MAHAMADOU ISSOUFOU A L’ELYSEE
Une prime à la démocratie
Après Paul Kagamé du Rwanda et Jao Lourenço de l’Angola, c’est au tour de Mahamoudou Issoufou du Niger d’être reçu à l’Elysée par Emmanuel Macron. Mais le moins que l’on puisse dire, c’est que la visite du président nigérien ne fait pas l’unanimité. Elle divise davantage les Nigériens. Car, pendant que les uns dénoncent des « interdictions répétées de manifester », les « pressions sur les médias », les « arrestations de militants de la société civile » et les « violations de droits constitutionnels », d’autres estiment que le président Issoufou fait partie de la race de dirigeants africains qui défendent la démocratie. Donc, pour eux le recevoir à l’Elysée n’est ni plus ni moins qu’une prime à la démocratie A preuve, au moment où bien de ses pairs du continent suscitent des mouvements ou instrumentalisent des partisans pour les « supplier » de briguer un troisième mandat, le président nigérien, Mahamadou Issoufou, semble avoir brisé la règle avec l’interpellation, le 26 mai dernier, d’activistes de la société civile qui appelaient leurs compatriotes à accorder un troisième mandat au chef de l’Etat. En attendant que Issoufou Brah et Salissou Ibrahim, puisque c’est d’eux qu’il s’agit, puissent s’expliquer devant la Justice de leur pays pour donner les tenants et les aboutissants de leur initiative, le président nigérien, Mahamadou Issoufou, apparaît, d’ores et déjà, comme la mauvaise conscience des dictateurs africains qui ne reculent devant rien pour s’accrocher au pouvoir.
Mahamadou Issoufou est un véritable homme d’Etat
On l’a vu au Burundi où Pierre Nkurunziza a marché sur des cadavres de ses compatriotes pour s’octroyer un mandat indu, avant de s’ouvrir un boulevard constitutionnel pour un règne ad vitam aeternam. Et il n’est malheureusement pas le seul dans cette situation, puisque du Congo Brazzaville au Tchad en passant, entre autres, par la Guinée équatoriale, le Rwanda et l’Ouganda, les présidents Denis Sassou Nguesso, Idriss Deby Itno, Teodoro Obiang Nguema, Paul Kagame et autres Yoweri Museveni, n’ont pas su résister à la tentation d’un 3e mandat. Et ce n’est pas tout, puisque d’autres, à l’instar du Togolais Faure Gnassingbé, et du RD Congolais Joseph Kabila, piaffent visiblement d’impatience d’emboîter le pas à ces devanciers, au moment où le Guinéen Alpha Condé, le Mauritanien Abdel Aziz et l’Algérien Abdelaziz Boutéflika entretiennent le flou sur les mêmes intentions qu’on leur prête. Quant au Camerounais Paul Biya qui s’est fossilisé au pouvoir, l’on se demande s’il faut encore évoquer son cas, tant ses compatriotes semblent gagnés par la résignation au point de donner l’impression d’attendre que Dame nature fasse son œuvre. Pourtant, Dieu seul sait ce que cette question totémique de troisième mandat entraîne bien souvent comme conséquences en Afrique, en termes de troubles et d’instabilité. C’est dire que ce qui se passe au Niger aujourd’hui sort suffisamment de l’ordinaire, pour être souligné. Et en tranchant la question dans le vif par l’interpellation des mis en cause, le président nigérien montre non seulement tout le sérieux avec lequel la question est prise au plus haut sommet de l’Etat, mais aussi son attachement à l’alternance en clarifiant tout de suite la situation. Et ce, à l’inverse de nombre de ses pairs du continent dont la stratégie bien connue consiste, en pareilles circonstances, à faire durer le suspense pour tomber le masque au dernier moment. Et quel masque ! Celui de la sottise ! C’est la preuve que Mahamadou Issoufou est un véritable homme d’Etat, et le Niger peut en être fier. En tout cas, jusque-là, il reste constant dans ses principes et ses convictions par rapport à cette question. Et quand de hautes personnalités du pouvoir comme le ministre Mohamed Bazoum, par ailleurs président du parti présidentiel, affirment que « le président Issoufou ne fera jamais Tazarché parce qu’il est un homme d’honneur, (qui) sait, au surplus que ce n’est pas possible », ou disent, comme le président de la CENI, que « le président Issoufou a dit qu’il ne briguerait pas un 3e mandat et nous travaillons sur cette base », il est permis de penser que le chef de l’Etat nigérien mettra un point d’honneur à respecter sa parole.
Le président nigérien tend à montrer qu’il n’est pas coulé dans le même moule que les satrapes du continent
En tout cas, on n’ose pas croire un instant que « Zaki » succombera aux sirènes des Raspoutine qui veulent le pousser à l’erreur. S’il y a des gens qui retardent le développement de l’Afrique, ce sont assurément les cancres de la démocratie qui se recrutent malheureusement pour la plupart sur le continent, principalement en Afrique centrale. Et c’est souvent les présidents médiocres qui se laissent le plus souvent aller au jeu des tripatouillages constitutionnels pour fausser les règles du jeu de la démocratie. Ce sont eux qui font le malheur de l’Afrique.
C’est pourquoi l’on est porté à croire que des Mahamadou Issoufou, s’il y en avait autant sur le continent, l’Afrique aurait, depuis longtemps, fait un grand bond en avant en matière de développement. Car cela aurait permis d’éviter non seulement bien des troubles sociopolitiques qui ont souvent des conséquences hautement dommageables sur nos Etats, mais aussi de faire jouer à fond le jeu de l’alternance. Toute chose qui aurait contribué à tirer nos démocraties vers le haut, étant entendu que quand on sait que l’on doit céder la place, l’on est enclin à faire attention pour ne pas laisser derrière soi des casseroles qui pourraient être ultérieurement sources d’ennuis.
En tout état de cause, pour autant que Mahamadou Issoufou tienne parole, il mériterait d’entrer au panthéon des grands hommes d’Etat du continent. Et en la matière, le Niger deviendrait une référence. En tout cas, cette sortie du dirigeant nigérien ne fait pas plaisir aux dictateurs du continent qui auraient certainement été plus à l’aise si celui-ci avait embouché la même trompette qu’eux. Mais le comportement du président nigérien tend à montrer qu’il n’est pas coulé dans le même moule que les satrapes du continent, et cela est à son honneur.
« Le Pays »