LUTTE CONTRE BOKO HARAM : Le Tchad dans l’action, l’UA dans le virtuel
L’Union africaine (UA), pendant les travaux de son 24e sommet dont la clôture est intervenue le samedi 31 janvier dernier, a traité entre autres de la question de Boko Haram. A ce sujet, elle envisage la mise en place d’une force panafricaine d’intervention de 7500 hommes et sollicite l’appui du Conseil de sécurité de l’ONU. Cette option est à saluer, même si l’on peut regretter le fait qu’elle relève encore du virtuel, alors que la gravité du problème commandait une autre posture, celle de l’action immédiate, comme sont en train de faire les soldats de Deby au Cameroun et au Nigeria. En effet, connaissant la lourdeur dans le fonctionnement de l’UA, l’on peut s’attendre à ce que cette fameuse force qu’elle entend mettre en place contre Boko Haram, traîne à se traduire en actes. D’ailleurs, l’on peut se poser la question de savoir pourquoi la force en attente, annoncée en grande pompe et pilotée par l’ancien président guinéen, le Général Sékouba Konaté, plus de 3 ans après, n’a toujours pas franchi le stade de la virtualité pour devenir enfin une réalité. La réponse est toute trouvée. C’est parce qu’en matière de déclarations d’intention et d’indolence, l’UA n’a pas d’égale. Pourtant, ce ne sont pas les incendies qui manquent en Afrique. Boko Haram en est un. Et cet incendie a eu le temps de consumer tout le Nord-Est du Nigeria. Si l’on ne s’en tenait qu’à l’UA, cet incendie embraserait toute la sous-région pour ensuite s’étendre à toute l’Afrique. La preuve c’est que hier, 1er février 2015, Boko Haram a lancé un nouvel assaut à Maiduguri, faisant au moins cinq morts. Heureusement que le Tchad, en collaboration avec le Cameroun, a décidé de s’en occuper, en envoyant son armée en territoire camerounais. Celle-ci vient de franchir un autre palier dans sa riposte contre Boko Haram, en effectuant des bombardements aériens le samedi 31 janvier dernier, contre des positions tenues par les barbus nigérians au pays de Goodluck Jonathan, plus précisement à Gambaru, dans l’Etat de Borno. Cette opération tchadienne en territoire nigérian, a modéré leurs velléités expansionnistes en direction du Cameroun et des autres pays de la sous-region. Chapeau bas donc au Tchad qui , dans le cadre de la lutte contre Boko, est dans l’action pendant que l’UA est dans le virtuel. Mais ces frappes aériennes tchadiennes seules en territoire nigérian, pourraient ne pas suffire pour couper définitivement la tête de l’hydre, tant qu’elles ne seront pas accompagnées des exigences suivantes.
Boko Haram peut être considérée aujourd’hui comme un problème qui se pose à la conscience universelle
D’abord, il va falloir envisager des opérations fortes directement au sol, en territoire nigérian. Une telle option pourrait faire plus de mal à Boko Haram. En effet, dans une guerre asymétrique comme celle que Boko Haram est en train de livrer au Nigeria, l’aviation est certes utile, mais elle a aussi des limites. Une d’elles, est le nombre de victimes collatéraux qu’elle peut provoquer parmi les populations civiles. L’expérience afghane peut être citée pour illustrer ce travers. Dans ce pays aux prises avec les Talibans, les populations, excédées par les ratés des frappes aériennes américaines, en étaient arrivées à réclamer leur arrêt et à exiger même le départ des forces étrangères de leur pays. Le Tchad doit éviter de tomber dans ce travers.
La deuxième exigence, c’est la collaboration active et sincère des populations du Nord-Est du Nigeria. En effet, une armée étrangère, aussi puissante soit elle, ne peut venir à bout d’une insurrection, si elle n’est pas aidée par les populations locales, en matière surtout de renseignements. Les Etats-Unis l’ont appris à leurs dépens, dans la guerre qu’ils ont livrée au Viêt-Cong de Hô Chi Minh au Vietnam.
La troisième exigence est l’engagement franc et total de l’armée nigériane dans la lutte contre Boko Haram. Tant que cela ne sera pas une réalité, le Tchad court le risque de s’embourber au Nigeria. Certes, Goodluck Jonathan a donné aux soldats de Deby, un droit de poursuite contre Boko Haram sur son sol, mais il doit aller au-delà. Il doit notamment s’approprier cette guerre, car les autres lui viennent avant tout en appoint. Cela passe par des opérations significatives et struturelles de sa part contre Boko Haram. Il en a, en tout cas, les moyens militaires. Seulement, pour des raisons qui pourraient être politiques, l’on peut avoir l’impression que les problèmes de sécurité du Nord du Nigeria ne troublent pas le sommeil du président nigérian. En effet, cette partie du territoire nigérian, on le sait, est fortement acquise à la cause de son principal rival à la présidentielle de février prochain. La perspective de voir les populations de la zone ne pas faire le déplacement pour aller voter, pour des raisons liées à la peur de Boko Haram, pourrait être cyniquement souhaitée par Goodluck Jonathan. Il pourrait, dans un tel scénario, se contenter de l’électorat du Sud dont on sait qu’il lui est plus favorable.
La dernière exigence à remplir pour rendre possible une victoire sur Boko Haram, est l’implication de tous, comme le suggère d’ailleurs la présidente de la commission de l’UA, Dlamini-ZUMA. L’Occident, à ce niveau, pourrait par exemple, en plus de l’aide matérielle, faire pression sur les pays qui, de manière souterraine, inondent Boko Haram de ressources financières. Ces pays-là, à ce que l’on dit, se trouveraient du côté des monarchies pétrolières arabes. Or, ces pays que l’on accuse à tort ou à raison de soutenir Boko Haram, se trouvent être en même temps les « Amis » de l’Occident. Ce dernier acceptera-t-il de donner de la voix contre l’un d’eux ? Il faut l’espérer, parce que Boko Haram peut être considérée aujourd’hui comme un problème qui se pose à la conscience universelle.
Pousden PICKOU