HomeA la uneMATHIAS TANKOANO, CONSEILLER SPECIAL DU PRESIDENT DU FASO A PROPOS DES KOGLWEOGO : « Nous allons les démanteler de façon intelligente, sans mort d’homme »

MATHIAS TANKOANO, CONSEILLER SPECIAL DU PRESIDENT DU FASO A PROPOS DES KOGLWEOGO : « Nous allons les démanteler de façon intelligente, sans mort d’homme »


Le Cadre de concertation national des Organisations de la société civile a organisé un panel sur la situation nationale le 16 juillet 2016 à Ouagadougou. Au nombre des panélistes figuraient Dr Abdoul Karim Sango, enseignant en droit, Ismaël Diallo, ancien haut fonctionnaire à l’Organisation des Nations unies et Thomas Dakouré, Conseiller technique du ministre en charge de la Sécurité. C’était en présence du Conseiller spécial du Président du Faso, Mathias Tankoano et du Directeur de la Justice militaire, le Colonel Sita Sangaré.  

 

La problématique de la Justice, le passage à la Ve  République, le phénomène des Koglwéogo. Ce sont là, les questions qui ont fait l’objet du panel organisé par le Cadre de concertation national des Organisations de la société civile (CCNOSC) le 16 juillet dernier au CENASA. Ouvrant le bal des communications, Dr Abdoul Karim Sango s’est appesanti sur le passage à la Ve  République et les insuffisances de la Justice. Pour l’enseignant de droit à l’Ecole nationale de la magistrature (ENAM), la Constitution d’un pays émane de ses réalités socio-culturelles. « La Constitution doit refléter notre histoire. Elle doit refléter notre projet commun. La Constitution ne procède pas de la volonté de la Majorité, mais de la volonté populaire. Nous devons  tous nous identifier dans notre Constitution qui doit transcender nos intérêts individuels, nos intérêts claniques, nos intérêts ethniques, nos intérêts religieux (…) », a-t-il souligné.  Au regard de ces critères, la Constitution de la IVe République doit, à son avis, disparaître. « Si nous voulons tuer totalement l’ordre ancien, il faut tuer la Constitution de la IVe  République (…). La Constitution de la IVe république doit disparaître si l’on doit mettre en œuvre les recommandations des rapports du MAEP, du Collège des sages et du CCRP. Ce n’est pas un débat subjectif pour dire qu’on n’aime pas X ou Y. Mais, nous devons accoucher  d’une société nouvelle (…). La Constitution de la IVe  république est un produit qui nous a été imposé de l’extérieur », a-t-il dit.  Pourtant, a-t-il laissé entendre, chaque peuple a son histoire et c’est en fonction du projet commun qu’on l’adopte. Plus que jamais, Dr Abdoul Karim Sango pense qu’il est temps que le peuple burkinabè renoue avec la sacralité de la Constitution, en se dotant d’une nouvelle Constitution qui répond aux aspirations du peuple. « Tout pays où la Constitution n’est pas sacrée court à sa perte (…). Or, la Constitution de la IVe République a toujours paru comme un document vulgaire, en raison de ses multiples modifications opportunistes. La Constitution béninoise de 1990 n’a subi aucune  modification (…). Il nous faut donc  rédiger une Constitution pour le Burkina de demain. Si nous voulons que le Burkina brille au firmament des autres Etats, nous devons rédiger une Constitution très progressiste. Une Constitution dans laquelle chaque Burkinabè doit se retrouver», a-t-il insisté. De son point de vue, s’il y a lieu de passer à la Ve République, il faudra que les textes et lois qui seront rédigés répondent, non seulement aux  défis du monde actuel, mais aussi aux réalités culturelles et identitaires du pays. « Nous devons revaloriser l’identité culturelle de notre pays. Par exemple, les Chefs coutumiers, nous ne pouvons plus continuer  de les maintenir dans la politique politicienne parce qu’ils sont très importants pour notre société. Si le Mogho n’avait pas existé, le Burkina aurait disparu aujourd’hui. Mais si le Mogho Naaba était affilié à un parti politique, personne ne viendrait faire réunion chez lui. Nous devons, comme nos frères ghanéens, faire des efforts pour mettre nos chefs au dessus de nos politiques partisanes », a-t-il recommandé. Pour Dr Abdoul Karim Sango, en réalité, le régime actuel du Burkina, du point de vue du droit,  n’est pas loin d’un régime parlementaire.  C’est pourquoi il a préconisé l’adoption d’une Constitution à même d’équilibrer le pouvoir entre l’Exécutif, le Législatif et le Judicaire.  A son avis, le Conseil national de la Transition (CNT) a déjà fait un travail excellent, dans lequel chaque Burkinabè se reconnaît. « Au nom de la continuité de l’Etat, le régime actuel devrait s’inspirer de ses acquis pour élaborer la nouvelle Constitution », a-t-il estimé.

 

« La justice ne peut pas être populaire »

 

Fustigeant la manière dont les présidents et les directeurs généraux sont nommés à la tête des institutions, le juriste Dr Abdoul Karim Sango appelle l’exécutif à revoir sa copie.  « A la tête des institutions stratégiques, le Président du Faso nomme les présidents sans rendre compte à personne. Cela veut dire qu’il peut prendre n’importe qui et le mettre là-bas. Il faut arrêter cela. La gestion d’une institution publique requiert un regard du peuple. Et ce regard relève de l’institution parlementaire », a-t-il relevé. Pour lui, chaque président ou directeur général d’institution, à l’image de la SONABEL et de l’ONEA, devrait passer devant l’Assemblée nationale, présenter le programme ou le projet qu’il entend mettre en œuvre pour éradiquer  les maux qui minent l’institution à lui confiée. « De par le passé, s’il a eu une mauvaise gestion, les députés vont lui demander de rendre compte », a-t-il expliqué.  Toute chose qui permettra, à son avis, de mettre fin à des nominations contestées. Parlant de la Justice, « l’homme de droit » a fait observer qu’elle doit être impérativement indépendante.  « La Justice est un pouvoir au même titre que l’Exécutif et le Législatif. La Justice ne peut pas être populaire parce que le peuple, malheureusement, ne constitue pas  la règle de droit de la République », a-t-il fait savoir.  Mieux, pour débarrasser cette Justice de toutes ses tares, l’enseignant de droit propose la mise en place d’une autorité indépendante chargée de veiller sur la question de la déontologie et de l’éthique de la Justice. Car, a-t-il justifié, étant donné que le Conseil supérieur de la magistrature (CSM), dans sa formation actuelle, est composé exclusivement de magistrats, il   va de soi qu’il y ait un réflexe corporatiste. « Les juges vont se protéger entre eux-mêmes. Nous devons trouver une institution capable de faire radier immédiatement  tous les juges corrompus de la Justice », a-t-il fait remarquer.  Parlant des modalités du  passage à la Ve République, Dr Abdoul Karim Sango est défavorable   à la tenue d’un référendum. Celui-ci préfère plutôt  l’adoption de la nouvelle Constitution par la voie parlementaire.  Morceau choisi : « Nous sommes dans un contexte de marasme économique. Si nous devons organiser un référendum à 4 milliards de F CFA, qui va mobiliser 30% du peuple, cela ne sert à rien. Si nous voulons un référendum, il faudra expliquer au peuple le contenu, du 1er au dernier article de la nouvelle Constitution.  Une des meilleures constitutions au monde, notamment celle de l’Allemagne, n’a jamais subi de référendum. Méfiez-vous du référendum, car on ne peut pas facilement tromper le peuple et c’est ce que les Britanniques sont en train de vivre actuellement ».  Sur cette question,  le Conseiller spécial du Président du Faso, Mathias Tankoano, a rétorqué que le référendum se tiendra bien et bel. Pour lui,  le passage à la  Ve république a été un des engagements forts pris par le  Chef de l’Etat, Roch Marc Christian Kaboré, alors qu’il était encore candidat à la présidentielle. «  Il a été clair pendant la campagne ; il veut rééquilibrer les pouvoirs afin que les Burkinabè se sentent  liés à leur Constitution (…). Cette Constitution, pour une question de légitimité, quel qu’en soit le coût, il nous faut la soumettre à  référendum pour que les Burkinabè  se prononcent sur son adoption. Cela n’est pas discutable. Ce fut un engagement du Chef de l’Etat et pour le moment, c’est la position que nous avons adoptée. Ce sera par référendum que nous devons adopter cette Constitution (…) », a-t-il soutenu, avant de renchérir que contrairement à la Côte d’Ivoire, au Togo, au Mali et au  Bénin où les présidents  ont déterminé des groupes d’experts pour rédiger les Constitutions qu’ils entendent soumettre au peuple de leurs pays respectifs, le président du Faso, Roch Marc Christian Kaboré, a procédé autrement en décidant de laisser l’ensemble des sensibilités de la Nation se retrouver  pour rédiger la nouvelle Constitution et de la soumettre au peuple. « Malgré tout, il y a certains qui ont contesté la présence ou déplorer l’absence   de certaines personnes. On ne peut pas faire asseoir tout le monde pour rédiger une Constitution. Il aurait pu faire comme les autres en choisissant une commission de dix personnes pour le faire, mais il ne l’a pas fait », a-t-il rappelé. Le Conseiller technique du ministre de l’Administration territoriale, de la décentralisation  et de la Sécurité intérieure, Thomas Dakouré, et  l’ancien haut fonctionnaire à l’Organisation des Nations unies, Ismaël Diallo,  se sont penhés sur l’origine et l’impact des Koglwéogo sur la sécurité du pays.

 

« D’ici trois mois, vous ne verrez plus un Koglwéogo attacher quelqu’un »

 

Parlant de l’origine des Koglwéogo, Thomas Dakouré a fait savoir qu’il y en a deux types. « Il y a ceux qui existent depuis les années 90 et ceux qui ont émergé en 2015, suite à un drame intervenu dans la famille du chef du village de Kassamkandé, village de la commune rurale de Gaongo dans la province du Bazèga », a-t-il fait savoir.

 

Ces derniers, a-t-il indiqué, se sont organisés pour pister, traquer et interpeller les délinquants. « C’est à la suite de l’expérience de ces Koglwéogo que beaucoup de villages ont sollicité leur expertise pour la mise en place de regroupements analogues. C’est ce qui a été fait et les Koglwéogo ont éclos, à une grande vitesse, à partir de 2015 », a-t-il rappelé.

De ce qu’on peut retenir de la communication de l’ancien haut fonctionnaire à l’Organisation des Nations unies, Ismaël Diallo, c’est que l’homme est contre la mise en place des Koglwéogo, encore moins leur encadrement par les autorités. Cela, au regard des dérives dont les membres de ces associations se rendent coupables sur le terrain.  Pour lui, le ministre en charge de la Sécurité, Simon Compaoré, a tort de chercher un compromis avec les Koglwéogo, en entreprenant de les faire encadrer par les éléments de la police et de la gendarmerie. « Il n’y a pas d’excuses à laisser des hors-la-loi prospérer dans notre pays, ou alors il n’y pas d’Etat de droit », a-t-il dit. De son point de vue, les Koglwéogo, dans leur forme actuelle, doivent être démantelés et les autorités doivent s’atteler à apporter des réponses adéquates aux conséquences de l’insécurité, en dotant les Forces de l’ordre et de défense de moyens matériels et financiers conséquents. A propos de cette question des Koglwéogo, le Conseiller spécial du président du Faso, Mathias Tankoano, est revenu sur la prouesse dont ils ont fait montre, surtout dans la région de l’Est, avant d’annoncer leur dissolution. Morceau choisi : « Il y a absence de l’Etat auprès des populations et c’est cela qui a rendu les Koglwéogo populaires. Vous allez dans une ville comme Fada N’Gourma, les gens, en pleine ville, dormaient sous les toits de leurs maisons. Depuis que les Koglwéogo y sont arrivés, chacun dort dans sa chambre (…). Nous sommes donc dans une situation où nous avons des groupes d’auto-défense émanant des citoyens.  Si dans leurs comportements, ils posent des actes qui portent atteinte aux droits de l’Homme, en tant que premier responsable du pays, qu’est-ce vous faites ? Il y avait deux situations. Soit vous procéder intelligemment à leur démantèlement à travers leur réinsertion dans la République, ou vous décidez de les affronter (…). Quand vous sortez avec des armes pour mater ceux qui ont des armes, vous faites quoi ? Vous ne pouvez que compter les morts. Est-ce que cela allait être responsable. Je pense qu’on est dans une situation où on n’a pas besoin de confronter les Koglwéogo avec des chars pour montrer que l’Etat est fort. Aujourd’hui, tout le monde est unanime qu’on est en train de faire entrer les Koglwéogo dans les rangs. Les quelques individus qui continuent encore de violer les règles en matière de droits de l’Homme savent où ils se trouvent (…). D’ici trois mois, vous ne verrez plus un Koglwéogo attacher quelqu’un (…). Dans un Etat de droit, c’est inadmissible que des groupes d’auto-défense se développent. Le Chef de l’Etat est clair : aucun groupe d’auto-défense ne va sévir au Burkina. Nous allons les démanteler de façon intelligente, sans mort d’homme».  Toutefois, saluant l’initiative du CCNOS, il a notifié à ses membres que  le président du Faso restera attentif à toutes les conclusions qui seront formulées à la fin du panel. Pour sa part, la présidente d’honneur du CCNOS, Safiatou Lopez, est revenue sur les raisons qui ont motivé la tenue de ce panel et surtout le choix des thèmes. « Des libérations ont été faites sur des bases que nous ne comprenons pas ; pourtant des gens sont morts. Nous voulons en comprendre les raisons. Sur les Koglwéogo, le ministre en Charge de la Sécurité tient un langage que nous ne comprenions pas. Alors que pour nous,  les sévices corporels ne sauraient être acceptés dans un Etat de droit. Pour le passage à la Ve République, les gens réagissent  sur les réseaux sociaux pour dire qu’ils sont contre le régime parlementaire. Nous voulons comprendre ce qui se passe au niveau de l’Exécutif et du Législatif, d’où la participation des représentants de partis politiques à ce panel. Au niveau du CCNOS, nous ne sommes pas pour  le régime parlementaire. Car, nous avons voté un individu, c’est à lui de faire ses preuves. S’il n’arrive pas à le faire, il sera sanctionné à la fin de son mandat », a laissé entendre Mme Lopez. Somme toute, elle a fait remarquer que les conclusions qui seront formulées au sortir de ce panel seront soumises aux autorités.

 

Mamouda TANKOANO

 

 


Comments
  • Vous parlez bien! Ya une différence entre les acquis pédagogiques et les réalités du terrain!
    Je ne peux jamais devenir l’esclave d’un concept, d’un principe exotiquement accumulé durant mes études: Si la justice est un principe démocratique, pourquoi ,ne peut-elle pas être populaire? Alors que la démocratie l’est?
    C’est parce que la justice a une peur bleue du peuple qu’elle se veux arbitraire. Monsieur TANK, déployez les mêmes efforts pour faire disparaitre le vol , la délinquance, etc… et vous ne verrez plus de Kogolwéogo.

    18 juillet 2016
  • vous avez raison de parler ainsi trop de savoir lire et écrire détruisent souvent les sociétés ce que vous penser est très aisé et la réalité du terrain est tout autres allez y dans les campagnes faire un petit sondage et vous comprendrez .

    18 juillet 2016
  • « La Justice est un pouvoir au même titre que l’Exécutif et le Législatif. La Justice ne peut pas être populaire parce que le peuple, malheureusement, ne constitue pas la règle de droit de la République »
    Cependant la Republique elle meme nait de la volonte des citoyens et justiciables Rosseau dans son contrat social en cerner toutes les countours ! Et les lois votees par nos representants doivent l’etre a nos interets de façon terre a terre les lois doivent etre a notre service et non le contraire.

    19 juillet 2016

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