LAZARE ZOUNGRANA, PREMIER RESPONSABLE DE LA CROIX-ROUGE BURKINABE : « Nous intervenons de façon neutre et impartiale»
Selon les projections de 2018, davantage de personnes vont être affectées par la crise humanitaire qui fragilise des millions de personnes dans 5 pays du Sahel. Au Burkina Faso, entre 14 et 15 000 personnes ont déjà quitté leurs localités respectives du fait de la violence terroriste. La situation humanitaire est difficile. Nous avons rencontré le premier responsable de la Croix-Rouge burkinabè, Lazare Zoungrana, pour parler de l’appui que son institution apporte à la population du Sahel.
« Le Pays » : Comment appréciez-vous la situation humanitaire actuelle au Sahel ?
Lazare Zoungrana : Vous savez bien que cette zone du Burkina Faso a toujours été en proie à des difficultés sur le plan humanitaire au regard de l’hostilité de l’environnement et des catastrophes récurrentes voire endémiques auxquelles les populations font face d’année en année. Cet état de fait rend les populations du Sahel encore plus vulnérables lorsque la zone enregistre d’autres types de crises comme celles engendrées par les violences armées. En effet, même en temps normal, l’insécurité alimentaire, le manque d’eau et les problèmes de santé étaient le lot des préoccupations des populations qui, de nos jours, doivent composer avec la crise sécuritaire dans la recherche de leur pitance quotidienne. Il est vrai que la situation n’a pas encore été qualifiée au regard du droit international humanitaire mais, tous ces éléments mis ensemble, nous autorisent à dire que la zone du Sahel est dans une situation de crise complexe.
Sur le plan humanitaire, quels sont les besoins réels de la population du Sahel ?
Les sécheresses, les inondations, les attaques des sauterelles et des oiseaux granivores font que cette zone est frappée de façon récurrente par l’insécurité alimentaire. Les problèmes d’eau sont des préoccupations de longue date qui entraînent des problèmes d’hygiène et d’assainissement. La malnutrition aigüe est présente au Sahel. On parle toujours de la rareté des pluies mais, il y a des moments où, quand il pleut, cela provoque rapidement des inondations. Au-delà des humains, les animaux subissent également les mêmes problèmes étant donné que c’est une zone d’élevage. Je dirai finalement que ce sont les moyens d’existence même des populations qui sont sérieusement touchés au Sahel. Le plus grand besoin en réalité n’est autre que la stabilité de la zone, c’est-à-dire la paix. C’est cette paix qui donne l’assurance aux populations pour entreprendre et produire les moyens de leur existence. C’est par la stabilité de la zone que tous les acteurs, y compris les populations, seront en mesure de penser développement et victoire sur toutes les formes de souffrances humaines. Vous savez que cette zone accueille également des réfugiés maliens. Donc, la stabilité doit concerner toute la sous-région pour que l’on espère atténuer voire surmonter les conséquences des crises humanitaires. En fait, le Sahel est un concentré de beaucoup de problèmes humanitaires et ce, indépendamment des autres situations d’urgence qui sont venues s’ajouter au quotidien des populations.
Face à ces questions humanitaires, que font les différents acteurs pour venir en aide aux populations ?
La Croix-Rouge burkinabè a toujours été aux côtés des populations du Sahel sur le plan alimentaire et ce, depuis les sécheresses des années 1973. Nous y travaillons depuis à renforcer la résilience des communautés à travers divers projets qui ont été mis en œuvre et d’autres sont toujours en cours dans les domaines de l’eau, de l’hygiène et de l’assainissement, de la sécurité alimentaire et de la préservation des moyens d’existence, de la protection et de l’éducation des enfants, de la lutte contre la malnutrition, etc. Vous le savez également, quand il s’est agi d’apporter de l’assistance aux réfugiés maliens, notre structure a été aux côtés du gouvernement, du HCR, de l’UNICEF, du CICR, de la Croix-Rouge luxembourgeoise, de la Croix-Rouge de Monaco et des autres acteurs, pour apporter secours et assistance par la construction des abris d’urgence, la distribution de l’assistance alimentaire, la prise en charge des enfants, la prise en charge sanitaire et la construction d’infrastructures d’eau et d’assainissement. Face à la récurrence des catastrophes dans la zone, je veux parler de l’insécurité alimentaire, des cas d’inondations, des attaques d’oiseaux granivores, nous sommes souvent amenés à soutenir les populations avec des vivres et des non vivres.
La violence qui sévit actuellement au Sahel a-t-elle fait évoluer votre approche en terme d’appui humanitaire à la population ?
En tant que composante du Mouvement international de la Croix- Rouge et du Croissant-Rouge, nous avons toujours privilégié le respect de nos principes fondamentaux. Nous intervenons de façon neutre et impartiale. Ce qui est important pour nous, c’est l’impératif humanitaire. C’est-à-dire comment faire en sorte d’avoir un accès sécurisé aux victimes de ces différentes situations. En réalité, nous sommes souvent dans des zones difficiles et exerçons une mission assez périlleuse mais, ce qui nous permet d’avoir un accès sécurisé aux victimes, c’est le respect de nos principes fondamentaux. Nous faisons en sorte à ne regarder que ceux qui sont dans la souffrance. Notre approche est toujours marquée par le respect des parties en présence, le respect de nos propres principes fondamentaux. Nous établissons une confiance avec tous les acteurs sur le terrain. Ces derniers doivent savoir que la Croix-Rouge n’intervient que parce qu’il y a des victimes qui sont dans le besoin. Au sein du mouvement (CICR, Fédération, Sociétés nationales) nous avons des mécanismes de coordination et des textes qui nous permettent d’agir en tant que membre d’un même mouvement. Cela a l’avantage de se compléter et d’être plus efficace dans la délivrance de l’assistance humanitaire.
Les moyens dont vous disposez suffisent-ils à satisfaire les besoins des populations dans le Sahel ?
On ne peut pas aujourd’hui dire que nous sommes en mesure de satisfaire tous les besoins, mais nous faisons en sorte que la dignité des personnes qui sont frappées par cette situation, soit respectée. Quand il y a des crises humanitaires, comme celles en cours au Sahel, les besoins sont énormes mais nous essayons de voir parmi les besoins exprimés par les victimes, quels sont les plus essentiels qui peuvent détériorer leur dignité. C’est à ce moment que nous mobilisons tous les efforts, avec nos partenaires habituels que sont le CICR, les autres Sociétés nationales de Croix-Rouge ou de Croissant-Rouge dans le monde, pour réunir ce qu’il faut aux populations pour sauvegarder leur dignité.
Dans quelles conditions travaillent les agents de la Croix-Rouge qui sont sur le terrain ? N’ont-ils pas peur de la violence en cours ?
Comme je l’ai dit, nous intervenons souvent dans des situations délicates. Qui veut aller loin ménage sa monture, dit-on. Nous accordons une très grande importance à la préparation de nos équipes d’intervention d’urgence. Il y a une formation qui leur est donnée et cela prend en compte l’environnement de l’intervention humanitaire. On ne peut pas envoyer une personne intervenir dans des circonstances d’urgence sans qu’elle n’ait un minimum de formation. Nous intervenons sur des êtres humains et à ce niveau, le tâtonnement n’est ni autorisé ni toléré. Dans ce sens, la formation permet à nos équipes d’avoir le comportement approprié dès qu’elles font face à une situation d’urgence. Malgré la préparation de nos volontaires et de nos équipes, c’est aussi sous pression que le travail s’exécute avec souvent peu de moyens.
Quel bilan faites-vous de vos interventions au Sahel en lien avec la violence terroriste qui aggrave la situation humanitaire dans la zone ?
Je voudrais rappeler que nous avons toujours une présence dans le Sahel avec des projets que nous menons dans le domaine de la sécurité alimentaire, de la préservation des moyens d’existence, de la nutrition. Nous menons également des projets dans le domaine de l’assainissement et de l’habitat. Habitué à faire le lien entre développement et urgence, la période de mise en œuvre de ces projets a coïncidé avec l’apparition des violences dans le sahel. Là également, la Croix-Rouge, dans le respect de ses principes fondamentaux, essaie d’apporter son aide aux populations qui sont en train de fuir. Les déplacements de populations sont des phénomènes qui accompagnent les situations de violence. C’est tout à fait normal que quand la situation est troublée que la population cherche à survivre. Nous avons travaillé avec le CICR pour apporter de l’assistance aux déplacés des communes de Djibo, Diguel, Nassoumbou, dans un premier temps, et ensuite, nous avons pu réaliser des activités en partenariat avec la Croix-Rouge de Belgique. Il s’agit d’une assistance en vivres et en matériels essentiels, apportée aux personnes déplacées de Djibo, de Baraboulé et de Tongomaêl. Beaucoup de gens se sont déplacés et ces personnes ont besoin d’une assistance d’urgence et cela a été fait. Par exemple, en septembre 2017, nous avons assisté plus de 6 000 personnes déplacées. Nous avons secouru, par la suite, en décembre de la même année, près de 8 432 personnes. Nous sommes toujours en train de travailler sur l’évaluation de la situation qui est évolutive, pour d’éventuelles interventions.
Le Comité international de la Croix-Rouge estime qu’entre 14 et 15 000 personnes ont quitté leurs villages dans le Soum du fait des actes de violences. Pouvez-vous nous expliquer dans quelles conditions s’opèrent ces déplacements de populations ?
Nous ne pouvons pas entrer dans les conditions qui ont amené ces gens à quitter leurs localités respectives. Ce que nous pouvons dire, c’est que face aux violences dans cette localité, il y a des populations qui sont confrontées à des problèmes humanitaires. Ce sont celles-là qui nous intéressent. Nous avons pu effectivement le constater et avons répondu à cette situation d’urgence. Nous allons continuer d’apporter notre assistance à la population mais dans le respect strict des principes fondamentaux du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge.
Pensez-vous que l’on arrive à respecter la dignité humaine des populations du Sahel ?
Faire respecter la dignité des personnes victimes fait partie de nos objectifs humanitaires. Nous faisons en sorte que les populations victimes aient l’assistance nécessaire pour que leur dignité soit respectée. C’est là notre contribution à travers notre action humanitaire. Nous nous réservons donc d’apprécier d’autres aspects.
Pourquoi ne voulez-vous pas apprécier les autres aspects de la situation au Sahel ?
Nous avons seulement une mission humanitaire à mener. Ce qui nous intéresse, c’est l’être humain qui est en difficulté et cet être humain qui est effectivement en difficulté ne se préoccupe pas d’un certain nombre de choses. Ce qui l’intéresse, c’est comment faire pour sauver sa vie. Et sauver sa vie tout seul n’est pas toujours évident. Les institutions humanitaires comme la Croix -Rouge leur sont d’un très grand secours. Dans notre mission, nous préférons parler uniquement de ce que nous faisons pour être acceptés par toutes les parties afin d’avoir un accès sécurisé aux victimes qui sont dans le besoin.
Quelles sont les principales difficultés auxquelles vous êtes confrontés dans votre action au Sahel ?
Nos difficultés se posent en termes d’accès sécurisé aux victimes comme je l’ai dit plus haut. Quand on intervient dans une zone conflictuelle, c’est assez difficile. C’est vrai que nous avons l’emblème Croix-Rouge sur fond blanc, bien connu des parties, et qui nous protège, mais on doit toujours travailler à faire en sorte que nous puissions avoir un accès sécurisé aux victimes. Et c’est toujours la chose la plus difficile pour nous. Comment allez-vous sauver des vies et faire en sorte que ceux qui vont sauver ces vies, reviennent en bonne santé ? Chez nous, il faut secourir sans y succomber. On ne doit pas mettre nos équipes d’intervention en danger. Il faut faire en sorte que, non seulement, elles s’arment de courage, mais aussi, que nous prenions toutes les précautions possibles pour qu’elles aussi, ne soient pas en danger. Ce sont des préoccupations. Je précise que nos équipes sont constituées d’éléments formés et qui sont psychologiquement armés pour mener les missions humanitaires à bon terme. Nous ne manquons pas, en tant que responsable, de les encourager et les féliciter pour le travail accompli. Ce sont eux qui sont sur le terrain et souvent, il y a une psychose qui s’installe du fait qu’on ne sait jamais de quoi demain sera fait. Nous travaillons à leur apporter une assistance psychosociale pour un meilleur accomplissement de l’action humanitaire.
Est-ce que vos équipes bénéficient d’une protection des Forces de défense et de sécurité ?
La Croix-Rouge ne travaille pas sous escorte militaire et elle ne l’accepte pas, parce que notre emblème est reconnu comme étant protégé par le droit international humanitaire (DIH).
Pensez-vous que les terroristes respectent ce droit international humanitaire ?
Nous savons que nous intervenons dans des zones d’urgence et sensibles. Nous travaillons à respecter nos principes fondamentaux qui sont en principe connus par tous les acteurs. Le Mouvement international de la Croix-Rouge existe depuis plus de 150 ans. Nous développons toujours des activités d’information et de sensibilisation sur nos principes et le DIH envers toutes les parties, tous les publics cibles. Donc, je suis convaincu que la Croix-Rouge est comprise et acceptée dans son action par les parties en présence.
Lors des attaques terroristes que Ouaga a vécues, l’on constate toujours que la Croix-Rouge est aux côtés de différents acteurs pour apporter de l’aide aux victimes. Quel rôle a joué exactement la Croix-Rouge pendant les attaques qu’a connues la capitale ?
Nous sommes auxiliaires des pouvoirs publics et en tant que tels, nous entretenons de très bonnes relations avec tous les acteurs mobilisés en pareille circonstance. En tant qu’acteur spécialisé dans les premiers secours, nous participons à la mise en œuvre du dispositif d’intervention humanitaire et de secours mis en place par l’autorité. Pour le cas cité, nous avons contribué aux premiers soins. Nous avons non seulement participé aux premiers soins mais aussi, nous avons participé à l’évacuation de certains cas vers des centres plus appropriés.
Avec l’expérience des deux attaques, y a-t-il des leçons à tirer en termes d’approche d’intervention humanitaire ?
Sur le plan de la coordination des acteurs humanitaires, il faudra positivement noter le rôle de la Direction générale de la protection civile et des sapeurs-pompiers. Au plan interne, nous savons qu’il y a encore beaucoup de choses à faire pour sécuriser davantage les secouristes qui partent pour ce genre d’opérations. Les secouristes sont aussi vulnérables aux balles perdues, par exemple. Dans certains cas, des secouristes ont été psychologiquement traumatisés par la gravité des blessures ou le transport de cadavres. Pour certains secouristes, c’était leur première expérience de transporter des cadavres, si fait que nous devons mettre l’accent sur l’appui psychologique de nos équipes. C’est cette bonne leçon que nous avons tirée.
Propos recueillis par Michel NANA