HomeA la uneLUTTE CONTRE LE TERRORISME AU BURKINA

LUTTE CONTRE LE TERRORISME AU BURKINA


Face à la crise sécuritaire sans précédent que connaît notre pays et qui n’a de cesse d’endeuiller des familles, le Pr Taladidia Thiombiano nous a fait parvenir la tribune ci-dessous, dans laquelle il fait des propositions en vue de sauver notre pays menacé dans son existence. Il propose, entre autres, le retour du SERNAPO et la conscientisation des jeunes afin qu’ils se départissent de l’idéologie des terroristes. « Aujourd’hui, après les massacres de Solhan où ni les femmes, ni les enfants ne sont épargnés par la furie meurtrière des terroristes, le peuple doit se mettre debout comme un seul homme et considérer que la guerre meurtrière que des hommes sans foi ni loi imposent au peuple burkinabè n’est pas seulement une guerre du président Roch Marc Christian Kaboré, ni du gouvernement, mais une guerre de tout le peuple burkinabè. Nous devons savoir, à l’exemple d’autres pays dans ce combat contre le terrorisme, que c’est une guerre d’usure, psychologique et de longue haleine.  En effet, le terrorisme ne connaît pas d’hommes neutres, il n’a pas d’ami, il n’a pas de parent, il ne connaît pas de frontières, il n’a pas de patrie. L’idéologie du terrorisme, c’est tuer, imposer au peuple des idéologies rétrogrades et « moyenâgeuses ». Face à cette situation, le pouvoir semble avoir comme stratégie, « le ratissage » après les forfaits des terroristes.  Cette stratégie dure depuis plus de 5 ans. Que faire ? Devant des gens de cette espèce, il est temps que nous travaillions scientifiquement et méthodiquement avec beaucoup d’intelligence pour faire face à la situation.

 

I- Quelle est la nature de l’ennemi ?

 

Si hier, il y avait quelques individus souvent mal équipés qui terrorisaient les villages, qui ciblaient la capitale, faisaient leur propagande dans les villages en disant aux populations qu’elles peuvent être tranquilles, leurs ennemis sont les forces de sécurité, et les symboles de l’Etat, aujourd’hui, force est de constater que ce sont ces populations qu’ils considéraient comme des victimes du pouvoir central qui sont abattues froidement sans état d’âme. Ce n’était que la tactique de diviser pour régner.   Mais nous devons savoir aussi que parmi ces terroristes, beaucoup sont des victimes d’un système international dont l’ordre remonte à la Conférence de Berlin en 1884 où le partage de l’Afrique a été décidé entre puissances impérialistes (parce que capitalistes) européennes.  C’est le moment où s’installe la spécialisation des nations et la division internationale du travail. Ce système va être consolidé par le discours du président des Etats-Unis, Henry Truman, prononcé le 20 janvier 1949 à l’occasion de son message sur l’état de l’Union. C’est là qu’il utilise pour la première fois le terme de développement pour justifier l’aide aux pays sous-développés dans le cadre de la lutte contre le communisme.  Il y déclara que le devoir des pays du Nord capitaliste, qualifiés de pays développés, est de diffuser leurs technologies (en réalité selon nous leur idéologie) et de distribuer leur assistance aux pays qualifiés de « sous-développés » afin qu’ils puissent se rapprocher du modèle occidental de société. Modèle occidental de société, nous y voilà. La conséquence est qu’on a d’un côté les pays développés (occidentaux) qui détiennent 80% des richesses mondiales et les pays dits sous-développés qui n’en possèdent que 20%. Qui parle d’adopter un modèle, sous-tend un système d’éducation, de culture de société. Et l’Occident, à travers le système d’éducation, tel que l’enseignement français (que nous n’avons jamais voulu révolutionner) a produit depuis les indépendances une aliénation, une dépendance culturelle avec pour corollaire la production de jeunes chômeurs. La plupart de ces terroristes sont recrutés au sein des chômeurs engendrés par ce système éducatif inadapté. Donc, aujourd’hui, si on veut couper le système d’approvisionnement en ressources humaines des combattants du terrorisme, il faut commencer par révolutionner le système éducatif. Ce ne sont pas des réformettes d’une partie du système, mais l’ensemble du système qui remettra en cause l’ordre néocolonial et valorisera la culture burkinabè.

 

II-De la contradiction principale du moment

Dans la lutte, il faut toujours savoir avancer en distinguant clairement l’ennemi principal et aussi savoir nouer les alliances nécessaires. Un fait est là, en effet, pendant qu’on s’entredéchire au plan politique pour l’occupation de tel ou tel fauteuil, les djihadistes sont en train de grignoter progressivement une bonne partie du territoire national avec pour objectif d’instaurer un califat, c’est-à-dire un état islamique où toutes les libertés individuelles et collectives seront supprimées. Que l’on demande aux habitants de Kidal et de Tombouctou au Mali ! Ils en savent quelque chose. Que des enquêtes soient faites dans de nombreux villages de l’Est, du Sahel et du Nord du Burkina pour constater le dépérissement de l’Etat et aussi l’emprise de plus en plus forte de ces terroristes sur les populations dans leur quotidien. L’instauration d’un tel Etat, signifiera qu’on ne parlera plus de droits de l’Homme, de liberté de la presse, de liberté de culte. Face à un avenir aussi incertain, il ne nous reste plus qu’à organiser la résistance, dans les villes, dans les campagnes, dans les hameaux les plus reculés pour ne pas laisser la place au terrorisme. Mais dans cette lutte, nous devons avoir constamment à l’esprit les agissements de l’impérialisme et ses agents nationaux qui brandiront toujours la peur et la nécessité de la présence des forces internationales (françaises en particulier). Ce sont eux la source de tous nos maux à travers le pillage de nos matières premières, le maintien d’un système éducatif néocolonial qui ne fabrique que des chômeurs dans lesquels les terroristes puisent pour assassiner nos populations. C’est ce système néocolonial qui a extraverti notre développement à travers le maintien aussi du F CFA garanti par la France même si le nom deviendra à l’avenir Eco. Aujourd’hui, comment comprendre que 60 ans après nos indépendances, nous ayons besoin d’autres pays pour défendre nos territoires contre quelques centaines ou tout au plus quelques milliers de terroristes. Quel malheur, lorsque quelques 3 ou 4 terroristes viennent dans un village et créent la débandade au sein d’une population de 1000 ! voire 2000 personnes ! Ah ! nos vaillants ancêtres doivent se retourner dans leur tombe. Et, ces spectacles durent depuis 5 ans. Quelqu’un peut-il nous expliquer que la France et d’autres pays occidentaux soient présents sur notre sol, avec des armes très sophistiquées (drones, avions de combat, satellites de surveillance capables de détecter même une aiguille au sol) et que quotidiennement des colonnes de djihadistes traversent des villages entiers sur de grosses motos qui sont les moins silencieuses pour venir attaquer de paisibles populations ? Non seulement ils les tuent, mais ils les empêchent de cultiver pour avoir de quoi se nourrir. C’est un second acte criminel qui ne dit pas son nom, car affamer quelqu’un, c’est un crime. Mais que cache réellement la présence des forces militaires françaises au Sahel ? Quels sont les enjeux économiques et stratégiques ? Ce n’est un secret pour personne. Aujourd’hui, plus qu’hier, comment comprendre que des individus mal intentionnés viennent dans un village, massacrent femmes, enfants, vieillards, brûlent tout sur leur passage, volent du bétail, pendant des heures alors qu’une garnison de FDS se trouve à quelques kilomètres de là ? Apparemment, le massacre aurait duré près de quatre heures de temps avant que des secours n’arrivent. D’ailleurs, ce n’est pas nouveau. En effet, lorsque les coupeurs de routes sévissaient à l’Est, c’était le même comportement. Les forces de sécurité n’intervenaient, selon les populations, qu’une fois que les bandits ont fini de dévaliser le car et ont repris la route. C’est à ce moment que les forces de sécurité arrivent en tirant en l’air, racontaient plusieurs victimes. Mais, ne tirons pas si vite sur le corbillard, posons-nous la question : pourquoi des gens qui ont choisi le métier de défendre la patrie, les personnes en danger, restent immobiles malgré les appels de détresse ? La réponse est simple, c’est le sous équipement, le manque de motivation, les contradictions internes et j’en passe. Dans ce cas, qui est responsable une fois de plus de cette situation, 60 ans après l’indépendance ?  Bien sûr, nous répondrons toujours l’impérialisme français. Réponse trop facile. Mais nous, quelle est notre part de responsabilité ? Nous avons choisi les solutions de facilité au lieu de travailler pour nous libérer de cette mainmise comme les pays asiatiques. Nous avons volontairement choisi la mendicité, l’humiliation continuelle au lieu de travailler pour nous affranchir de la domination néocoloniale.

 

III-La fameuse guerre asymétrique

Cinq ans après que le pays a été attaqué pour la première fois, on continue de nous parler de guerre asymétrique qu’on nous impose. Qui nous l’impose ? Si justement la guerre est asymétrique, nous ne pouvons organiser le combat de la même manière qu’une guerre classique où deux armées s’affrontent face à face. On a besoin de comprendre l’ennemi, son mode opératoire, bref, sa stratégie. Nous avons l’impression que nous sommes constamment sur la défensive. C’est chaque fois qu’on nous attaque, qu’on se met après quelques heures à courir derrière l’ennemi dans une perpétuelle opération de ratissage.  On nous annonce à ce moment des bilans élogieux. Nous pensons qu’il ne faut pas prendre le peuple pour des ignorants. Même si nous ne connaissons pas l’art militaire, nous réfléchissons tout de même. C’est vrai, dans un passé récent, on a vu comment nos soldats se faisaient massacrer par les mines déposées. Il est évident que dans cette guerre qui n’est pas classique, on doit avoir du matériel adapté à la situation. Sans une bonne couverture aérienne, on ne peut pas faire d’interventions spontanées au risque de sauter constamment sur des mines, de se faire massacrer dans le cadre des embuscades. Un soldat, ce n’est pas parce qu’il est en uniforme qu’il n’est pas vulnérable, il est aussi un élément du peuple. Devons-nous courir chaque fois qu’un pétard éclate ? Devons-nous être assis sagement devant nos écrans de TV en train de regarder avec cynisme, des villages entiers (hommes, femmes enceintes, enfants, aveugles, paralytiques, vieillards), se vider quotidiennement à cause d’une poignée de bandits ? Résister ou pas résister, ces assassins ne font pas de différence. Ceux qui sont morts dans la nuit du vendredi au samedi à Solhan n’ont jamais attaqué ces terroristes. C’était de pauvres chômeurs, des paysans chassés de leur village par ces mêmes assassins, des commerçants tombés en faillite à cause du système capitaliste international orchestré par la Banque mondiale et le FMI, bras armé du G-7 qui sont venus chercher leur pitance dans les mines. Et voilà qu’ils ont rencontré la mort.

 

IV-Que faire ?

 

Si le président Roch Marc Christian Kaboré ne veut pas changer de stratégie et  mobiliser tout le peuple, c’est qu’il a d’autres intérêts à défendre. Le Burkina doit savoir que personne d’autre ne viendra nous défendre en dehors de nous-mêmes. Qu’il s’agisse de la France, de la Russie ou de la Chine, aucun ne vient pour les beaux yeux des Burkinabè. Ils viendront parce qu’il y a des matières premières à prélever. Nous devons être conscients de ça. Nous devons nous lever comme un seul homme, « un pour tous, tous pour un », en entonnant le Ditanyé, l’Hymne national du Burkina Faso dont les paroles appellent à la résistance. Nous devons savoir que nos grands-parents ont résisté à la pénétration coloniale, qu’ils ont risqué leur vie en demandant l’indépendance. Il nous appartient de parfaire cette indépendance. Mais ce n’est pas en s’enfuyant chaque fois que nous consoliderons cette indépendance. A l’exemple des peuples vietnamiens et Cambodgiens qui ont bouté hors de leurs pays les capitalistes-militaro français et américains malgré leur puissance de feu (B-52, Mirages, porte-avions). Ils ont pu le faire, parce que hommes, femmes, vieillards, enfants, tout le monde était mobilisé pour défendre la patrie. Et, comme disait le camarade Thomas Sankara, « un militaire est un civil en tenue et un civil est un militaire en permission ». En d’autres termes, nous devons compter d’abord sur nos propres forces avant de compter sur celles des autres. Les terroristes disent qu’ils font une guerre sainte, nous répondrons par une guerre des partisans qui rassemblera toutes les composantes du pays, sans distinction d’ethnie, de religion, ni de sexe.

 

  • V-Propositions

Face à la gravité de la situation, nous proposons de :

.reprendre le Service national populaire (SERNAPO) sous une forme adaptée au contexte actuel ;

.organiser, comme au temps de la révolution, des exercices physiques rentrant dans le cadre d’une sensibilisation des travailleurs ;

.initier des conférences partout sur les lieux de travail dans le sens d’une véritable prise de conscience et pour la résilience ;

.contribuer à la prise de conscience de la jeunesse dans les villages et leur motivation à la résistance ;

.Organiser les quartiers avec les jeunes pour les renseignements ;

. conscientiser les jeunes pour qu’ils quittent les rangs des terroristes, et qu’ils retournent leurs armes contre ces criminels ;

.taire nos contradictions interethniques qui ne sont que des tactiques impérialistes de diviser pour régner ;

.refuser l’esprit de la fatalité et de la soumission ;

.renforcer la coopération sous- régionale, en particulier dans l’échange des informations et la surveillance conjointe des frontières. Quand la case du voisin brûle, il ne faut pas rester dans sa cour comme simple spectateur. On n’en sait jamais !

.organiser un front de résistance à l’implantation de bases militaires étrangères quelles qu’elles soient sur le territoire national. Depuis l’indépendance avec Maurice Yaméogo jusqu’aujourd’hui, aucun régime n’a accepté l’implantation d’une base militaire dans le pays. Tout homme qui aime son peuple doit aimer les autres peuples et lorsque les peuples africains marchent et dénoncent l’impérialisme français, ce n’est pas contre le peuple français, mais contre le gouvernement français et sa politique néocoloniale.

 

Pr Taladidia THIOMBIANO »                                                              

               


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