INVESTITURE DE JOAO LOURENCO : L’ALTERNANCE A LA SAUCE ANGOLAISE
C’est devant un aéropage de personnalités accourues de l’intérieur comme de l’extérieur que s’est ouverte, hier à Luanda, l’ère Joao Lourenço. En l’effet, le général à la retraite et ex-ministre de la Défense angolaise s’est paré hier des attributs du pouvoir, succédant ainsi à son mentor, José Edouardo Dos Santos qui, pendant 38 longues années de règne, a présidé aux destinées des Angolais. L’évènement est salué par tous les démocrates du continent et d’ailleurs, parce qu’il consacre l’alternance à la tête de l’Etat. Cette alternance est d’autant plus méritoire qu’elle confirme la stabilité retrouvée pour un pays qui, pendant plusieurs décennies, s’est déchiré dans une guerre fratricide qui a fait plus d’un million de macchabées. Elle apporte, si besoin en était encore, la preuve que les Angolais ont pris l’option de résoudre leurs différends politiques dans des cadres démocratiques régaliens.
Edouardo Dos Santos est parti sans être parti
En même temps qu’elle salue l’arrivée de son nouveau président, la nation angolaise doit savoir aussi rendre hommage au président sortant qui a eu l’intelligence politique de céder le trône à son dauphin dont l’investiture, hier, a sonné comme le parachèvement d’une stratégie longuement mûrie et apprêtée. En résistant aux chants des sirènes du pouvoir à vie pour écouter la voix de son peuple, José Edouardo Dos Santos fait preuve d’un salutaire courage politique et marque sa spécificité dans la mare saumâtre des dictatures africaines où la norme, malgré l’hostilité du contexte international, est le maintien des vieux caïmans, avec pour leitmotiv « le pouvoir ou la mort, nous vaincrons ». La décision pour l’ex- président de rompre les amarres est d’autant plus louable qu’il n’a pas cédé à l’appel du sang, en évitant soigneusement, comme on l’a vu sous d’autres cieux, de mettre sur orbite pour la présidentielle, l’un de ses enfants qui, pourtant, appartiennent à la galaxie politique qui l’a jusque-là entouré. L’homme peut donc se retirer pour digérer ce qu’il a mangé pendant quatre décennies de pouvoir et mieux roter, tout en tirant dans l’ombre les ficelles. Mieux, il peut se féliciter de s’être assuré des jours tranquilles, à l’abri de tout ennui judiciaire. Cela dit, l’on sait qu’Edouardo Dos Santos est parti sans être parti. Il reste encore à la barre des manœuvres en conservant les rênes du parti présidentiel, le Mouvement Populaire pour la Libération de l’Angola (MPLA). Quand on sait que par ailleurs, Isabel, sa fille, dirige la compagnie nationale pétrolière Sonangol, qui apporte 70% des recettes budgétaires et que José Filomeno, son fils, dirige un fonds souverain lancé pour développer son pays, l’on mesure amplement la main mise que le clan Dos Santos garde encore sur les affaires de l’Angola. C’est donc légitimement que l’on peut se poser la question de savoir si le nouveau président, Joao Lourenço, pourra véritablement manier son bâton de commandement. En tout cas, ils sont nombreux les observateurs de la scène politique angolaise à penser qu’il ne sera qu’une marionnette dans les mains du clan Dos Santos. Mais pouvait-il en être autrement, quand on sait que lui-même est un produit du système ? De toute évidence donc, l’alternance tant saluée par les Angolais risque de n’être qu’un jeu de prestidigitateur, et la nouvelle ère, du Dos Santos sans Dos Santos.
Il y’a urgence à agir pour reconvertir l’économie
Quoi qu’il en soit, le nouveau maître des lieux n’aura pas la tâche facile et devra relever d’énormes défis. Le premier sera de s’affranchir de la tutelle de son mentor pour marquer de son empreinte, la vie de la nation. Le second défi sera celui d’améliorer les conditions socio-économiques des Angolais. Même si pendant la campagne, l’homme a promis d’être « l’homme du miracle économique », on sait que cela est plus facile à dire qu’à faire. En effet, il hérite d’une situation socio-économique des plus délicates. La gouvernance du président sortant a fait de l’Angola l’un des pays les plus inégalitaires au monde. La rente pétrolière n’a bénéficié qu’à une minorité qui s’est enrichie sans limites, alors que la grande majorité des Angolais croupit dans la misère. Luanda, la capitale, classée ville la plus chère au monde, est le reflet de cette Angola aux deux visages, avec un centre-ville grouillant de voitures et d’hôtels de luxe et des bidonvilles populeux aux allures de ghettos. Une image qui n’est pas sans rappeler les Tanga Nord et Tanga Sud des villes coloniales dépeintes par Eza Boto dans son roman « Ville cruelle ». Par ailleurs, l’ère Santos aurait fait de l’économie angolaise l’une des plus corrompues au monde, avec un rang de 172ème /183 Etats classés. Là aussi, il y’a urgence à agir pour reconvertir l’économie en la diversifiant et mieux répartir les fruits de la croissance. Enfin, le troisième défi important auquel Joao Lourenço devra se mesurer, c’est la gestion des nouveaux espaces démocratiques que son arrivée au pouvoir ne manquera pas d’ouvrir et dont l’opposition et la société civile voudront bien profiter. Il peut donc, de ce fait, s’avérer urgent pour le nouveau pouvoir d’engager des réformes politiques audacieuses pour répondre aux aspirations du peuple angolais à plus de liberté, comme l’ont démontré les manifestations récurrentes de la jeunesse aux dernières heures du pouvoir de Dos Santos. Il appartient cependant aux Angolais, dans leurs revendications, de ne pas trop tirer sur la calebasse au point de la briser. Dans tous les cas, il importe qu’ils ne fassent pas regretter à Dos Santos d’avoir lâché le pouvoir.
C’est donc à des travaux herculéens que doit faire face le nouveau président, mais il a des atouts qu’il peut faire valoir à cet effet. C’est un militaire et il a suffisamment de poigne pour orienter et diriger les politiques publiques. Il dispose aussi d’une longue expérience de vie politique aux côtés de son mentor et connaît tous les rouages du système qui l’a produit. Enfin, en étant l’homme de l’alternance, il part avec un a priori favorable des Angolais et de la communauté internationale. Mais tout cela n’est que spéculation et c’est au pied du mur que l’on reconnaîtra le bon maçon.
« Le Pays »