c’est le scénario d’un passage en force qui se dessine si les velléités de troisième mandat du président Condé se précisaient davantage. Déjà, pour l’opposition, « la ligne rouge est franchie » d’autant qu’en tenant ces propos, le chef de l’Etat a tombé le masque. Comment peut-il en être autrement quand le président Condé ne montre pas la sagesse de son âge, encore moins l’élégance d’une respectable personnalité politique comme son homologue nigérien, Mahamadou Issoufou ? Celui-ci  a clairement signifié à ses compatriotes qu’il ne succomberait pas à la tentation d’un troisième mandat, mettant fin à un débat qui aurait pu empoisonner l’atmosphère sociopolitique dans son pays. Disons-le tout net, la question du référendum pour prétendument  laisser la décision au peuple, est un alibi pour contourner l’obstacle constitutionnel qui empêche Condé de prétendre à un autre mandat. Et l’opposition qui n’est pas dupe, a su lire dans son jeu. Car, autant, en Afrique, on n’organise pas des élections pour les perdre, autant, en Guinée, on peut se convaincre qu’Alpha Condé ne tiendrait pas à ces consultations populaires s’il n’était pas sûr de les remporter. C’est pourquoi l’opposition est d’ores et déjà vent debout contre ce projet de révision constitutionnelle qui ne profiterait qu’au seul chef de l’Etat sortant. Et on peut la comprendre. Quant au président Alpha Condé, pour autant que ses intentions soient nobles, il gagnerait à clarifier la situation pour fixer définitivement ses compatriotes.  En tout état de cause, en portant son projet de référendum contesté, le président guinéen est en train d’engager son pays sur la pente raide. Car, les conditions d’une déflagration sociale sont en train d’être réunies. Dans un pays où la moindre petite étincelle peut rapidement se transformer en grand brasier, cela frise l’irresponsabilité.  Mais il en portera seul la responsabilité devant l’histoire si, au lieu de travailler à léguer à la postérité un pays stable et pacifié, il devait se révéler au bout du compte comme un fossoyeur et un Néron de la démocratie.

 « Le Pays »


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