JEAN-PIERRE BAYALA, COLONEL MAGISTRAT A LA RETRAITE « La politisation des Forces de défense et de sécurité reste fortement ancrée dans notre pays »
L’invité de cette semaine est le colonel magistrat à la retraite Jean-Pierre Bayala. Dans le sillage des attaques terroristes que le Burkina Faso a connues, le 2 mars dernier, nous avons voulu rencontrer une personne ressource de son profil. Il faut préciser, avant tout propos, que Jean-Pierre Bayala est d’abord de formation militaire. Il est gendarme. De la gendarmerie, il est passé à un moment à la Justice militaire en tant que militaire juriste pour mettre en place cette juridiction. Mais avant cela, il a été formé comme officier antiterroriste. Il a commandé le GIGN (Groupement d’intervention de la gendarmerie nationale) qui n’a pas duré, parce que cette unité qui était une vision de la 3e République n’a pas survécu au coup d’Etat sous le CSP 1. Après la dissolution de cette unité, Jean-Pierre Bayala a dû rejoindre son corps d’origine, la gendarmerie, où il sera chargé de la mise en place de la Justice militaire au Burkina Faso. L’homme est donc bien fondé pour répondre à nos questions, notamment sur le plan sécuritaire.
« Le Pays » : Quelles sont vos occupations actuelles?
Colonel Jean-Pierre Bayala : Quotidiennement, je cultive mon jardin. Il est évident que la retraite ne veut pas dire un repos absolu. Il faut absolument bouger ; il faut se resocialiser parce que c’est de cela aussi qu’il s’agit. A mon niveau, il n’y a pas de quoi se reposer. Admis à la retraite en 2005, j’ai été appelé par les Nations Unies où j’ai travaillé pendant quatre ans en République démocratique de Congo en qualité d’assistant spécial du commissaire de la Police des Nations Unies et cumulativement nommé Coordonnateur onusien de l’ensemble du système de sécurité, notamment de la réforme de la Police nationale congolaise. Rappelé en cours de mandat onusien dans mon pays suite à une correspondance du Représentant de mon pays aux Nations Unies pour des raisons qui lui étaient propres, j’ai intenté un procès contre l’Etat qui a été condamné. Je suis depuis lors consultant indépendant international pluridisciplinaire en Réforme des systèmes de sécurité (RSS) à savoir Armée-Police-Gendarmerie-Justice.
Est-ce que l’armée ne vous manque pas aujourd’hui ?
Il est évident que quand on a exercé pendant longtemps un métier, on éprouve une certaine nostalgie. Lorsqu’on voit les mêmes activités se mener autour de soi, on regrette quelque part de n’avoir plus les forces, les compétences ou les connaissances nécessaires pour pouvoir voler au secours de ceux qui ont pris la relève. C’est dire que la nostalgie est toujours évidente, à moins qu’on n’ait pas vraiment servi son pays avec passion, dévouement et loyauté.
Comment appréciez-vous l’évolution des armées au niveau africain ?
Les armées africaines, dans leur ensemble, peinent à s’adapter au contexte sécuritaire de leur temps. En effet, à l’heure de la mondialisation, il importe que les forces armées se modernisent et se professionnalisent davantage, face surtout aux nouvelles menaces que sont le terrorisme et l’extrémisme violent qui secouent le continent. Face aux besoins accrus de sécurité des Etats et des populations et de leurs biens, les armées africaines connaissent des difficultés majeures de formation, d’équipement, de ressources financières et matérielles pour relever de nombreux défis. Pour la plupart entraînées, formées et équipées pour les guerres classiques, les armées africaines sont engagées dans des conflits de type nouveau qui exigent non seulement leur réforme conséquente, mais encore leur doctrine d’emploi tournée vers la protection des populations et de leurs biens plutôt que de celle des Etats où le terrorisme d’Etat les y contraint.
Pensez-vous que les Forces de défense et de sécurité, au Burkina Faso, sont bien formées pour faire face à la nouvelle menace que constitue le terrorisme ?
Aucune force de défense et de sécurité, ailleurs comme au Burkina, n’est suffisamment bien formée pour lutter contre le terrorisme. Il faut d’abord convenir que la lutte contre le terrorisme est loin d’être une affaire exclusive des Forces de défense et de sécurité. « La guerre, disait Georges Clémenceau, est tellement importante qu’on ne saurait la confier aux seuls militaires, fussent-ils des experts ». Les nouvelles menaces comme le terrorisme relèvent de guerres atypiques, c’est-à-dire en rupture des guerres classiques qui étaient régies par le droit (le droit de la guerre). Ce droit faisait, au combat, la distinction entre le combattant et le non-combattant, entre les biens militaires et les biens non militaires qui ne devraient pas être attaqués. Le terrorisme, dérivé du latin « terror », est une espèce d’hydre qui n’épargne personne et qui se donne pour principale cible les civils et tout bien. Il cherche à retourner les populations contre ceux-là mêmes qui sont chargés de les protéger de façon à les récupérer pour des objectifs précis. Lorsqu’on regarde la nature des actes qui sont commis, le terrorisme n’a pas un seul but. Penser donc comme certains que le terrorisme est une affaire confessionnelle ou purement religieuse, c’est se laisser divertir parce que les buts visés sont nombreux et complexes.
Voulez-vous dire que la réponse à un tel phénomène doit être envisagée autrement ?
Elle doit être conçue avec tous les citoyens. Et mieux, il faut aller à la globalisation, à la solidarité nationale, sous-régionale et internationale. Et cela parce que le terrorisme est un phénomène qui s’exporte très rapidement. Parmi les facteurs favorisant l’expansion du terrorisme, on note notamment la pauvreté, la misère, l’ignorance, la mal-gouvernance, le manque de démocratie, le manque d’Etat de droit. Quelqu’un qui a faim, abandonné à lui-même et frustré, est facilement attiré par le terrorisme parce qu’on lui promet le bien-être. On lui promet du travail, un monde de plus de paix et de plus d’abondance. En réalité, tout cela est un lavage de cerveau parce que le paradis sur terre, pour tout croyant, n’existe pas. Tant que l’homme est sur terre, il doit se nourrir à la sueur de son front.
« Les commanditaires ne seront jamais eux-mêmes à l’attaque »
Que voulez-vous dire exactement ?
L’identification de la nature du terrorisme, de ses causes et de ses conséquences, devrait permettre à tout Etat de la sous-région, non seulement de prendre la mesure du phénomène du terrorisme, mais aussi de prendre les dispositions nationales et d’adhérer aux efforts collectifs que commande la lutte anti-terroriste.
Peut-on dire donc que ces jeunes qui vont au suicide à travers des actes terroristes ont reçu de belles promesses ?
En fait, pour eux, ils ne se suicident pas. Ils prétendent se sacrifier pour des causes nobles. Dans l’esprit de lavage de cerveau, lorsqu’on rentre dans l’aspect confessionnel, le sens de certaines notions est tronqué. Par exemple, le bon musulman est choqué quand on confond le «jihadisme » à la violence. Parce que le mot « jihad» dit de porter le Saint Coran à tout être humain pour le conduire à l’islam. L’esprit du « jihad », c’est de défendre l’islam à travers le monde tout en respectant la libre pensée de chacun. Il exclut l’usage de la violence. Toutefois, lorsqu’au cours du prêche, le musulman est attaqué, il a le droit de se défendre (la légitime défense).
Est-ce qu’au Burkina et à l’échelle sous-régionale, on peut considérer qu’on a pris la mesure du phénomène du terrorisme ?
On est tous sous le coup d’un phénomène nouveau qui a une bonne part de psychose. Il est plus facile de réfléchir à froid que d’être pris dans le feu de l’action car à ce moment-là, toutes sortes de réponses peuvent nous traverser l’esprit. C’est pourquoi après un choc terroriste, il faut reposer l’esprit et se demander ce qui vous arrive, pourquoi cela et comment parer à une telle situation. Au Burkina et à l’échelle sous-régionale, il n’y a nul doute qu’on a pris la mesure du phénomène du terrorisme. La création du G5 Sahel en est une parfaite illustration. Il reste bien entendu à rechercher le mécanisme de mise en œuvre.
Beaucoup de choses ont été dites suite aux attaques du 2 mars dernier. Et beaucoup de questions restent posées. Selon vous, comment les terroristes ont-ils pu frapper l’Etat-major des armées avec une telle facilité si on peut considérer ainsi les choses ?
Cela revient à se demander comment on a pu frapper les Tours jumelles des Etats-Unis d’Amérique qui constituent la première puissance militaire au monde. Plus on est fort, plus il faut être sur ses gardes parce qu’on ne s’attaque à un fort que lorsque l’on sent qu’il dort sur ses lauriers. Les Etats qui sont attaqués aujourd’hui, ne sont ni les plus forts, ni les moins forts. L’avantage que le terroriste a dans ses attaques, c’est qu’il fait les choix de ses objectifs et il agit en toute surprise. Ce qui le motive est plus fort que le nationalisme qui devrait habiter chaque citoyen du monde parce que dans son esprit, il défend une cause juste dans laquelle sa vie, pour lui, ne représente rien. Son esprit a été travaillé et le vivre-heureux qu’on lui promet, devient sa pensée et son désir de tous les jours. Et là aussi, c’est dans le cas où la drogue n’a pas sa part d’élan d’entraînement dans sa volonté de nuire car dans la plupart des cas, les terroristes sont drogués. En réalité, ceux qui les poussent à l’acte savent que tout ce qu’ils servent aux kamikazes n’est pas du tout vrai. La preuve est que les commanditaires ne seront jamais eux-mêmes à l’attaque. On dit que tout le monde veut aller au paradis, mais personne ne veut mourir. Ce qu’on promet aux kamikazes, c’est pour atteindre des objectifs propres aux commanditaires des actes terroristes. Lorsque vous prenez l’aspect économique, c’est pour installer un capitalisme inhumain où l’intérêt des autres ne compte pas, où seulement ceux qui sont à la recherche de cette récupération mondiale, ont le droit d’exister. Vous verrez que dans les attaques, quand les terroristes arrivent, ils détruisent d’abord leurs moyens de transport. Ils savent à coup sûr qu’ils ne sortiront pas vivants de l’attaque. Or, dans l’esprit de tout combattant dans pareille situation, quand on est pris dans un système qui est à même de vous ôter la vie, c’est de se battre par instinct de survie. Quant au terroriste, il est prêt à mourir pour s’ouvrir les portes du paradis. Le terroriste est convaincu que sa famille qu’il laisse est assurée du bien-être parce qu’elle ne sera pas abandonnée par ses commanditaires (foi d’un fou de Dieu).
« Les personnalités politiques et militaires de l’ancien régime, tout comme chaque citoyen soucieux de sauver son pays, dans pareille situation, n’ont pas besoin qu’on leur fasse recours »
Voulez-vous dire que les familles sont associées aux actes terroristes ?
Les familles ne sont pas forcément associées aux actes terroristes. Sinon, beaucoup empêcheraient leurs parents de poser ces actions ignobles. Rappelez-vous le cas du conseiller municipal qui a été tué par son propre fils dans le Soum. Le père avait demandé seulement à son fils de se retirer de cette œuvre satanique.
Pensez-vous que l’hypothèse selon laquelle il existerait des cellules dormantes de terroristes dans notre pays, est recevable ?
Elle est bien recevable. En 2012, j’ai conduit une mission dans le Nord et le Sahel, à la demande de l’Union européenne. Nous étions trois experts. Les deux autres étaient Kassoum Kambou, magistrat spécialiste des droits de l’Homme, et Bassolé Wilfried Martial, macro-économiste. Au cours de cette étude, il fallait diagnostiquer et analyser les conséquences possibles de la guerre au Mali sur cette partie du Burkina Faso. L’étude que nous avons menée, avait pour objet de compléter une première étude jugée incomplète. Et nous sommes arrivés à la conclusion, contrairement à la première étude qui parlait de « risques », qu’il y avait plutôt des « menaces » sur le Burkina Faso. L’étape de risques était franchie ; les risques sont des probabilités qui peuvent survenir ou pas. Mais au moment de l’étude, le Burkina Faso était dans les « menaces ». Il n’y a plus de supputations à faire ; il fallait se demander à quand les attaques, le cas échéant, les repousser. A présent, il faut chercher à voir comment prévenir les attaques, d’où l’importance du renseignement dont il est question, d’où l’effort collectif que tout le monde doit fournir pour déjouer les actes. Tout doit nous paraître suspect, dès que nous voyons certaines manifestations, dès que nous voyons certains individus qui ont certains comportements. Il en est de même pour les nationaux dont les comportements peuvent devenir assez suspects ; des gens qui n’ont pas à manger et qui, brusquement, deviennent très riches ou deviennent extravagants ; des gens dont les comportements frisent la folie. Il faut rapidement se poser des questions et alerter ceux qui sont à même de contrôler et de vérifier discrètement, au besoin d’interpeller ces individus pour savoir de quoi ils vivent et pour qu’ils justifient les moyens exorbitants dont brutalement ils font montre. Je voudrais dire que tout fait qui ne semble pas provenir d’un être humain normal, doit attirer notre attention. Qu’il soit un voisin, qu’il soit quelqu’un qu’on n’a pas l’habitude de voir, tout cela doit nous amener à changer de comportement et à demeurer vigilants dans un contexte où le monde se déshumanise chaque jour.
A vous suivre, la riposte contre terrorisme n’est pas seulement une question de Forces de défense et de sécurité. N’est-ce pas ?
C’est une question de toute la population. Si nous n’apportons pas, en ce qui concerne chaque citoyen, notre part de lutte dans le terrorisme, cela voudrait dire que nous pouvons équiper nos forces de sécurité de tout ce que nous voulons, l’effet de surprise déployé par les terroristes l’emportera toujours sur nos forces. Lorsque vous équipez vos forces avec un bon arsenal et que ces forces sont surprises par des attaques comme celles que nous connaissons, il y a des risques que le matériel soit détruit, il y a des risques qu’il soit emporté et là, vous alimentez l’arsenal de l’adversaire. Donc, il faut absolument se débarrasser de cette logique qui nous amène à affirmer souvent de façon péremptoire que nos forces ne sont pas équipées, que nos forces n’ont pas le même matériel que les terroristes. On a vu dans l’histoire religieuse, le combat de David et Goliath. Cela veut dire qu’avec la volonté, on peut vaincre. En Indochine, on a vu que malgré leur lourd arsenal militaire, les Américains n’ont pas gagné la guerre. Tout en recherchant le renseignement pour nos FDS, encourageons-les, galvanisons-les, soutenons-les.
Ceux qui ont revendiqué les attaques du 2 mars dernier, les justifient par le fait qu’un certain nombre de leurs hommes sont morts dans un raid de l’armée française en février de cette année. Pourquoi font-ils payer à notre armée une action posée par l’armée française ?
Cela veut dire qu’il y a probablement une relation de cause à effet. Rappelez-vous qu’à partir du Mali, un des chefs djihadistes avait déclaré que tous ceux qui se seraient alliés à la France pour les combattre, les trouveront sur leur chemin. Vous savez également que le G5 Sahel est en marche, même si l’opérationnalité n’est pas encore effective. Il n’y a plus qu’un pas à franchir pour que nous puissions dire que nous disposons d’une force. Pendant ce temps, que fait l’ennemi ? Il veut empêcher l’œuf d’éclore. Par conséquent, tous ces alibis qui sont avancés, sont dans le schéma de toute guerre. La guerre, c’est affaiblir ou détruire l’ennemi et les conséquences qui en résultent au cours de ce processus-là, visent à galvaniser ou à décourager les uns et les autres. On est frappé ; on sent qu’on est faible, pour le moment, devant l’ennemi. Que fait-on ? On replie, on se prépare et on revient. Evidemment, on revient peut-être avec plus de rancœur mais en attendant, ce n’est pas ça la réalité. Tout pays ou tout individu qui viendrait en renfort, devient un ennemi potentiel comme la première cible qui est visée. Ça voudrait dire qu’à partir de cette attaque du 2 mars dernier, les actions terroristes se poursuivent.
« Attaquer le point vital du Burkina, notamment l’épine dorsale de sa défense, et en plein cœur de sa capitale, cela veut dire qu’on pourrait frapper partout où on veut »
Précisez votre pensée !!!
Les terroristes se seraient vengés sur le Burkina. Si on va dans leur logique, ils n’ont plus de raisons de nous frapper. Est-ce que nous allons nous laisser endormir par cet argumentaire-là ? En réalité, cela doit nous amener à rebondir et à être dans une situation de vigilance accrue pour des ripostes appropriées.
Pourquoi les terroristes ont-ils choisi de frapper au Burkina Faso et non au Mali, au Niger, en Côte d’Ivoire ou au Tchad ?
Dans une bagarre, lorsqu’on n’est pas dans un sport comme la boxe dont les règles indiquent où il faut taper, on recherche les points vitaux pour pouvoir neutraliser son adversaire. Il s’agit là du choix d’un symbole qu’ils ont opéré. La France, c’est l’Occident ; elle est aujourd’hui le pays qui s’active pour faire du G5 Sahel, une force de frappe contre le terrorisme. Le Burkina, c’est le pays qui est engagé sur plusieurs théâtres d’opérations anti-terroristes. Attaquer le point vital du Burkina, notamment l’épine dorsale de sa défense, et en plein cœur de sa capitale, cela veut dire qu’on pourrait frapper partout où on veut. S’attaquer à l’Ambassade de France au Burkina, vise à lancer un avertissement aux Etats qui voudraient soutenir le Burkina Faso et la France dans leur volonté de lutte anti-terroriste. Le message semble clair. En s’attaquant à l’Ambassade de France, les terroristes veulent faire savoir aux autres ambassades qu’elles pourraient subir le même sort.
Quel commentaire faites-vous de l’argument selon lequel les attaques terroristes que connaît le Burkina actuellement seraient le prix du départ de Blaise Compaoré du pouvoir ?
Dans ce genre de situations, il ne faut pas se laisser embarquer par ce qu’on appelle la diversion. Les causes des attaques résistent à ce genre d’argumentaires qui sont souvent farfelus et déroutants. Je pense qu’il faut s’attaquer aux causes réelles du phénomène. C’est comme dans nos concepts aujourd’hui. Quelqu’un a une maladie, elle peut être insidieuse, ses causes peuvent être connues mais certains diront que c’est telle ou telle personne qui lui a jeté un sort. Or, les causes réelles sont là, « diagnosticables » et les solutions disponibles. Si l’on reste dans ce schéma utopique, cela pose problème. Le terrorisme que nous connaissons, a son terreau. Pour l’éradiquer, il faut s’attaquer à ses causes. Quant à ceux qui disent que les attaques terroristes seraient le prix du départ de Blaise Compaoré du pouvoir, les enquêtes judiciaires en cours suite aux attaques du 2 mars seront à même de situer les responsabilités. Il faut éviter ici de jouer au charlatan.
Comment déraciner le terrorisme au Burkina ?
Il faut rebâtir notre système de sécurité et notre système de développement. Et à cela, il faut une participation de tous. Un sage disait que si vous rencontrez un fou ou un déséquilibré mental, si vous l’observez un moment et vous n’apprenez rien de son état, c’est que vous-même n’êtes certainement pas loin de lui. Aujourd’hui, tout doit nous amener à réfléchir et dans cette réflexion, nous devons tout mutualiser car on ne doit écarter personne dans la lutte contre le terrorisme. Tous les effets et toutes les réflexions sont les bienvenus.
Suggérez-vous par exemple que l’on fasse recours à des personnalités politiques et militaires de l’ancien régime, notamment Blaise Compaoré, Gilbert Diendéré ou Djibrill Bassolé, dans la lutte contre le terrorisme ?
A quel titre, je peux me permettre une telle suggestion ? Les personnalités politiques et militaires de l’ancien régime, tout comme chaque citoyen soucieux de sauver son pays, dans pareille situation, n’ont pas besoin qu’on leur fasse recours. La solidarité du moment se veut spontanée, citoyenne, afin de bouter hors du pays les terroristes de tout bord. Peu importe le lieu où sont ces autorités, leur présence n’étant pas nécessairement aux avant-postes de combat, encore moins au front.
« La solution militaire est dans les mains de la classe politique, toutes tendances confondues »
On dit souvent que l’armée est politisée au Burkina. Est-ce qu’après les chamboulements d’octobre 2014, le phenomène est toujours d’actualité ?
Je voudrais dire que le Burkina revient de loin. Sur quinze régimes politiques, seulement deux ont été mis en place de façon démocratique. A partir de la chute de Maurice Yaméogo en janvier 1966, tous les régimes politiques se sont militarisés et ce, jusqu’aux dernières élections. Dans un Etat démocratique, il y a la division des pouvoirs : l’exécutif, le législatif et le judiciaire. En démocratie, la répartition tripartite des pouvoirs évite l’installation des régimes dictatoriaux qui instaurent le terrorisme d’Etat au nom d’une prétendue stabilité et au mépris de la protection des populations et de leurs biens. Le président Obama ne disait-il pas ceci : « Il nous faut des institutions fortes et non des hommes forts » ! N’a-t-il pas été contredit ? La politisation des Forces de défense et de sécurité reste fortement ancrée dans notre pays. Il est grand temps de procéder à des réformes urgentes et audacieuses afin de répondre aux nouvelles menaces comme le terrorisme contre lequel le monde entier éprouve des sérieuses
difficultés. Le combat qui va s’installer dans la durée, exige une solidarité nationale, sous-régionale et mondiale. C’est un impératif. Le slogan révolutionnaire selon lequel « un militaire sans formation politique est un criminel en puissance » signifierait-il la gestion de l’Etat par les armées ? L’armée fait partie intégrante du pouvoir exécutif par opposition aux deux autres (législatif et judiciaire). Elle est, par conséquent, sous contrôle du pouvoir parlementaire. Ce rôle est-il joué ? Certes, non ! Un honorable député disait au cours d’une formation des députés sur le contrôle des FDS, je cite : « Il n’est ni souhaitable ni souhaité que l’Assemblée nationale contrôle les Forces armées ». Fin de citation et sans commentaire ! Avant la Révolution, les FDS avaient droit à au moins cinq postes ministériels dans tout gouvernement. Comme le disait feu Pr Ki-Zerbo, « quand on donne un os charnu à un chien, vouloir le lui retirer, il faut se lever tôt ». Dans tous les cas, la solution militaire est dans les mains de la classe politique, toutes tendances confondues.
Est-ce qu’on peut dire que le Burkina est en train de sortir de cette militarisation du pouvoir ?
Il faut non seulement en sortir mais très rapidement, parce que le temps ne nous appartient pas. L’installation d’une sécurité comme pilier du développement, est primordiale. Il n’y a pas de développement sans sécurité et il n’y a pas de sécurité sans développement. C’est un binôme indissociable. Or, pendant longtemps, on s’est installé dans une posture selon laquelle le socle de notre développement, c’est la sécurité et la stabilité nationales qui relèvent du domaine de la souveraineté nationale. Cela voudrait dire, par exemple, que la construction de l’armée et de la Justice incombe aux Etats. Par contre, la communauté internationale pourrait apporter son soutien pour le développement. Mais à quoi sert-il d’aller vers le développement sans avoir un socle de sécurité ? Sans ancrage sécuritaire, n’est-ce pas bâtir sur du sable mouvant ?
C’est vous qui avez mis en place la Justice militaire. Que vous inspire le rôle de cette juridiction chargée de juger actuellement les présumés putschistes du 16 septembre 2015 ?
Les autorités qui ont créé la Justice militaire pourraient mieux vous répondre. J’ai eu pour mission d’organiser une Justice militaire, de la faire fonctionner et de l’administrer. Je crois modestement avoir réussi ma mission. La Justice militaire telle qu’elle est un peu partout dans le monde, est un complément indispensable de la discipline militaire, base principale des armées. Elle est une justice d’exception et non d’Etat d’exception, chargée de juger les militaires et assimilés pour des infractions purement militaires et ce, dans le souci d’équité. La Justice militaire est peu comprise, j’en conviens, mais elle demeure indispensable pour le renforcement permanent de la discipline militaire.
Certains estiment qu’il y a une rivalité malsaine entre Police et Gendarmerie en terme de renseignement au Burkina Faso. Quel commentaire en faites-vous ?
Je dirai pour ma part qu’il y a des incompréhensions, à la limite un manque de collaboration entre les FDS d’une manière générale. Cela résulte non seulement d’une définition claire des missions de chaque entité, mais aussi d’un manque de cadre de concertation et surtout de coordination, le tout prévu dans la Politique nationale de sécurité intérieure. Il s’agit de forces complémentaires qui ne peuvent être efficaces que lorsqu’elles sont fortement soudées et où les conflits de compétences n’ont pas leur place. Une fois de plus, la solution idoine renvoie aux systèmes de sécurité, concept universel.
Que vous inspirent les violences actuelles en RDC (vous qui avez participé à la refondation de la Police de ce pays ; laquelle Police est devenue un moyen de répression) ?
La RDC vit en ce moment un terrorisme d’Etat qui tire ses fondements du refus d’un chef de l’Etat de se retirer du pouvoir. Elle n’est pas un cas isolé en Afrique. En RDC, c’est l’armée et la police ainsi que les milices pro-gouvernementales qui sont instrumentalisées pour semer la terreur. Malgré la présence des forces onusiennes, le pouvoir politique ignore les droits de l’Homme. Il est urgent de passer à l’application du chapitre 7 de la Charte des Nations Unies prescrivant l’usage de la force pour rétablir la paix dans le pays.
Interview réalisée par Michel NANA