HomeA la uneKOUMBA BOLY/BARRY MINISTRE DE L’EDUCATION NATIONALE ET DE L’ALPHABETISATION : « Les syndicats n’ont jamais dit qu’ils n’étaient pas d’accord avec le continuum »

KOUMBA BOLY/BARRY MINISTRE DE L’EDUCATION NATIONALE ET DE L’ALPHABETISATION : « Les syndicats n’ont jamais dit qu’ils n’étaient pas d’accord avec le continuum »


La rentrée scolaire 2014-2015 marque les esprits des Burkinabè au regard des réformes et des mesures qui l’accompagnent pour que, d’une part, elle soit réussie et d’autre part, elle garantisse une éducation de qualité. L’une des mesures fortes est, en effet, le continuum éducatif. Cette réforme, qui prend en compte le préscolaire et le post- primaire, fait couler beaucoup d’encre et de salive. C’est dans un tel contexte marqué par des revendications et des critiques de toutes parts sur le système éducatif burkinabè, que les Editions « Le Pays » a reçu dans ses locaux, la ministre de l’Education nationale et de l’alphabétisation, Koumba Boly/Barry, le 16 octobre dernier, en tant qu’invitée de la rédaction. A cette occasion, la ministre a passé en revue bon nombre d’aspects en rapport avec le système éducatif, qui ont fait et font l’objet de commentaires et de contestations sur le système éducatif. L’utilité du continuum, les mesures d’accompagnement pour qu’il soit effectif tout en garantissant une éducation de qualité, la condition des enseignants, l’utilité de l’enseignement multilingue, la question des écoles sous- paillotes et des systèmes de multigrade… ce sont autant de questions auxquelles Koumba Bolly/Barry a apporté des réponses.

 

« Le Pays » : Sous quel signe placez-vous la rentrée scolaire 2014-2015 ?

 

Koumba Boly/Barry : Nous plaçons cette rentrée sous le signe du renforcement des valeurs fondamentales de démocratisation du système éducatif burkinabè. Nous voulons aussi placer cette rentrée sous le signe du dialogue et de la paix. Vous avez constaté les résultats de la rentrée 2013-2014 au niveau du MENA. Au niveau du Certificat d’études primaires (CEP) nous avons eu affaire à un taux historique en termes de réussite. Pour moi, c’est l’occasion de dire à l’ensemble des Burkinabè qui ont contribué à cette réussite, que c’est le moment idéal pour ne pas baisser les bras au regard d’un taux aussi important. C’est quand même 261 600 enfants  qui ont réussi au CEP (un taux de 82,2%). Et ce que nous avons l’habitude de faire, les chiffres le montrent, sur les 261 600, c’est à peine 60 000 enfants à qui on doit permettre d’accéder au post-primaire. Donc, si parmi plus de 260 000 enfants il y a seulement 60 000 à qui vous dites qu’ils ont une petite chance de pouvoir poursuivre leurs études en 6e, ce n’est pas démocratique, ce n’est pas avoir une école accessible. Donc, pour nous, il s’agit de se rassurer que dans ce continuum éducatif que nous sommes en train de construire, en disant que l’éducation c’est du préscolaire au post-primaire, tous les enfants puissent être pris en charge en ce qui concerne une loi d’orientation qui date de 2007. Du reste, c’est l’ensemble des députés du Burkina qui ont voté cette loi qui n’avait jamais été mise en œuvre auparavant. Mais nous, nous avons décidé de mettre en œuvre cette loi. Donc, dans ce processus, il n’était pas question de dire que nous allions laisser tomber des enfants burkinabè pour la simple raison que leurs familles n’ont pas la capacité financière de leur permettre de continuer l’école ou que, quelque part, le gouvernement n’a pas eu suffisamment de places pour les accueillir. Cela n’est pas acceptable. Nous avons mobilisé, ces dernières années, tous les acteurs dont les parents d’élèves, la société civile, les partenaires techniques et financiers et nos partenaires sociaux parce qu’au MENA, nous avons une grande chance de pouvoir travailler en bonne intelligence avec l’ensemble des partenaires sociaux. Aux syndicats, j’ai dit d’ailleurs que la performance qu’on a eue, à savoir un taux de plus de 80%, est en partie due au dialogue et à la collaboration que nous entretenons. Si on n’avait pas eu cette franche collaboration où chacun vient poser ses problèmes pour qu’on en discute et prenne des engagements de part et d’autre pour les résoudre, on n’aurait pas eu cette performance. Pour la simple raison que dans une salle de classe, si les enseignants ne sont pas là, on ne peut pas parler d’éducation. C’est dire que le temps d’apprentissage, le volume horaire que les enseignants ont, sont fondamentaux pour l’éducation. L’année dernière, nous n’avons pas eu de grève. Et le fait de n’avoir pas eu de grève aura donc contribué à atteindre ces résultats. Les enseignants étaient présents toute l’année, ils ont enseigné et cela nous a permis d’avoir ces résultats. C’est pour cela que je souhaite que cette rentrée puisse encore être placée sous le signe et le sceau de la paix et du dialogue. Nous continuons à discuter avec les syndicats et il y a un cadre qui nous réunit et qui nous permet de dialoguer. Nous comptons, bien sûr, sur l’ensemble des acteurs pour nous accompagner dans cette rentrée scolaire.

 

« Quand on parle de qualité de l’éducation, c’est aussi la qualité des enseignants et des enseignantes que vous allez mettre à disposition »

 

Avec le continuum, on a l’impression que l’on ouvre un peu trop les vannes. Est-ce que cela ne va pas jouer sur la qualité de l’enseignement ?

 

Je suis tout à fait disponible et ouverte à toutes les critiques et à toutes les suggestions pour pouvoir continuer à avancer de la meilleure des façons. Quand on me demande aujourd’hui si tout est beau et rose en cette rentrée, je réponds oui, à la condition que nous décidions ensemble, que tout soit beau et rose. Vous demandiez si la qualité de l’éducation ne va pas prendre un coup. Quand on parle de qualité de l’éducation, c’est aussi la qualité des enseignants et des enseignantes que vous allez mettre à disposition. Cela est un élément fondamental sur lequel nous avons décidé de nous positionner. Il s’agit, pour nous, que ces enseignants et enseignantes soient disponibles, mais aussi que leurs profils soient adaptés. C’est pour cela que le gouvernement a décidé de recruter, pour le post- primaire de cette année, 2 500 enseignants pour combler le gap qui existait. Nous avons donc dit au gouvernement que c’est important que nous puissions nous positionner dans cette perspective de construction de la qualité parce qu’il y va de l’intérêt du système éducatif et celui de la société burkinabè tout entière. On ne peut pas dire que l’on veut faire de l’éducation de qualité quand on a souvent, dans certains CEG, seulement 2 ou trois enseignants. Un directeur de CEG m’a dit qu’à son niveau, il était à la fois le directeur du CEG, le professeur en français et en anglais et le surveillant général. A lui seul, il remplit toutes ces fonctions donc à ce moment, on ne peut pas parler de qualité. C’est pour cela que le gouvernement a décidé de recruter 2 500 enseignants et enseignantes, dont 1 000 qui viendront du MENA. Ces personnes ont des diplômes universitaires et sont dans l’administration ou dans les salles de classes. Cela comporte un double avantage en ce sens que l’on valorise d’abord ces enseignants qui se sont investis eux-mêmes, pour se former. En plus, cela nous permet de disposer de leurs compétences. Du reste, toutes ces personnes qui seront recrutées soit par la reconversion, soit par le concours direct, bénéficieront d’une formation avant d’être affectées dans les salles de classes. Au-delà, ils bénéficieront d’un plan de formation continue sur les trois prochaines années. Ainsi, pourrons-nous nous assurer de l’effectivité de la qualité de l’éducation. Nous avons rencontré nos partenaires techniques et financiers et ils m’ont rassurée qu’ils étaient disponibles pour nous accompagner, à la fois, au niveau des ressources financières qu’au niveau des compétences techniques. Soyez donc rassurés que, s’agissant de cette dimension qualité, nous y veillons.

 

« Les syndicats n’ont jamais dit qu’ils n’étaient pas d’accord avec le continuum »

 

Malgré ces mesures d’accompagnement prises par l’Etat, les syndicats sont contre le continuum éducatif, comment expliquez-vous cela ?

 

En ce qui concerne les mesures, il faut rappeler que ce dont je parlais tout à l’heure concerne les mesures prises pour les enseignants. Il y a aussi d’autres mesures et la deuxième mesure forte se situe au niveau de l’accessibilité. On sait que chaque année, au niveau du secteur privé, on dispose d’une capacité d’accueil qui tourne autour de 24 ou 25%. Pour nous, il s’agit d’agir pour pouvoir trouver de l’espace aux 75% restants. Nous avons rencontré toutes les structures organisées  du privé et le gouvernement a décidé d’amener encore 20 000 élèves au secteur privé afin de permettre aux parents d’inscrire leurs enfants dans ces établissements privés moyennant 50 000 ou 60 000 F CFA, selon le coût de l’inscription dans  l’établissement. C’est une des mesures fondamentales du continuum. Nous avons aussi prévu des ressources financières à hauteur de 3 milliards de F CFA pour la vacation afin de rendre disponible, en tout lieu, les professeurs des matières scientifiques qui, le plus souvent, font défaut. Il s’agit donc de s’assurer que dans chaque établissement et dans chaque classe, les élèves puissent bénéficier d’une formation adéquate. Les frais des vacations ont donc été programmés et budgétisés afin que la qualité de l’éducation ne prenne pas un coup. Ce qui est aussi important, c’est l’implication des communes dans notre stratégie de mise en œuvre du continuum. A ce niveau, les structures déconcentrées du MENA ont rencontré les maires. Les mairies et les équipes techniques du MENA ont fait le tour des communes et ont identifié des locaux déjà existants. Sur la base de l’existant, il y a un travail de valorisation de ces espaces qui doit être fait pour s’assurer qu’ils respectent les normes pédagogiques. C’est un travail que nous avons effectué avec l’ensemble des maires et aujourd’hui, c’est plus d’un millier de CEG que le gouvernement va mettre à la disposition des élèves pour leur apprentissage, cette année. S’agissant des syndicats, je pense qu’on devrait se comprendre. Les syndicats n’ont jamais dit qu’ils n’étaient pas d’accord avec le continuum. Je dispose encore de leur document dans lequel leurs demandes sont très claires. Les syndicats ne parlent pas en termes de pertinence ou de non pertinence du continuum. Pour eux, c’est une orientation stratégique du gouvernement. C’est l’Assemblée nationale qui a décidé de mettre en œuvre ce continuum parce que c’est la meilleure façon de s’assurer qu’on développe des compétences et des capacités pour prendre en charge le développement. C’est une vision forte de dire que l’éducation doit commencer du préscolaire jusqu’au post-primaire, c’est-à-dire de 3 ans jusqu’à l’âge de 16 ans. Et pour chaque Burkinabè, cette éducation doit être obligatoire et gratuite entre 3 et 16 ans. Je pense donc que c’est une décision forte que l’Assemblée nationale a prise en 2007 et que nous ne faisons que mettre en œuvre au niveau du MENA, vu que c’est le peuple, à travers l’Assemblée nationale, qui en a décidé. Les syndicats n’ont donc pas dit qu’ils étaient contre le continuum, ils ont dit qu’ils allaient plutôt continuer à interpeller le MENA et le gouvernement pour s’assurer que, dans le processus d’opérationnalisation du continuum, les conditions de travail et de vie des enseignants sont préservées ; que le système éducatif, de la façon qu’il s’organise, est empreint de qualité et qu’on développe des compétences et des capacités pour pouvoir prendre en charge le développement du pays. Mon équipe et moi sommes d’ailleurs très heureux de cette position du syndicat qui est un groupe d’interpellation et de veille qui nous rassure. Chaque fois qu’ils posent un problème et que nous avons des éléments de réponse à cette question, nous sommes convaincus que nous sommes sur la bonne voie. En ce qui concerne le MENA, notre position est que les syndicats sont des partenaires incontournables. Nous ne pouvons pas lutter contre les syndicats, nous avons plutôt besoin d’eux pour construire de la meilleure façon, notre système éducatif.

 

« Pourquoi la majorité des enfants n’arrivent pas à acquérir toutes les compétences qu’on veut leur transmettre dans ce processus d’apprentissage… On recrute les enseignants et les enseignantes avec le niveau BEPC pour une année de formation ».

S’agissant de la qualité de l’enseignement, quel est votre avis sur la baisse du niveau des élèves, quand on sait que le niveau en français de quelqu’un qui avait le BEPC dans le temps pourrait valoir le niveau de celui qui a une maîtrise aujourd’hui ?

 

Quand on me parle souvent de ce niveau de connaissances, je peux dire que cela est vrai dans certains domaines. Mais ce qu’on oublie c’est que ce maitrisard d’aujourd’hui dispose peut-être aussi de l’outil informatique qu’il maîtrise alors que celui d’hier qui pouvait écrire une belle lettre sans fautes à l’époque, n’avait pas cet outil. C’est peut-être cela aussi la différence. C’est l’évolution du monde. De nos jours, les enfants ont leur manière de communiquer à travers les sms et on voit souvent des  « je s8 » au lieu de « je suis ». C’est aussi une forme de communication que nous constatons de nos jours, que les maîtrisards d’il y a 30 ou 40 ans n’ont pas connue. Je ne dis pas non plus que tout est beau au niveau des acquis scolaires. L’instrument que j’ai le mieux utilisé quand je suis arrivée dans ce ministère, c’est le rapport d’évaluation des acquis scolaires pour la simple raison que c’est un document que la direction de  la statistique produit chaque année et qui met en exergue les acquis des niveaux. Du CP1 jusqu’au CM2, elle fait des évaluations qui permettent de situer les niveaux des enfants dans telle ou telle matière. Je vous assure que j’ai fortement été interpellée, à mon arrivée en 2011, en constatant que c’est à peine 50% des matières principales qui étaient maîtrisées par les élèves, tant au niveau des élèves du Cours élémentaire que du Cours moyen. Ce qui montre qu’il y a quelque chose qui ne va pas. Les sociétés évoluent et chaque société se donne aussi des objectifs en termes d’acquisition dans le processus éducatif. Il y a 30 ou 40 ans, le système éducatif dans son organisation, avait un objectif. Aujourd’hui, les objectifs que nous visons par rapport au système de l’éducation, peuvent être tout autres. Mais ce qui est essentiel, c’est se dire que nous devons nous donner les moyens d’atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés. En 2011, on a compris que le problème du niveau des élèves est fondamentalement important et nous avons compris qu’il y a des défis à relever dans ce système éducatif en ce qui concerne la qualité. Ce rapport m’a donc permis de me demander pourquoi la majorité des enfants n’arrivent pas à acquérir toutes les compétences qu’on veut leur transmettre dans ce processus d’apprentissage, au moins dans les matières principales. Et la réponse était évidente. On recrute les enseignants et les enseignantes avec le niveau BEPC pour une année de formation.

 

Mais que faites-vous pour changer cela ?

 

Le gouvernement du Burkina Faso a donné des orientations en ce sens. Il faut élever, en premier lieu, le niveau de recrutement des enseignants. Désormais, les enseignants ne vont plus être recrutés à partir du niveau brevet, mais au niveau baccalauréat avec 2 années de formation. C’est l’orientation stratégique première. En plus, il s’agit de revoir le programme scolaire. Les programmes scolaires tels qu’ils sont organisés indiquent que les enseignants doivent assurer 1 068 heures chaque année. En définitive, on constate que les enseignants n’arrivent pas à le faire pour la simple raison que les programmes sont surchargés. C’est du « bourratif » et cela ne peut pas permettre à un enfant de maîtriser des façons de faire, encore moins des façons d’être. Donc il faut réviser et alléger les programmes. La direction de la réforme, actuellement en atelier (ndlr : le 16 octobre 2014) travaille là-dessus. Elle présentera les nouveaux curricula de l’éducation de base à l’ensemble des syndicats de l‘éducation nationale. Juste pour vous dire que le processus a démarré. Le contenu a été élaboré et il est en train d’être présenté ce matin même. Donc, il nous faut absolument élever le  niveau des enseignants tout en nous assurant que le contenu de leur formation est de qualité, et revisiter les programmes pour nous assurer qu’ils sont pertinents. Nous sommes aussi dans la dynamique de réviser le contenu de la formation initiale et de la formation continue des enseignants et des enseignantes du Burkina et pour cela, nous avons un appui technique de l’UNESCO et du Canada afin de partager des expériences au niveau international. Ce sont là des dimensions fortes qui sont en train d’être organisées.

 

« Il y aura près de 10 000 jeunes que le MENA va recruter cette année »

 

Le déficit en enseignants est criard tant au niveau MESS qu’au niveau du MENA. Pourquoi, au lieu de recruter des jeunes sortis des universités, transformez-vous les instituteurs titulaires d’un diplôme universitaire en professeurs de CEG ? N’est-ce pas là creuser un trou déjà profond pour en remplir un autre ?

 

J’avoue que chaque fois qu’on parle de reconversion des enseignants, c’est la première préoccupation que les gens nous posent. Mais je voudrais vous rassurer car, à notre niveau, c’est aussi une question de gestion du personnel. La plupart de ces personnes qui ont des diplômes universitaires ont suivi une formation. Cela veut dire qu’elles sont plus ou moins basées dans les grandes villes comme Ouagadougou, Bobo ou Koudougou. Donc il y a une sorte de concentration de ce personnel dans ces villes. Pour nous, c’est une stratégie pour nous assurer que nous revaloriserons ces personnes qui ont acquis des connaissances et des compétences, mais qui sont malheureusement concentrées dans les centres urbains. En plus, il faut reconnaître que la plupart de ces personnes ne sont pas dans les salles de classes, mais dans les bureaux. Donc c’est une stratégie pour nous assurer qu’on décongestionne les bureaux pour mettre ces enseignants là où ils doivent être. Ce qui est aussi important à savoir, c’est que nous prévoyons de recruter 7600 enseignants et enseignantes, ce qui n’a jamais été le cas au niveau du MENA. Juste pour vous dire que s’il y a des trous à combler, il y a aussi de l’espace. Au-delà de cela, en ce qui concerne le recrutement des enseignants du post-primaire, 1 500 personnes seront recrutées par concours direct. Donc si on additionne ces 1 500 au 7 600, il y aura près de 10 000 jeunes que le MENA va recruter cette année. Ce sont des personnes à qui nous donnons du travail et cela contribue quelque part à résorber le problème de l’emploi.

 

Dans le cadre du continuum, certains personnels du MESS ont été transférés au MENA. Comment comptez-vous régler les problèmes liés à l’occupation de postes de responsabilité (DRENA, DPENA, etc.) ?

 

C’est une question fondamentale car ce sont de nouvelles personnes qui vont venir travailler avec d’autres personnes. Le message que j’ai essayé de faire passer, c’est qu’autant les agents du MENA craignent de travailler avec ceux du MESS, autant ceux du MESS craignent de travailler avec les gens du MENA. Certaines personnes diront que ceux qui vont venir s’ajouter à elles ont, en leur possession, de gros diplômes et vont vouloir récupérer leurs postes. Mais les nouvelles personnes qui arrivent peuvent aussi avoir peur car certaines diront qu’elles étaient au niveau de l’enseignement supérieur et maintenant, on les tire vers le bas. Cela aussi peut être source de peur, d’autant plus qu’elles se poseront beaucoup de questions à savoir si elles seront bien accueillies dans ce nouveau ministère ou encore si elles ne se feront pas commander par des instituteurs. Je l’avoue, j’ai été confrontée à toutes ces manifestations de peur. Il y a un an de cela, c’était très dur, mais aujourd’hui, les gens ont commencé à travailler ensemble et tout va très bien. Au niveau des ressources humaines, j’ai été informée que les demandes de transferts au MENA sont nombreuses si bien qu’on ne sait pas si on pourra les traiter toutes. C’est dire que les questions qui étaient soulevées au début sont essentiellement liées à la peur du départ. Il y a eu beaucoup de communications pour résoudre ce problème, et c’est le lieu pour moi de remercier sincèrement le ministre des Enseignement secondaire et supérieur et l’ensemble de son personnel au niveau central comme au niveau déconcentré, car il a fallu aussi qu’ils acceptent de s’organiser, de travailler et de communiquer avec nous pour rassurer les uns et les autres qu’au niveau de leurs carrières, il n’y aura pas de problème quelconque. Je vous assure que lorsqu’on a fait le bilan de transferts dernièrement en Conseil des ministres, non seulement nous avons été félicités, mais surtout, le gouvernement a donné la consigne pour qu’aucun enseignant, dans ce processus de transfert,  ne soit lésé dans sa carrière. Cette orientation de la part du gouvernement nous a beaucoup aidés dans l’organisation du processus de transfert.

 

On sait que la rentrée a eu lieu depuis un moment, à ce jour, peut-on dire que tous les admis au CEP ont pu avoir la place en 6?

 

Je ne peux pas vous dire qu’à ce jour, tout le monde a eu de la place parce qu’il peut y avoir des enfants qui ont été affectés mais par manque d’informations, n’ont pas pu s’inscrire. Et nous sommes toujours sur la brèche afin de corriger tout cela. En principe, en fin octobre, chacun devrait savoir où il doit être orienté. Les enseignants que nous allons recruter vont se former 2 semaines durant avant de démarrer les cours. Mais nous avons déjà des ressources pour la vacation. C’est pour cela que les cours vont immédiatement commencer là où les classes de 6e sont ouvertes. Donc, il n’y a aucun problème car le schéma a été réfléchi de façon cohérente même si certains continuent de dire que c’est de la cacophonie. Mais je continue de dire qu’on a bien réfléchi et tout a été organisé. Je reconnais que dans toute nouvelle organisation, il peut y avoir des difficultés mais l’important, pour nous, c’est  qu’à chaque fois qu’il y a une difficulté, il y ait un acteur qui puisse expliquer aux parents d’élèves la conduite à tenir et s’organiser pour résoudre le problème. C’est d’ailleurs le lieu pour moi de vous remercier pour cette opportunité de communication et nous espérons compter sur les journalistes pour qu’ils continuent de porter l’information afin que nous puissions nous atteler à résoudre tout problème spécifique qui viendrait à être signalé. Nous sommes d’ores et déjà à l’écoute et tous les problèmes éducatifs qui sont relevés nous interpellent. C’est dire que les journalistes nous aident à mieux aménager le terrain.

 

« L’une des dimensions de notre stratégie, c’est la question d’intégration des principes du préprofessionnel et la dimension professionnalisante »

 

Le ministère ne gagnerait-il pas à travailler avec les enseignants qui sont à la retraite et qui sont disponibles vu que ce sont des personnes pétries d’expériences ?

 

Là-dessus, je suis entièrement d’accord car c’est une excellente proposition. Il y a deux ans, nous avons posé le problème sur la table. Il est vrai que les enseignants qui sont à la retraite bénéficient d’énormes expériences. La France, le Japon et le Canada nous ont fait la proposition de nous aider avec l’Association des enseignants retraités de leur pays. Ce sont des personnes qui ont élaboré de nouvelles stratégies du système éducatif qui seront adaptées au contexte burkinabè.  Cela est possible eu égard à la coopération que nous entretenons avec ces pays. C’est un cadre de réflexions qu’on peut entretenir au Burkina avec les retraités. C’est une idée que  nous avons déjà lancée il y a 2 ans à savoir, quelle est la meilleure façon de valoriser ce vivier d’autant plus que la plupart du personnel dont nous disposons est jeune ? Et très souvent, de grosses responsabilités sont données à ces personnes qui sont très jeunes. C’est d’ailleurs pourquoi je trouve que la mise à disposition des fiches pédagogiques a tout son sens. Pour quelqu’un qui arrive à l’enseignement avec le BEPC et ayant bénéficié d’une année de formation, ce n’est pas toujours évident. Mais s’il dispose d’un canevas, cela aidera sûrement à éviter les fautes dans l’administration des cours, que nous constatons lors de certaines visites sur le terrain. A plusieurs reprises, certains nous ont fait le reproche qu’en mettant les fiches pédagogiques à la disposition des enseignants, on leur ôte le travail de préparation qui est l’essence première d’un enseignant. Mais imaginez que ces derniers aient la possibilité de disposer des outils informatiques, ils disposeront du même coup des fiches pédagogiques des enseignants à travers le monde. Alors, donner un instrument à quelqu’un pour lui faciliter sa tâche n’enlève en rien sa responsabilité de préparation car, il doit au moins adapter cet outil à son contexte de classe.

 

Quel lien pouvez-vous établir entre le continuum dans l’enseignement général et dans l’enseignement professionnel ?

 

L’une des dimensions de notre stratégie, c’est la question d’intégration des principes du préprofessionnel et la dimension professionnalisante. Vu que l’éducation de base, c’est aussi l’alphabétisation et l’éducation non formelle, il faut absolument que le volet professionnalisation soit pris en compte. Et il faut déjà que, dès le bas âge, on commence à apprendre aux enfants les travaux pratiques. Dans le programme des écoles, il est inscrit que les élèves puissent aller visiter les meilleures fermes en élevage ou en agriculture. Une fois, nous avons rencontré des enfants qui venaient juste de faire une visite dans une ferme agricole qu’ils ont trouvée très intéressante. Nous leurs avons demandé s’ils voudraient être agriculteurs. Sur la dizaine d’enfants qui étaient assis, seulement 4 ont levé la main. Quand nous avons demandé aux autres pourquoi ils ne voudraient pas être agriculteurs, l’un d’entre eux a rétorqué que c’est trop dur. Alors, nous nous sommes retournés vers les 4 autres qui avaient répondu par l’affirmatif. L’un de ces enfants nous a dit qu’il voudrait devenir agriculteur comme le fermier qu’ils sont allés voir, mais qu’il ne voudrait pas pratiquer l’agriculture traditionnelle comme il a l’habitude de voir. Il a donc exprimé sa volonté de pratiquer une agriculture moderne en utilisant des machines. C’est donc une chose importante pour le système éducatif burkinabè que de permettre aux enfants, dès le bas âge, de comprendre que, quelle que soit l’activité qu’on entreprend, si on a des compétences, on peut innover et évoluer. Et je trouve que c’est important d’apprendre aux enfants ce à quoi consiste l’agriculture qui est l’activité principale des Burkinabè. Mais si le système éducatif continue de dévaloriser l’activité agricole, alors on peut être amené à se demander où va le pays ?

 

« Le gouvernement nous a autorisés à prendre 14 milliards de F CFA pour nous permettre d’organiser une bonne rentrée »

 

Quelles sont les difficultés majeures auxquelles vous faites face aujourd’hui ?

 

Notre premier grand défi, c’est le défi de la communication sur les orientations que nous avons prises pour que l’ensemble des acteurs du système éducatif comprennent ce qui a été décidé et qu’ensemble on avance dans le processus de mise en œuvre de ce système. Si la communication passe très bien, les autres problèmes pourront être résolus. Rien que ce matin, une tierce personne me faisait la suggestion d’utiliser des locaux de la Santé dans une localité donnée, car, il a estimé que dans cette localité, le ministère de la Santé avait des bâtiments qui étaient inoccupés. Mais il a fallu que nous commencions à en parler pour que ces personnes nous fassent des propositions. Je pense donc qu’aujourd’hui, si le déficit de communication est résolu, tous les autres problèmes seront réglés. Côté finances, il n’y a pas de problème, car le gouvernement nous a autorisés à prendre 14 milliards de F CFA pour nous permettre d’organiser une bonne rentrée. Cette somme prend en compte les volets infrastructures, recrutements, indemnités, vacation…  Le gouvernement nous a même autorisés à utiliser des préfabriqués pour que nous puissions disposer au maximum, des infrastructures dans un bref délai. Alors, notre problème n’est pas lié aux ressources financières, mais plutôt à la communication.

 

Que faites-vous pour résoudre ces problèmes de communication ?

 

Nous avons mis en place un plan de communication et nous sommes dans la dynamique de mettre en œuvre ce plan de communication. Notre présence ici fait aussi partie de ce plan de communication et nous avons besoin de communiquer avec les parents d’élèves et tous les acteurs de la communication. Dans ce plan de communication, nous allons associer l’ensemble des maires du Burkina. Nous avons rencontré tous les maires de la région du Centre et ceux des Hauts-Bassins. Ces rencontres vont se poursuivre dans toutes les régions. Nous avons aussi un plan de communication avec la société civile et aussi l’Association des parents d’élèves. D’ailleurs, les partenaires sociaux ont été les premières personnes à qui l’information a été portée avant de communiquer avec tous les autres acteurs.

 

Quels commentaires faites-vous de l’enseignement multilingue ?

 

L’enseignement multilingue, pour nous, fait partie des expériences qui ont eu des acquis. Cela fait plus d’une dizaine d’années que l’enseignement multilingue a été expérimenté, et il a montré des acquis scolaires pertinents. Nous sommes dans un processus de généralisation de cette éducation multilingue. Mais pour organiser un processus de généralisation, il faut avoir des enseignants et des enseignantes formés par rapport à cette méthode multilingue et disposer du matériel didactique adéquat. A défaut, nous ne ferons pas un travail de qualité. Donc, c’est ce que nous sommes  en train d’organiser progressivement. Car, je pense que dans un pays comme le nôtre, où la diversité culturelle est aussi importante, si on ne peut pas prendre en compte ces valeurs culturelles fondamentales dont les langues nationales dans notre système éducatif, c’est une grande perte en termes de substrat culturel. Pour moi et pour beaucoup d’autres acteurs, il est fondamental que le système éducatif soit le premier intervenant dans la prise en charge de notre substrat culturel. Et pour ce faire, il faut déjà que le système éducatif intègre nos langues nationales. Dans le processus de révision des curricula de formation pour l’éducation de base et pour les enseignants, cela sera pris en compte. C’est dans ce processus de réformes que la question de la généralisation va pouvoir s’organiser de la meilleure façon. D’ailleurs, dans toutes les ENEP, nous avons déjà commencé à intégrer la méthode de l’enseignement multilingue.

 

« On a constaté que jusqu’au CM2, 70% des enseignants utilisent les langues nationales pour se faire comprendre par les enfants ».

 

Mais cette méthode a beaucoup été critiquée par une partie de la société civile et certains ont dit que c’est pour capter des fonds que le système a été mis en place.

 

Est-ce que vous savez que certaines personnes ont dit que le continuum est une imposition de la Banque mondiale ? Alors que, c’est quand même l’Assemblée nationale du Burkina, donc les représentants du peuple burkinabè, donc toute la Nation, qui a décidé que le continuum en vaut la peine pour élever le niveau éducatif du peuple burkinabè. C’est l’Assemblée nationale qui a voté la loi, mais on dit que c’est la Banque mondiale. Il en est de même pour le système multilingue. Mais ce qui est intéressant dans ces critiques, c’est que cela pose des questions auxquelles il faut répondre. Mais au-delà, il faut se demander si prendre en compte nos propres valeurs culturelles dans le processus d’apprentissage, a son sens. J’ai fait faire une étude concernant les acquis scolaires et les résultats ont été très intéressants. On a constaté que jusqu’au CM2, 70% des enseignants utilisent les langues nationales pour se faire comprendre par les enfants. Alors, si tel est le cas, pourquoi ne pas formaliser cette pratique tout simplement ? Cela provient d’un document scientifique et plusieurs études faites en ce sens l’ont prouvé.

 

Pendant combien de temps encore va durer le système des classes sous paillotes et le système multigrade ?

 

Je l’ai dit déjà à l’Assemblée nationale et je le redis. Pour moi, l’éducation ce n’est pas d’abord le contenant. J’ai fait mon primaire dans une école sous-paillote et cela ne m’a pas empêchée d’avoir un doctorat de 3e cycle en histoire économique. Le DG de l’UNESCO a fait toute son école primaire sous un arbre. Dans mon cas, nous avions eu un enseignant très compétent. Ce qui m’amène à dire que le premier aspect important dans le processus d’apprentissage, ce n’est pas le bâtiment. Nous allons souvent dans certaines zones où nous voyons de belles salles de classes avec des petits effectifs, mais à la fin de l’année, vous avez 0% au Certificat d’étude primaire. Comment peut-on expliquer cela ? C’est dire que l’éducation ne s’arrête pas aux bâtiments et moi, si je dispose de ressources financières, je suis désolée de le dire, ma priorité sera plutôt de recruter des enseignants qui ont un bon niveau, de mettre en place des formations initiales dont le contenu est pertinent et d’avoir des formations continues pour actualiser ces compétences afin que les gens soient motivés dans ce processus d’apprentissage. Cette année, à plusieurs reprises, les uns et les autres ont manifesté leur satisfecit en ce qui concerne les indemnités et la satisfaction d’un certain nombre de leurs besoins. Cela nous satisfait également et nous motive pour avancer sur la même lancée. Un enseignant motivé, qui travaille dans de bonnes conditions et est conscient de ces responsabilités, et des élèves qui ont bien mangé, c’est important. C’est compliqué pour un enfant de pouvoir assimiler quelque chose le ventre vide.

Mais, mon seul problème avec les classes sous-paillotes, ce sont les classes en proie aux vents, à la poussière et à la menace des reptiles. A ces types de classes sous- paillote, je dis non ! J’ai donné instruction à toutes les circonscriptions d’éducation de base pour qu’on leur dise que si une communauté de base veut une école, le gouvernement est disposé à accompagner ces circonscriptions, mais à la condition qu’elles respectent certaines normes de sécurité. C’est ma perception des écoles sous-paillotes. Mais cela n’empêche pas que nous travaillons à réduire les écoles sous-paillotes. Et je suis sûre et certaine que dans 2 ans au maximum, on pourra régler le problème des écoles sous-paillotes pour la plupart. Si nous arrivons à mettre en œuvre la stratégie que nous avons définie, à savoir permettre à chaque commune d’utiliser les petits tâcherons pour construire les écoles dans chaque commune, on aura gagné. Cela, nous l’avons fait avec les tables-bancs et actuellement, à ce niveau, le problème ne se pose plus tellement.

 

« C’est le lieu d’interpeller encore les prestataires de services pour qu’ils sachent que dans les secteurs sociaux comme la santé et l’éducation, ils ne doivent pas vouloir chercher énormément de gains».

 

Vous parliez tantôt des cantines scolaires, comment expliquez-vous les retards souvent observés dans la livraison ?

 

A ma connaissance, l’année dernière et pendant cette rentrée scolaire, il n’y a pas eu de retard. Nous avons eu le temps de constater ce qui occasionnait ces retards. Ils étaient surtout dus à la longue procédure de passation des marchés. Souvent, la commission peut octroyer le marché à une entreprise quelconque. Cette entreprise, avant d’honorer le marché, peut être attaquée par une autre et tout cela contribue à ralentir l’exécution du marché. Alors, c’est le lieu d’interpeller encore les prestataires de services pour qu’ils sachent que dans les secteurs sociaux comme la santé et l’éducation, ils ne doivent pas vouloir chercher énormément de gains. Quand ils postulent pour un marché, c’est pour donner des vivres aux enfants. Donc il faut qu’ils se positionnent autrement et qu’ils ne pensent pas seulement à leurs propres profits. Puisque ce sont des questions de procédures qui engendrent les retards, nous avons négocié avec le ministère de l’Economie et des Finances afin de trouver des procédures qui permettent de rapprocher l’école aux  communautés. En ce moment, on met les fonds à la disposition des parents d’élèves qui se chargeront en tant que producteurs, de ravitailler les écoles en vivres. C’est une expérience que nous avons mise en place en ce moment, avec 302 écoles. C’est une façon aussi de faire savoir que la communauté peut être utile à l’école et vice-versa. Quelque part, nous allons valoriser les produits locaux et renforcer les capacités des producteurs qui sont autour de ces écoles. Nous avons aussi décidé de diversifier les produits selon les régions et de permettre un transit d’une région à une autre.

 

Peut-on s’attendre à ce que le système multigrade et celui de double flux prenne fin ? Si oui, quand ?

 

A très moyen terme, je pense que ce sont des processus que nous allons pouvoir réguler. Vous savez, le Burkina n’a jamais recruté 2500 enseignants pour le post- primaire. Ce n’était jamais arrivé mais nous venons de le faire. Du reste, Il y a un prestataire qui m’a dit ; «Mme la ministre, même si vous avez une planification de 3 années, moi avec ma formule de préfabriqué, je peux vous faire 4 000 salles de classes en une année ! ». Tout est une question de disponibilité de ressources et d’accords que nous allons pouvoir organiser. Par ailleurs, le président Blaise Compaoré était aux Etats-Unis il n’y a pas longtemps, et il en a profité pour visiter une usine de préfabriqués qui, de plus en plus, s’exporte en Afrique de l’Ouest. Et un accord a été signé avec le ministre de l’Economie et des Finances pour que cette entreprise puisse venir au Burkina et nous aider à résorber le problème des classes sous-paillotes. Je pense que cela fait partie des perspectives dans lesquelles nous sommes engagés. Et dans cet accord, les secteurs prioritaires qui vont bénéficier de ces préfabriqués sont l’armée, l’éducation et la santé. Si on a assez d’espace, assez de salles construites avec cette diversification dans la façon de construire, je suis certaine que dans peu de temps, nous allons pouvoir résorber la question des double flux et des écoles multigrades.

 

Pouvez-vous nous expliquer le concept «espace éducatif » qui est en marche dans certaines régions ?

 

Les espaces d’éveil éducatif, ce sont souvent ce qu’on appelle le préscolaire. C’est notre façon de démarrer les fondamentaux de l’éducation avec les tout-petits de 3 à 5 ans à l’école. C’est une dimension qui existait déjà à l’Action sociale, mais elle était organisée au sein du MENA à travers l’alphabétisation. Dans les centres d’alphabétisation où il y avait beaucoup de femmes, il y avait une expérience appelée «bissongo» avec l’appui de l’UNICEF, qui permettait que ces femmes laissent leurs enfants dans ces centres d’éveil éducatif pour rejoindre les espaces d’alphabétisation sans trop de difficultés. Il faut reconnaître que c’est un domaine qui, malheureusement, n’a pas été pris au sérieux depuis plusieurs années. Il était à  peine 3% en termes d’accès au moment où nous prenions le préscolaire. C’est vraiment insignifiant. Nous avons planifié pour dire que les 10 prochaines années, nous serons à 25%. C’est le minimum que nous sommes en train de viser et je suis sûre que nous allons dépasser ce chiffre.

 

Dans les recrutements des enseignants pour la mise en œuvre du continuum, un certain nombre d’enseignants n’ont pas été pris en compte, notamment ceux qui ont étudié la philosophie. Où en est-on aujourd’hui concrètement ? Y a-t-il une solution pour ces derniers ?

 

C’est une question qui nous a été effectivement posée par un groupe d’enseignants, notamment ceux qui ont des diplômes en philosophie, en sociologie, en droit, etc. Nous sommes en discussion avec le ministère en charge de la Fonction publique pour voir un peu comment régler la question. Mais je ne peux vous dire ce qu’il en est ici et maintenant. Je préfère que ce soit une question qui soit tranchée collégialement avec mon collègue de la Fonction publique.

 

« Il faut respecter les normes car il y va de la qualité de l’enseignement »

 

Certains promoteurs d’établissements privés transforment souvent leurs concessions en écoles. Il y a également de la politique politicienne, causant souvent des problèmes entre les conseillers pour la construction d’écoles dans telle ou telle zone. Comment faites-vous face à ces situations ?

En ce qui concerne les prestataires qui transforment les concessions en école, nous avons un cahier des charges et nous les avons  prévenus. Il y a eu des sensibilisations, des écrits, des communiqués  à la radio. Nous avons dit que, cette année, les écoles qui ne remplissaient pas les conditions, seraient fermées. Nous sommes désolés, mais ce sera ainsi. Il faut respecter les normes car il y va de la qualité de l’enseignement. Après 1 ou 2 ans passés dans des chambres noires et exiguës, certains enfants ont des problèmes d’yeux et on se demande d’où cela peut provenir alors que ce sont les salles de classe qui en sont la cause. C’est clair, à ce niveau les choses sont rentrées dans l’ordre avec la direction de l’Enseignement privé. Pour ce qui est de la politique politicienne, on en rencontre de temps en temps. Mais c’est parce que les gens ne prenaient pas le temps matériel en termes de planification pour organiser le système d’identification des sites. Depuis l’année dernière, nous avons décidé d’avoir un espace de planification uniquement pour l’identification des sites. La DGES, avec toute son équipe, se déporte sur le terrain. Lorsqu’on dit que dans telle commune, vous avez droit à 2 ou 3 écoles ou CEG, la DGES se déporte sur les lieux et tous les acteurs sont présents. C’est sur la base de la carte éducative qui est présentée aux acteurs, que les sites sont proposés et identifiés. Une fois que c’est fait, il y a un arrêté qui est immédiatement signé. Si, par la suite, quelqu’un essaie de remettre en cause le site, on lui explique que ce n’est pas une seule personne qui a décidé, mais l’ensemble des acteurs et qu’un seul individu ne peut remettre en cause le choix de tout un groupe composé de représentants du conseil municipal, de délégués du village, de l’équipe technique et des associations de parents d’élèves. C’est parce que cette procédure n’était pas appliquée que ces aberrations pouvaient arriver. Mais de plus en plus la procédure est intégrée.

 

« J’en appelle donc à tous les parents d’élèves pour qu’ils s’impliquent dans ces mécanismes d’éducation car ils sont importants pour le système éducatif »

 

Pour revenir aux associations de parents d’élèves, elles renferment en leur sein beaucoup de filous. Que fait le ministère pour juguler ce problème ?

 

J’avoue que quand je suis arrivée au ministère de l’Education nationale et de l’alphabétisation, il y avait une forte crise au niveau des associations de parents d’élèves, au point que pendant une année, il n’y a pas eu de partenariat. Pour nous, c’était très clair. Nous avons dit que nous ne pouvions pas et nous n’allions pas nous immiscer dans la gestion des associations de parents d’élèves pour la simple raison que c’est un mécanisme associatif. Ce sont des gens autonomes qui ont décidé de s’organiser et de se créer. Institutionnellement, nous n’avons pas le droit de nous ingérer dans leur façon de fonctionner et de travailler. Par contre, nous avons la responsabilité de dire que nous ne voulons pas de tel ou tel partenaire ; et nous n’allons pas travailler avec quelqu’un qui n’est pas éthiquement correct, qui ne planifie pas ses activités de la meilleure des façons. Nous avons eu à rencontrer les équipes à l’époque et elles étaient vraiment dans une situation de crise grave qui les a même conduites à la Justice. Nous leur avons dit qu’en tant que partenaires, nous sommes disposés à être des médiateurs dans cette crise pour les aider à avancer mais que nous ne pouvions pas gérer la crise à leur place. Et aussi, il n’était pas question que nous entrions en partenariat avec eux dans cette situation. Alors, quand ils auront réglé leurs problèmes, ils pourront revenir. Et c’est pour cela que pendant pratiquement une année, nous n’avons pas eu de partenariat avec les parents d’élèves. Il a fallu cet accompagnement qui a consisté à recevoir ces gens pour leur dire de mettre en avant les intérêts des élèves, de mettre en avant la société burkinabè et d’oublier leurs querelles intestines, pour que ça fonctionne. Et ce fut le cas car, les groupes ont pu faire leur assemblée générale. C’est une nouvelle équipe qui est là aujourd’hui et qui est en partenariat avec le MENA. Ce sont des associations avec lesquelles nous essayons de travailler parce que nous estimons que c’est important que la communauté et surtout les parents d’élèves soient très regardant sur l’école. Maintenant, c’est bien dommage que certains mécanismes se retrouvent biaisés. Mais, il y va de la responsabilité de la société entière. Vous avez certainement des enfants, c’est à vous de faire partie de ces associations et de refuser en disant à ces associations : ce n’est pas comme cela que ça doit fonctionner. Lorsqu’on dit qu’un mécanisme de parents d’élèves n’est pas fonctionnel et que les gens détournent les fonds, cela veut dire que les parents d’élèves n’ont pas accepté d’intégrer ce mécanisme et de dire non. J’en appelle donc à tous les parents d’élèves pour qu’ils s’impliquent dans ces mécanismes d’éducation car ils sont importants pour le système éducatif ; c’est important pour leurs enfants. Il faut qu’ils soient regardants face à ce que l’école donne en termes d’éducation à leurs  enfants et c’est un cadre qu’on leur offre pour qu’ils puissent le faire. C’est donc important qu’ils soient là.

 

 

« Il y a un domaine qui me tient à cœur : c’est la notion d’inclusion du système éducatif »

 

Vous qui venez du terrain, vous vous trouvez aujourd’hui dans le secteur de l’éducation avec tous ses problèmes. Qu’est-ce qui vous stimule ?

 

Ce sont les résultats que je vois, de même que l’engagement des partenaires et des acteurs. Quand vous allez dans les plus petits confins du Burkina, vous rencontrez un enseignant qui vous dit : « Mme la ministre, nous croyons en ce que vous dites, nous croyons en ce que vous faites et nous voyons que ça bouge », tout en vous demandant de continuer. Cela est suffisant car ça signifie que vous êtes arrivés à faire quelque chose d’important et d’intéressant pour ces personnes qui sont, le plus souvent, les plus oubliées du système éducatif et de la Fonction publique. Au-delà des enseignants et des enseignantes, nous étions à l’Assemblée nationale et c’est tous bords politiques confondus que nous avons été félicités. C’est quelque chose d’important pour nous de dire qu’au-delà de la coloration politique des uns et des autres, ces personnes prennent la parole pour dire qu’elles voient les choses changer. Même si on n’est pas des nôtres, il faut reconnaître qu’il y a du travail qui a été fait. Ce sont là des aspects très motivants dans ce processus.

 

Y a-t-il un autre point particulier que vous aimeriez aborder ?

 

Il y a un domaine qui me tient à cœur : c’est la notion d’inclusion du système éducatif. En d’autres termes, je veux m’assurer que tous les enfants du Burkina Faso ont la possibilité d’aller à l’école. Je parle des enfants qui ont des besoins spécifiques comme les enfants souffrant d’un handicap moteur ou visuel. Je parle aussi des enfants nomades ou ceux issus de familles très pauvres, qui sont obligés de s’organiser pour aller sur les sites d’orpaillage. Il y en a même qui sont nés sur ces sites, qui y grandissent. Je pense que cela est un défi pour lequel le ministère s’investit, notamment par la création d’une direction pour l’éducation inclusive. Et au-delà, la question également importante, pour moi, c’est la décentralisation de l’éducation. Quand je suis arrivée au MENA, j’ai trouvé que le processus de décentralisation avait effectivement démarré grâce à mes prédécesseurs. Pour moi, la décentralisation est le chemin à suivre. Il faut s’assurer que ce sont les communes qui peuvent se charger de mettre en œuvre l’ensemble des réformes et des orientations stratégiques que nous prenons ici au niveau central. C’est la seule façon de s’assurer que l’éducation est pertinente, qu’elle est de qualité et qu’elle répond aux besoins des populations. Il faut aussi déconcentrer les moyens. On était à 65% en termes de planification budgétaire. Il faut que nous arrivions à déconcentrer les ressources budgétaires du ministère pour que ce soit les DRENA, les DPEBA, mais surtout les circonscriptions de base et les écoles qui gèrent les ressources qui sont mises à notre disposition. Nous avons tenté et aujourd’hui nous sommes à environ 63% des ressources budgétaires du MENA qui sont gérées par les communes, les CEB, les DRENA et les DPEBA. C’est déjà un pas, mais nous allons pousser davantage. J’aimerais qu’un jour, quelqu’un veuille aller en province servir de son plein gré plutôt que de vouloir ou être obligé de rester à Ouagadougou.

 

Propos recueillis par la rédaction et retranscrits par Adama SIGUE

 

 

 

ENCADRE

 

Koumba Boly/Barry aux Editions « Le Pays »

 

« Je vous remercie et on vous félicite pour cette belle initiative qui est une rubrique qui permet de communiquer. Les départements ministériels comme le nôtre, ont surtout besoin de communiquer à la fois au niveau des orientations comme au niveau des résultats. C’est une belle opportunité que vous nous donnez et je voudrais, au nom de toute l’équipe, vous remercier pour cette belle initiative. Je remercie également tous ces journalistes qui nous accompagnent pour nous permettre de faire au mieux notre travail. La rentrée est un enjeu fondamentalement important sur lequel je voudrais me pencher pour vous dire tout simplement merci de nous donner cette opportunité parce que nous avons besoin des journalistes pour que cette rentrée s’organise de la meilleure façon. Si on veut la réussir, il faut que nous puissions arriver à communiquer sur tout ce qui est essentiel non seulement en termes d’orientations prises par le gouvernement, mais aussi en termes de défis, les défis sur lesquels nous nous attendons à ce que toute la société burkinabè nous accompagne. »


Comments
  • Menteuse! C’est tout ce que vous savez faire! Fossoyeurs de la République.

    24 octobre 2014
  • Dis moi ma chère dame si zélée à défendre le continuum comme si c’était ton invention et comme si tu avais ta fille, ton cousin ou ton neveu dans ce pu… de système que vous défendez! MERDE A LA FIN! Croyez-vous qu’on va vous laisser sacrifier nos enfants pendant que les vôtres étudient au chaud en France, au Canada et j’en passe pour revenir commander nos mômes? Vous avez introduit le système LMD dans nos universités sans pour autant réunir les conditions. Conséquences: nos braves enfants qui ne demandent qu’à bosser se retrouvent dans un système qui n’a ni tête ni queue. Il faut faire 6 ans pour une Licence, et quelle Licence encore! Pitié au moins pour ces innocents qui n’ont pas demandé à avoir de tels dirigeants! Un proverbe moaga dit que “si tu ne veux pas boire dans une écuelle à moitié cassée, n’ y met pas de l’eau à boire non plus pour ton prochain”. Tout a une fin ici-bas. Patience! DIEU n’abandonne JAMAIS les innocents… PATIENCE! PATIENCE!

    24 octobre 2014
  • Salut ce qu’elle ne sait pas c’est aujourd’hui on a ouvert des CEG dans plusieurs communes rurales sans un seul prof. En effet suis dans la commune de Karangasso Sambla à une cinquantaine de kilomètres de Bobo Dioulasso, au CEG de Koumbadougou et de Tiara ce sont les directeurs des écoles primaires qui reçoivent les élèves de sixième. J’invite sans oublier Madame Le Ministre de venir voir que ce qui office de salle de classe à Koumbadougou pour ces pauvres enfants. Elle dira encore qu’elle est issue d’une école sous paillote mais avec un Burkina démerdant par don émergent est ce bon de mettre ces êtres fragiles dans ces conditions.

    25 octobre 2014
  • S’il était possible de traduire cette interview en langues nationales (autant que faire se peut) pour que la masse puisse comprendre. Souvent, les initiatives sont belles, mais il faut des suivis/évaluations permanents pour anticiper les solutions, au lieu de lancer le processus et croire fermement qu’il sera suivi à lettre. Je suis un acteur du système, je suis présentement en formation hors du pays, mais il a fallu cette interview pour que j’aie beaucoup d’éléments de réponses à certaines de mes préoccupations.
    Il faudra vraiment valoriser la profession et on évitera toutes les frustrations. Ici, les enseignants du préscolaires, primaire, secondaire, collégial sont tous titulaires au moins de la licence, et chacun selon sa vocation, opte d’évoluer dans l’un ou l’autre ordre d’enseignement sus cité. Ce faisant, il n’y a aucun complexe lié au niveau d’enseignement dans lequel chacun fait l’exercice de son métier.
    Parlant des innovations liées aux TIC, j’ai bien apprécié le souci du MENA à travers le PDSEB de les intégrer dans le système afin d’améliorer l’enseignement/apprentissage et la formation continue des enseignants. Je crois, au regard de ce que je vis ici, qu’une intégration réussie de TIC dans l’éducation au Burkina contribuera à minimiser les difficultés que le système tend à résoudre localement sans égard aux multiples révolutions qui s’opèrent dans les sphères éducatives au niveau international.

    25 octobre 2014

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