HomeA la uneLUDOVIC PATRICE BAZIE, PORTE-PAOLE D’AGENTS DISSIDENTS DE LA CS-MEF A PROPOS DES SYNDICATS GREVISTES : « Quand on n’est pas irréprochable en matière de gestion, on doit faire profil bas»

LUDOVIC PATRICE BAZIE, PORTE-PAOLE D’AGENTS DISSIDENTS DE LA CS-MEF A PROPOS DES SYNDICATS GREVISTES : « Quand on n’est pas irréprochable en matière de gestion, on doit faire profil bas»


Un groupe d’agents du ministère de l’Economie, des finances et du développement (MINEFID) a annoncé, le 18 juin dernier, lors d’une conférence de presse, la création pour bientôt, d’un syndicat rassembleur pour défendre les intérêts de l’ensemble des travailleurs de leur département. Pour mieux connaître les motivations de ces agents, savoir s’ils ont les moyens de leur politique, si la création de ce syndicat n’a pas été suscitée par le gouvernement, les relations que ces agents entretiennent avec le les autres syndicats du MINEFID, nous avons rencontré, le 20 juin 2018 à notre rédaction à Ouagadougou, le porte-parole dudit groupe, Ludovic Patrice Bazié. Sans langue de bois, il a apporté des éléments de réponse à nos différentes questions, en appelant les agents à reprendre le travail et les syndicats actuellement en grève, au respect du droit des autres à ne pas grever.

 

« Le Pays » : Vous venez d’annoncer la création d’un syndicat. Pouvez-vous revenir sur les raisons qui vous poussent à créer ce syndicat ?

 

 Ludovic Patrice Bazié : C’est un processus que nous avons enclenché pour aboutir à la création d’un syndicat. Sinon, pour le moment, c’est un groupe d’agents du MINEFID qui, après analyse de la situation qui prévaut au MINEFID, a décidé de prendre ses responsabilités, compte tenu des conséquences graves que font peser les multiples grèves sur les activités économiques. Entre autres conséquences, on peut citer la perturbation des activités dans les secteurs public et privé, le risque de non-paiement des salaires des fonctionnaires, le non-respect des engagements avec les partenaires techniques et financiers (PTF), la radicalisation des positions des différentes parties, le risque de déstabilisation du pays.

Vous parlez de risque de déstabilisation ; comment cela peut-il arriver, selon vous?

 

Le blocage des activités économiques peut conduire au chaos. Avant ces mouvements de grève, nous étions déjà dans un contexte économique et financier difficile. A cela s’ajoutent les attaques terroristes et la famine. Vous imaginez que dans ces conditions actuelles, si une situation non souhaitable advient, cela pourrait ébranler le fonctionnement des institutions et conduire le pays vers le chaos ; chose que nous ne souhaitons pas. En plus  de cela, il faut prendre en compte le caractère impopulaire de cette lutte au sein de l’opinion nationale. Il faut ajouter la discrimination engendrée et entretenue par les syndicats au sein du ministère, dans la répartition du fonds commun et dans la promotion des agents. Vous imaginez que dans ce même ministère, des agents bénéficient seulement de 30% et d’autres de 60% du fonds commun, alors qu’ils participent tous à l’atteinte des objectifs du ministère. Il y a aussi le manque de transparence dans la conclusion des accords avec les autorités du ministère et la gestion des cotisations syndicales. Combien d’agents connaissent le contenu des arrêtés signés dans le cadre des négociations sur le fonds commun? Combien d’agents savent où vont leurs cotisations précomptées sans leur avis? Comment comprenez-vous que des agents dont la carrière a débuté au MINEFID et qui sont inconnus des effectifs des autres ministères, soient exclus du bénéfice du fonds commun quand ils sont nommés ou mis à disposition dans d’autres ministères ou institutions ? Il y a, en ce moment, environ quinze agents dont le fonds commun a été coupé, après leur nomination dans d’autres ministères. Ces mêmes agents avaient contracté des prêts et remboursent actuellement sur la base de leur salaire. Vous voyez comment des syndicats peuvent être méchants et inconséquents envers leurs camarades dont ils ont besoin des cotisations et de la mobilisation pendant les luttes. Je précise bien que les agents victimes de cette exclusion relèvent des effectifs du MINEFID et à la fin de leur nomination ou mise à disposition, ils reprennent service au MINEFID. Sur ce point, nous comptons interpeller les autorités à user de leurs prérogatives pour mettre rapidement fin à cette injustice et les autres cas d’injustices dans le traitement des agents au MINEFID. Il n’y a pas de super agents au MINEFID et le corporatisme exacerbé est incompatible avec les principes de solidarité et de cohésion dans une administration.

Avez-vous les moyens de votre politique?

 

Bien évidemment ! Moi-même qui vous parle, j’ai été Secrétaire général adjoint du SYNAFI. Et à ce titre, j’ai de l’expérience en matière de syndicalisme. Il y a également les autres camarades qui ont aussi milité dans d’autres mouvements syndicaux. Outre cet aspect, nous avons, en plus de nos collègues de Ouagadougou, d’autres camarades dans les régions, qui nous soutiennent et qui n’hésiteront pas à se lancer avec nous dans le travail de mobilisation des militants. Sur le plan financier, notre syndicat fonctionnera grâce aux cotisations libres et volontaires de ses militants, sans check-off, et naturellement avec les dons et subventions. Pour les activités, nous entendons élaborer une feuille de route. Mais d’ores et déjà, nous avons, au regard de la modicité de nos moyens, organisé, comme première activité, une conférence de presse.

D’aucuns pensent que la création du syndicat a été suscitée par le gouvernement. Qu’en dites-vous?

 

Non, il n’en est rien. Les préoccupations qui ont prévalu à la crise au sein du SYNAFI, datent de 2014. Ces préoccupations concernent le manque de transparence dans la gestion des cotisations et les questions d’injustice, d’exclusion dans le bénéfice du fonds commun. Nous avons espéré une assemblée générale de renouvellement des membres du bureau, en vain. Et c’est un bureau incomplet et illégal qui est à la tête du SYNAFI, parce que son mandat est arrivé à échéance depuis le 19 décembre 2015. Nous ne partageons pas la démarche du SYNAFI et cela ne date pas d’aujourd’hui. Ce n’est pas par hasard que certains de nos camarades ont porté plainte auprès de l’Autorité supérieure de contrôle d’Etat et de lutte contre la corruption (ASCE/LC) depuis le 4 octobre 2017, contre le Secrétaire général du SYNAFI, en plus de la plainte en cours auprès du Procureur du Faso.

« Nous avons également des récriminations contre le gouvernement »

 

C’est simplement une coïncidence avec le rejet, par le gouvernement, de certains points de revendication des syndicats. Sinon, nous avons également des récriminations contre le gouvernement.

 

Lesquelles?

 

Il y a, par exemple, les conclusions de la conférence des forces vives sur la rémunération des agents publics, la mesure portant sur le recrutement d’agents d’appoint et des retraités pour assurer la continuité du service au niveau du MINEFID, etc.

L’annonce de la création, bientôt, de votre syndicat a-t-elle reçu un écho favorable au sein des travailleurs du MINEFID

 

Certains de nos camarades nous ont félicités et encouragés à aller de l’avant, dans le projet de création d’un syndicat. D’autres hésitent toujours et attendent de voir notre plate-forme pour se laisser convaincre. Il y a ceux dont les faits et actes sont dénoncés qui, pour le moment, ne vont pas être d’accord avec nous. Mais, ils comprendront, par la suite, le sens de notre démarcation. Il faut arriver à équilibrer le débat au sein du ministère, non pas par les menaces et intimidations, mais par la force, la cohérence et la pertinence des arguments.

 

Quelle est votre position par rapport à la grève de la CS-MEF ?

 

Nous la trouvons exagérée, en ce sens que les points de revendication inscrits dans la plate-forme, ne peuvent pas justifier la radicalisation actuelle de la lutte. Tous les points inscrits, peuvent trouver satisfaction dans un cadre de dialogue empreint de courtoisie et de respect mutuel. Tout le monde se plaint, le secteur privé comme public, sans compter le fait que nous sommes un pays pauvre. Tôt ou tard, nous devons revenir au dialogue. Inutile donc de trop tirer sur la corde. Quelle que soit la légitimité d’une revendication, il faut savoir   faire des concessions utiles pour pouvoir progresser. Ni le gouvernement, ni le syndicat ne doit être satisfait de la situation dans laquelle nous nous trouvons actuellement. C’est pourquoi, conscient des préoccupations des agents, nous allons entreprendre, dès l’obtention de notre récépissé, des démarches auprès du gouvernement dans le sens de trouver des solutions aux problèmes des prêts contractés par les agents, de trouver un moratoire dans la mise en œuvre de certaines recommandations de la conférence des forces vives sur la rationalisation du système de rémunération des agents publics de l’Etat.  Nous invitons nos camarades syndicats à revoir leur position afin d’éviter de créer des situations qui vont compromettre le développement socio-économique du pays et qu’ils ne pourront pas résoudre. Quand on sait, en tant que responsable syndical, qu’on n’est pas irréprochable en matière de gestion, on doit   faire profil bas et éviter les revendications maximalistes. Nous invitons les syndicats actuellement en grève au respect du droit des autres à ne pas grever. Il faut également mettre fin à certaines pratiques qui consistent à faire passer des points focaux des syndicats dans les bureaux, pour faire sortir les agents qui veulent travailler ; ce n’est pas du syndicalisme. Nous sommes en train de recenser les faits et gestes de certains représentants des syndicats en grève, qui sont aux antipodes du syndicalisme et bientôt, un traitement judiciaire sera réservé à ces cas.

Quelles relations entretenez-vous avec le SYNAFI, par exemple ?

 

Compte tenu du refus du SYNAFI de porter certaines préoccupations des agents, le manque de transparence dans la gestion et l’orientation syndicale, la violation de ses propres statuts et règlement intérieur (absence de bilan, non- renouvellement des instances) et les méthodes de lutte non respectueuses des libertés syndicales, sont autant d’arguments qui nous ont amenés à prendre nos distances vis-à-vis de ce mouvement.

Le gouvernement vient d’annoncer le recrutement d’agents d’appoint pour assurer la continuité du service au niveau du MINEFID. Comment avez-vous accueilli cette nouvelle ?

 

Nous ne partageons pas cette décision du gouvernement et nous comptons, dès l’obtention de notre récépissé, entreprendre des actions pour la dénoncer clairement. Nous pensons qu’il n’y a pas lieu de déranger les retraités qui, après tant d’années de don de soi, méritent le repos. Le recours aux personnels d’appui risque de ne pas être efficace. Nous estimons que les agents du MINEFID ont la volonté de travailler, pour peu qu’on renoue le dialogue et c’est ce à quoi nous allons nous  atteler.

 

Pensez-vous que cette initiative du gouvernement contribuera à résoudre la crise que  traverse le MINEFID ?

 

Cette initiative ne sera pas de nature à ramener la sérénité. C’est pourquoi nous prévoyons des échanges avec le gouvernement autour de certaines préoccupations, afin de rassurer les camarades. Nous profitons de votre micro, pour inviter les camarades à reprendre le travail et à privilégier le dialogue, au nom de l’intérêt supérieur des Burkinabè. On ne part pas en négociation parce qu’on est faible ou parce qu’on a tort, mais tout simplement parce qu’on est soucieux de la sauvegarde de notre patrimoine commun.

 

Propos recueillis par Dabadi ZOUMBARA

 

 

 


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