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JEÛNE DU RAMADAN : Les conseils d’un nutritionniste


Le mois de ramadan est réputé être une période de grande consommation alimentaire. Pourtant, s’alimenter pendant le jeûne requiert  l’intégration d’un certain nombre de principes diététiques. Afin de donner quelques conseils aux fidèles musulmans, nous avons rencontré le Dr Steve Léonce Zoungrana, Hépato-gastroentérologue-nutritionniste et Médecin de Santé Publique. Il est également le président de l’ONG Promouvoir la nutrition et l’hygiène en Afrique (PNHA). Il aborde la problématique de l’alimentation pendant cette période de jeûne.

 

 

Quelles ont les conséquences du jeûne sur l’organisme ? N’y perd-on pas des éléments nutritifs ?

 

Un jeûne comme celui du mois de ramadan ne devrait  pas poser des problèmes de santé, à condition de savoir se nourrir correctement. En effet, il s’agit d’un jeûne court qui ne se fait que sur une demi- journée (environ 13 heures). C’est à partir de 18 à 20 heures de durée que le jeûne devient dangereux pour la santé.

Il n’y a pas de conséquences néfastes si l’alimentation a été bien conduite, c’est-à-dire la  consommation de tous les nutriments indispensables au bon fonctionnement de l’organisme y compris l’eau. La déshydratation peut survenir si l’apport en eau n’a pas été suffisant pendant la phase précédant le jeûne ; on peut effectivement ressentir de la fatigue et  une baisse des performances physiques et intellectuelles, de l’attention dans la journée.

 

 

Dans quels cas le jeûne est-il contre-indiqué ?

 

En effet, il y a des contre-indications : les patients diabétiques traités à l’insuline ou avec les comprimés (antidiabétiques oraux) et qui ne sont pas équilibrés, les défaillances d’organe en général (insuffisance rénale, maladie cardiaque…)  et toutes les maladies qui ne peuvent pas supporter un jeûne même court. Bien sûr, en cas de maladie infectieuse (paludisme, diarrhée, fièvre typhoïde, etc.) ou d’hospitalisation, il ne faut pas poursuivre le jeûne. Il faut savoir que les patients ulcéreux voient l’intensité de la douleur de l’estomac augmenter avec le jeûne, avec le risque de survenue de complications (saignement, perforation).

Personnellement, je déconseille le jeûne aux femmes enceintes. Néanmoins, pour celles qui tiennent absolument à le faire, une surveillance médicale accrue est nécessaire.

 

Concrètement Dr, comment le fidèle musulman devrait-il s’alimenter pendant cette période ?

 

Il lui faudra appliquer les bons principes de la nutrition, c’est-à-dire le bon aliment  en bonne quantité et au bon moment : c’est le principe de la chrono nutrition. Pendant cette période, il faut continuer à prendre les 3 repas par jour conseillés par tous les nutritionnistes avec quelques spécificités liées au jeûne. Il faut surtout éviter de se jeter sur la nourriture dès la tombée de la nuit, ce qui est dangereux pour la santé.

– Le 1er repas est le plus important de la journée. C’est celui qui précède le jeûne et c’est pour cela qu’il ne faut pas le négliger et qu’il doit être consistant. C’est de ce repas que l’organisme va tirer toute l’énergie dont il aura besoin dans la journée. C’est aussi à ce moment qu’il faudra boire suffisamment d’eau pour se constituer des réserves afin d’éviter la déshydratation. Typiquement, le repas devra être équilibré en quantité et en qualité. Il va comporter des sucres complexes ou  lents : céréales (riz, tô, bouillie de céréales, pain) et les tubercules qui seront disponibles pour l’organisme toute la journée. On pourra également consommer des protéines animales tels la viande, le lait, ainsi que des légumes sous forme de crudités ou de potage avec un peu d’huile végétale, des fruits. Bien entendu ce régime sera adapté à la disponibilité alimentaire, aux goûts et habitudes de chacun. Ce type de régime est équilibré et apporte  tous les macronutriments (sucres,  protéines, un peu de graisses) et micronutriments indispensables (des vitamines et sels minéraux). Chez les seniors (sujets âgés de plus de 60  ans) par exemple, la consommation d’un produit laitier (lait frais, yaourt, fromage, etc.)  est essentielle pour assurer des apports conséquents en calcium et vitamine D nécessaires à la minéralisation des os qui tendent à se fragiliser. Il faut entre 1000 et 1200 mg de calcium par jour.

– Le 2e  repas est celui de la rupture du jeûne qui a lieu au coucher du soleil, entre 18 h et 18  30 mn. Il faut manger des aliments un peu sucrés et bien s’hydrater pour nourrir rapidement l’organisme et lui permettre de récupérer de la journée. Les aliments sucrés peuvent provenir de la bouillie de céréales (petit mil, riz, maïs) traditionnellement consommées chez nous avec d’autres boissons sucrées  comme le bissap ou le  zom koom. On peut également consommer des dattes et des boissons chaudes sucrées (thé, tisanes). Ces sucres dits simples ou rapides que nous conseillons passent immédiatement dans le sang, puis parviennent aux cellules, permettant de soulager rapidement la sensation de faim. Ce repas doit être léger, il doit juste permettre d’apaiser les sensations de soif et de faim résultant de la journée de jeûne. J’insiste sur le fait que la consommation des aliments sucrés doit être modérée, car ce sont des aliments à très forte densité énergétique et palatable. En rappel, 100 g de sucres soit 20 carreaux équivalent à 420 calories, 100 g de dattes à 555 calories tout en sachant qu’une femme adulte n’a besoin que de 2400 calories environ par jour. S’ils sont trop consommés, ils peuvent occasionner une prise de poids liée à la forte sécrétion d’insuline.

– Le 3e repas  est pris environ, 1h30 mn et 2h après le second. Il doit respecter la satiété (juste manger à sa faim) sans pour autant être lourd et trop copieux. Il faudra éviter de manger à ce moment des aliments énergétiques  trop gras, surtout les graisses animales (viandes grasses, abats, beurre, etc.)  qui augmentent le taux de cholestérol dans le sang et favorisent la survenue des maladies cardio-vasculaires ; et des féculents, surtout sous forme de fritures (100 g de pomme de terre frites délivrent 400 calories !). La première raison, c’est qu’il ne sert à rien de manger beaucoup avant de dormir puisque tout ce qui est mangé sera stocké pendant la nuit. L’assimilation des aliments est optimale avant l’effort, pas avant le repos. La deuxième, c’est que si le repas est trop lourd, la sensation de faim ne se fera pas sentir au matin et pourrait faire sauter le petit déjeuner précédant le jeûne journalier. Par exemple, on pourra commencer  le repas par une  soupe ou des crudités, avec une vinaigrette allégée. On  pourra également consommer  de la viande et du poisson maigres, accompagnés d’un peu de féculents et terminer le  repas par des fruits ou des produits laitiers . En somme, ce repas doit être léger mais rassasiant, n’apportant pas trop d’énergie. Il met l’accent sur les protéines avec très peu de féculents (riz, tô, etc.). Il ne faut pas oublier également de boire suffisamment d’eau toute la soirée après la rupture afin d’obtenir un bon état d’hydratation le lendemain.

 J’insiste sur la nécessité de s’hydrater surtout que cette année,   il fait vraiment chaud et les experts de la météo affirment que cette forte chaleur va s’étendre jusqu’en fin juillet. L’eau  est l’élément le plus indispensable de tous. A température modérée, la suppression d’apport en eau provoque la mort en 2 à 3 jours. Chaque jour nous perdons environ 3 litres d’eau (les selles, la perspiration, la transpiration, les urines) et il faut les remplacer. Cette eau sera répartie entre le lever du soleil (début du jeûne) et son coucher.

 

« Il ne sert à rien de trop manger la nuit pour ensuite aller se coucher »

 

Pourquoi certaines personnes prennent-elles du poids pendant le jeûne du  mois de ramadan ?

 

Ce phénomène est bien connu en nutrition et c’est pourquoi j’insiste sur le fait qu’il faut suivre une certaine rigueur alimentaire. En effet, certaines personnes peuvent prendre jusqu’à 10 Kg durant cette période de jeûne. Il ne faut justement pas trop manger au moment de la rupture du jeûne et ne surtout pas exagérer dans la consommation des aliments gras et sucrés. Après une période de jeûne de 12 heures, l’organisme risque de se rattraper en faisant des réserves si on lui donne trop d’énergie : c’est le phénomène de compensation bien connu en nutrition. Aussi, il ne sert à rien de trop manger la nuit pour ensuite aller se coucher. Cela favorise l’accumulation. Le plein d’énergie se fait avant l’effort et non avant le repos. Il ne faut pas se mettre non plus comme certains le font, à grignoter à la tombée de la nuit après la coupure du jeûne. Enfin, il faut savoir que le repas pris avant le jeûne est très important. En le négligeant, on donne l’occasion à l’organisme de se rattraper plus tard, comme expliqué plus haut. On voit souvent des diabétiques hospitalisés après le ramadan, non pas à cause des restrictions alimentaires, mais du fait de repas trop copieux ! L’important est de ne pas faire d’excès lors de la rupture du jeûne.

 

Pendant la période de jeûne, on assiste à l’essor de l’alimentation de rue  avec des points de vente qui poussent comme des champignons. Quel regard portez-vous sur ce qui y est vendu du point de vue de la qualité et de l’hygiène ?

 

En effet, le jeûne du ramadan favorise l’essor de ce que nous appelons la restauration collective. La problématique de la qualité hygiénique des aliments de la rue est connue et se pose avec encore plus d’acuité en cette période de jeûne. En effet, la rupture du jeûne se fait en famille ou en collectivité (y compris dans la rue ou les mosquées); ce qui suppose la préparation de rations alimentaires plus importantes souvent par plusieurs personnes. On peut assister à des cas de Toxi infections alimentaires collectives (TIAC) dont le choléra, avec une morbidité importante. Les principales bactéries mises en cause sont les salmonelles (60%), le clostridium perfringens (13%), le staphylocoque doré (15%). Il est donc indispensable de prendre un certain nombre de mesures d’hygiène en cette période de jeûne.

Ces intoxications alimentaires  peuvent être en rapport avec une rupture de la chaîne de froid (cas du poisson qui va connaître une putréfaction et le développement de microbes), des aliments souillés avant leur préparation, une cuisson insuffisante, le non- respect des règles élémentaires d’hygiène comme le lavage des mains pouvant aboutir à une contamination des aliments par des parasites ou des bactéries.

Lorsqu’un aliment est contaminé et qu’il est partagé par beaucoup de gens, ceux-ci vont présenter les mêmes symptômes d’intoxication à savoir : diarrhée, vomissements, déshydratation, pertes de connaissance ; toute chose pouvant compromettre le bon déroulement du jeûne.

Au moment de la rupture du jeûne et avant de préparer les mets, il faut se laver les mains avec du savon. Il faut bien recouvrir les aliments pour éviter leur contamination par certains vecteurs comme les mouches qui peuvent se déposer sur les selles et ensuite sur les aliments. Les ustensiles de cuisine et les plats doivent être lavés au savon.  Il faut aussi boire une eau saine, et le cas échéant, surtout en zone rurale, faire bouillir l’eau ou la désinfecter  en y mettant quelques gouttes d’eau de javel (4 gouttes/litre d’eau).

 

Quels conseils donnez- vous aux fidèles musulmans pour finir ?

 

D’abord, il faut prendre un petit-déjeuner consistant le matin, avant le lever du soleil. Pour la rupture du jeûne le soir, il est essentiel de doubler la prise des repas. Je conseille de faire un repas au moment de la rupture du jeûne qui ne soit pas trop copieux, et d’en faire un autre deux à trois heures après. Il est important d’essayer de garder trois repas sur les 24 heures et d’éviter les excès. Il ne faut pas oublier de bien s’hydrater en buvant suffisamment d’eau le soir et le matin avant de débuter le jeûne. Enfin, il faudra veiller à pratiquer une bonne hygiène dans la préparation, la conservation et la consommation des mets.

Bon mois de ramadan aux fidèles musulmans du Burkina Faso !

 

Propos recueillis par Françoise DEMBELE

 

 

 


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