HomeA la uneMe AMBROISE FARAMA, PRESIDENT DE L’OPA-BF : « Certaines OSC sont des  tortues à double carapace »  

Me AMBROISE FARAMA, PRESIDENT DE L’OPA-BF : « Certaines OSC sont des  tortues à double carapace »  


Me Ambroise Farama, c’est à la fois l’avocat et l’homme politique, président de l’Organisation des peuples africains, section du Burkina Faso (OPA-BF). Candidat malheureux à la présidentielle de 2020, l’homme s’exprime rarement dans les médias. Dans le cadre de notre rubrique « Mardi Politique », il s’est ouvert à nous. Pour des raisons d’agenda, le président de l’OPA-BF a préféré renseigner le questionnaire à lui soumis par la Rédaction. Lisez plutôt !

 

« Le Pays » : Quelle lecture faites-vous de la Transition politique au Burkina Faso ?

 

 

Me Ambroise Farama : Merci de me donner l’occasion de m’adresser à vos lecteurs. Je leur présente à tous et à vous-même, mes salutations fraternelles.   Pour revenir à votre question, il faut dire que j’aurais préféré que face à l’échec de la gestion du pouvoir par le MPP, et vu le niveau de putréfaction de notre société, un régime révolutionnaire succède à celui du MPP. Mais hélas, en lieu et place d’un régime révolutionnaire, nous avons eu droit à une dévolution du pouvoir par coup d’Etat et à la mise en place d’organes de transition sous la présidence et la surveillance des militaires qui affirment ne pas avoir un agenda révolutionnaire. Je respecte leur position même si je pense qu’ils se sont trompés d’analyse. Ils ont mal appréhendé les problèmes de notre société et je crains qu’ils ne trouvent pas les réponses appropriées.  Je commencerai donc par apprécier la prise du pouvoir par les armes. Sur ce point, laissez-moi vous dire qu’en tant qu’homme politique et homme de droit, je ne peux approuver une telle méthode de dévolution du pouvoir et telle est également la position de l’Organisation des peuples africains, section du Burkina Faso (OPA-BF).  S’agissant des raisons avancées par les militaires pour justifier la prise du pouvoir par les armes, elles peuvent être compréhensibles eu égard au fait qu’ils paient un lourd tribut, mais ces raisons ne me paraissent pas suffisantes pour justifier le renversement du régime, la prise et la gestion du pouvoir. Car, pour restaurer l’intégrité du territoire, les militaires n’ont pas besoin d’occuper des fonctions politiques. Ils auraient pu contraindre le Président Roch Marc Christian Kaboré à leur donner les moyens dont ils avaient besoin et lui suggérer la voie à suivre. Le dernier ministre de la Défense chargé d’appliquer la politique de défense nationale, était un officier supérieur. Si c’est le Président qui ne les a pas écoutés, il faut en déduire que le ministre de la Défense n’a pas joué son rôle. Comment alors expliquer que ce soit le même ministre qui soit reconduit si l’on considère qu’il a échoué dans l’exécution de la politique sécuritaire ?  Il y a vraiment des incohérences que je n’arrive pas à comprendre.  Si donc le problème ne se trouve pas au niveau de la politique sécuritaire, dans une telle hypothèse, ils n’avaient pas non plus besoin de prendre le pouvoir et de le gérer sauf s’il y a des raisons inavouées ou inavouables. La transparence aurait voulu donc que la transition soit assurée par des civils avec toutes les garanties voire une dévolution partielle des pouvoirs du Président de la transition à l’armée, afin de lui permettre de restaurer l’intégrité du territoire. Pour ma part, la classe politique a commis une grosse erreur politique en acceptant que la transition soit dirigée par les militaires. Il aurait fallu exiger une transition civile.  Toutefois, j’ai apprécié qu’en lieu et place de l’installation d’un nouveau régime sous la houlette du MPSR, les tenants du pouvoir aient décidé de s’inscrire dans une logique de transition démocratique afin de transférer le pouvoir à la suite d’élections libres et transparentes. Dès lors, l’OPA-BF se dit disposée à accompagner la transition dans l’intérêt de tous. C’est pourquoi nous avons apporté notre contribution lors des travaux de la commission technique.   S’agissant des travaux de cette commission technique, je voudrais saluer les acteurs qui ont accepté d’apporter leurs contributions et féliciter les membres de la commission pour la qualité du travail abattu. Malheureusement, leur travail a été dévalorisé par les assises nationales. Et trois principaux points ont retenu mon attention. D’abord, sur le caractère gratuit du mandat à l’Assemblée législative de  Transition. Il est regrettable que les assises nationales n’aient pas retenu le caractère gratuit du mandat. Vous en avez vu après, les conséquences. Ce fut difficile pour certaines composantes de désigner leurs représentants.  Ensuite, sur la représentation de la classe politique à l’Assemblée législative de Transition (ALT), huit représentants au titre de la composante partis politiques, ce n’est pas représentatif. Et pourtant, il s’agit de questions politiques qui y sont traitées.  Enfin, sur la composition des membres du Conseil d’orientation et de suivi de la Transition, il est stipulé que le conseil est composé de personnalités militaires et civiles du Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration, et toute autre personne épousant les idéaux dudit mouvement et remplissant un certain nombre de conditions. Sauf erreur de ma part, le MPSR est dissous. En outre, quels sont les idéaux du MPSR ? J’ignorais que le MPSR avait un projet de société. En tout cas, je n’ai pas encore eu l’occasion d’en prendre connaissance. Et si le MPSR a un projet de société, j’ai des raisons d’être inquiet pour cette transition. J’ose espérer qu’il s’agit d’une simple imperfection dans la rédaction. Auquel cas, je suggère que l’Assemblée procède à une modification de l’article 14 de la Charte avant la mise en place du Conseil d’orientation.  Il suffira de dire que le conseil est composé de personnalités civiles ou militaires remplissant un certain nombre de conditions, sans référence au MPSR ni à ses idéaux supposés. Sinon, au moment de la mise en place de cet organe, beaucoup d’intellectuels qui auraient pu apporter leur contribution à la transition, y verront un handicap certain. 

 

 

« Il ne faut pas conditionner le retour au régime démocratique à la libération totale du territoire, car le Président Damiba lui-même avouait dans son ouvrage, que cette lutte ne peut pas prendre fin en moins de dix ans »

 

 

Que pensez-vous de sa durée fixée à trois (03) ans ?

 

 

Plus une transition est longue, plus elle s’éloigne de ses objectifs. Ceux investis du mandat de la transition finissent par s’installer dans le confort de la gestion du pouvoir et se croient investis d’un mandat de gestion du pouvoir alors qu’il ne s’agit que d’une transition vers un régime démocratique.  A mon avis, trois ans, c’est trop pour une transition. Il ne faut pas conditionner le retour au régime démocratique à la libération totale du territoire, car le Président Damiba lui-même avouait dans son ouvrage, que cette lutte ne peut pas prendre fin en moins de dix ans. Nous devons avoir le courage d’aller aux élections dans les zones où cela est possible afin d’élire des dirigeants légitimes capables de mobiliser les troupes et la jeunesse dans le combat de la libération de notre territoire.

 

 

Entrevoyez-vous une rallonge ou une réduction de la durée de la Transition ?

 

 

Mais vu que les Burkinabè semblent avoir accepté le délai de trois ans proposé par la commission technique, nous devons tout mettre en œuvre pour que le calendrier proposé puisse être non seulement respecté, mais aussi et surtout, que la transition réussisse sa mission. Et notre parti s’est inscrit dès le départ, dans la logique d’accompagner la transition. Car, si la transition échoue, c’est nous tous qui allons en payer le prix. Plus vite nous sortirons de la transition, mieux cela vaudra pour la démocratie.  Je pense que le calendrier électoral doit être établi dans les meilleurs délais et impérativement déroulé dans la troisième année au plus tard. Sinon, nous courrons le risque d’une aventure vers des transitions sans fin.

 

 

Est-il important de mettre une ALT sous cette Transition ?

 

 

Il faut rappeler que l’assemblée législative a pour mission de voter la loi, adopter le budget et contrôler l’action du gouvernement. Il s’agit donc d’un organe indispensable dans la vie démocratique d’une nation.  Avec l’avènement du MPSR, le 24 janvier 2022, le Burkina Faso est passé d’un régime démocratique à un régime d’exception. Les tenants du pouvoir auraient pu concentrer tous les pouvoirs exécutifs et législatifs entre leurs mains. Mais ils ont réalisé que cette option allait être difficilement réalisable. C’est pourquoi ils ont évolué vers une transition démocratique.  Pour que cette transition soit inclusive et acceptée de tous, il est bon que les acteurs du MPSR ne soient pas les seuls décideurs. C’est la raison pour laquelle l’ALT a été mise en place. Seulement, je regrette encore une fois de plus que la classe politique n’ait pas été convenablement associée et que le caractère désintéressé proposé par la commission technique n’ait pas été retenu.

 

 

Que pensez-vous de l’évolution de la situation sécuritaire après la chute de Rock Marc Christian Kaboré ?

 

Pour moi, la situation sécuritaire demeure préoccupante. Les informations qui nous parviennent tous les jours, laissent voir que la situation se dégrade de jour en jour. Aucune visibilité n’est perceptible sur la stratégie de défense. Et au même moment, nous apprenons qu’il existe des conflits de corporation entre les membres des FDS. Cela n’est pas de nature à nous rassurer.  Il faut taire impérativement ces divergences et ressouder les rangs.  Le peuple attend impatiemment de voir des résultats, de savoir que des parties de notre territoire ont été libérées et que des populations déplacées sont réinstallées avec une administration publique fonctionnelle.                                   

 

 

« C’est un non-sens de dire que ce n’est pas le gouvernement qui dialogue. En créant les comités locaux par voie de décret, le gouvernement leur attribue une parcelle de ses pouvoirs»

 

Dans les options de sortie de crise, il y a la négociation ou le dialogue avec les groupes armés. Selon vous, quel est le meilleur schéma d’un dialogue utile avec les terroristes ?

 

 

Comme je le disais tantôt, nous n’avons aucune visibilité claire sur la stratégie actuelle. On nous parle de dialogue et non de négociations et que ce n’est pas le gouvernement qui dialogue mais des comités locaux. Et pourtant, ces mêmes comités locaux font l’objet d’une création légale. C’est un non-sens de dire que ce n’est pas le gouvernement qui dialogue. En créant les comités locaux par voie de décret, le gouvernement leur attribue une parcelle de ses pouvoirs. Il s’agit d’un simple transfert de pouvoirs qui est exercé sous le contrôle du gouvernement. Il faut que le gouvernement s’assume pleinement. C’est lui qui a les renseignements et apprécie l’opportunité du dialogue et son orientation.  Pour ma part, et c’est ce que j’ai proposé dans mon programme de campagne, le gouvernement doit adopter un programme de démobilisation, désarmement et réinsertion sociale. C’est à ce prix que nous pouvons conduire un dialogue fructueux avec les groupes armés dits terroristes.

 

 

Quel regard portez-vous sur la société civile burkinabè aujourd’hui ?

 

 

Je pense que vous faites allusion au mélange de genre entre les Organisations de la société civile (OSC) et les partis politiques. A chacun son camp ! Depuis une trentaine d’années, la société civile s’est développée suite à la volonté des partis politiques de s’en servir en sous-main, soit pour consolider leur pouvoir, soit pour déstabiliser le pouvoir auquel ils sont opposés. L’apolitisme dont elles se réclament, n’est que du vernis. Il faut appeler un chat, un chat. Certaines OSC sont des « tortues à double carapace », c’est-à-dire des torpilles à la disposition de partis ou d’hommes politiques qui n’ont pas le courage d’assumer leurs choix et opinions sur certaines questions d’intérêt national. Depuis de longues années, de grandes manifestations politiques ont été initiées et dirigées par la société civile. Que ce soit en collusion avec les partis politiques ou à leur grand dam, cela n’est pas normal. Moi, je dénonce et combats l’amalgame sciemment entretenu par la société civile. A chacun son domaine de prédilection ! Il est temps de sonner la fin de la récréation. J’interpelle ici le Ministère en charge des libertés publiques à clarifier les champs d’actions.

 

 

Vous êtes partie prenante dans le procès Thomas Sankara. Que pensez-vous du déroulement de ce procès ?

 

 

C’est le triomphe de la lutte contre l’impunité. Permettez-moi de saluer la mémoire de l’illustre disparu et de ses douze (12) compagnons assassinés en sa compagnie. Que leurs âmes reposent en paix ! La tenue du procès, en elle-même, est historique et son déroulement pédagogique. La tenue de ce procès n’était pas évidente. Le déroulement de ce procès honore la Justice burkinabè, car elle a respecté les exigences d’un procès équitable.  Au passage, je salue tous les acteurs qui ont travaillé à la manifestation de la vérité judiciaire. Trente-cinq (35) ans après la commission des faits, les auteurs et leurs commanditaires ont été jugés et condamnés selon leurs forfaits. Fini le temps du « si tu fais, on te fait, et il n’y a rien ». Le procès a été instructif et éducatif. Il rappelle à tout détenteur de pouvoir public, de savoir en faire bon usage car tôt ou tard, les actes posés peuvent rattraper leur auteur.  Je suis fier d’avoir apporté ma modeste contribution aux côtés d’éminents confrères, à la manifestation de la vérité. La vérité judiciaire a été dite ; il appartient maintenant à chacun de se faire sa propre vérité dans l’attente de la vérité divine si elle existe. Pour ma part, j’ai rejoint le collectif d’avocats de la famille Sankara depuis 2005, et à présent, je prépare un ouvrage sur la tenue de ce procès historique. La publication sera pour bientôt.

 

 

« Moi, à la place du Président Damiba, étant militaire, je commencerais par l’Armée pour être le premier à donner l’exemple dans la quête de la bonne gouvernance »

 

 

D’aucuns jugent le verdict sévère, dégradant et humiliant pour Blaise Compaoré et Gilbert Diendéré. Quel est votre commentaire ?

 

                                                        

Eux au moins ont eu droit à un procès équitable et à une peine qui protège leur droit à la vie. « Nul n’est au-dessus de la loi ». La vie humaine est sacrée. Les victimes du 15- Octobre n’ont pas bénéficié de ces droits qui, pourtant, leur étaient garantis. Nous devons avoir de la compassion pour les autres dans la douleur. Pour moi, la morale est vraiment morte au Burkina, et la déshumanisation de certains Burkinabè, est avancée. Comment comparer trois (3) condamnations à perpétuité à la vie de treize (13) personnes assassinées sauvagement le 15 octobre 1987, enterrées à la sauvette, à peine cinquante (50) cm sous terre, abandonnant de nombreux veuves et orphelins mineurs dans la douleur et les pires souffrances à perpétuité ?  Dites-moi quelle veuve de Président déchu s’est vue persécutée comme Mariam Sankara. Les auteurs et les commanditaires des tueries du 15 octobre 1987, hier comme aujourd’hui, à l’endroit des veuves et des orphelins, n’ont fait preuve d’aucune compassion, d’aucun remords, d’aucune demande de pardon.  Certains prévenus ont fait preuve de cynisme face à la Chambre, sans humilité, sans la crainte de Dieu. Ils se comportent en héros, contre toute attente. Les juges ont prononcé la sentence en leur âme et conscience, selon leur intime conviction. Moi, je m’en tiens à la décision du tribunal.

 

La Transition a décidé de l’audit des structures publiques. Qu’est-ce que cela vous suscite comme commentaire ?

 

 

Moi, à la place du Président Damiba, étant militaire, je commencerais par l’Armée pour être le premier à donner l’exemple dans la quête de la bonne gouvernance. Puis, suivront les autres institutions de la République. En plus, je ne confierais pas les audits à l’Ordre des experts comptables, mais plutôt à des Collectifs d’Experts, selon les matières. Il faut aller au-delà des audits comptables. C’est le cas des mesures nouvelles de recrutement du personnel de la Fonction publique. Dans mon programme de candidat  à l’élection présidentielle de novembre 2020, j’avais inscrit l’audit des structures publiques comme un des moyens qui participent à la recherche de la bonne gouvernance. Instituer l’audit des structures publiques va créer chez les agents publics, les réflexes de  transparence, de  redevabilité, du respect des règles de gestion. Toutefois, les audits doivent obéir à l’intérêt général et être accompagnés de justes sanctions. Les agents indélicats, fautifs, doivent être sanctionnés au regard des infractions commises tandis que les agents exemplaires doivent être récompensés selon leurs mérites. Je salue la décision, mais je demande que des corrections soient apportées. Je demande que dans les structures publiques, toutes les instances de contrôle et de discipline deviennent opérationnelles.

 

Pensez-vous que c’est pour faire taire certains caciques du régime nouvellement déchu ?

 

Nul ne peut se prévaloir de ses propres turpitudes. Chacun est comptable de ses actes. Je ne peux pas empêcher certains Burkinabè de penser que ces audits sont intentionnellement décidés pour faire taire certaines personnes. C’est leur droit. En politique, c’est même peut-être de bonne guerre. Les hommes politiques avertis font donc attention aux actes qu’ils posent. Cependant, ouvrir la chasse aux sorcières ne serait pas une bonne chose. Il faut saluer le gouvernement qui a eu le courage et la volonté de lancer cette campagne d’audits. Je souhaite que les audits se fassent seulement dans l’intérêt général, sans discrimination, au-delà des personnes et des structures, dans le respect des droits et devoirs des citoyens, et qu’ils portent sur une période au-delà de celle du pouvoir MPP. Pour moi, les audits peuvent contribuer à la lutte contre l’impunité et à l’instauration de la bonne gouvernance.

 

 

Croyez-vous qu’on puisse aboutir à la possibilité d’une réconciliation nationale au Burkina Faso ?

 

 

J’ai toujours pensé que notre pays n’a connu qu’un seul drame national qui puisse justifier une réconciliation nationale. C’est le drame de Yirgou.  Ceux qui se réfèrent aux crimes de sang tels que les affaires Sankara ou Norbert Zongo pour exiger la réconciliation nationale, ne sont pas sincères. Ces dossiers n’impliquent pas une problématique d’intérêt national. Des individus ont assassiné d’autres ; des individus ont pillé des ressources de l’Etat…Il s’agit de sujets criminels auxquels la Justice seule peut apporter des réponses satisfaisantes. Et si les auteurs des crimes veulent se réconcilier avec les victimes, ils se connaissent. Il faut se repentir et demander pardon. Cela ne doit pas engager toute la nation.  Par contre, s’agissant du drame de Yirgou, ce sont des fondements de notre nation qui ont été ébranlés. Le vivre- ensemble entre deux communautés a été mis à mal. Et certains rapports disent que ce drame a eu une répercussion négative sur la situation sécuritaire de notre pays. Le drame de Yirgou a mis à nu notre mal éthique et nous avons honte ou peur de regarder l’horreur de cette nudité. Nos dirigeants et les intellectuels sincères refusent d’aborder le sujet sous le prétexte qu’il est sensible. Voilà jusqu’où leur irresponsabilité a conduit notre pays. Et pourtant, cette question nous hante depuis les indépendances. Notre pays souffre du mal ethnique et régional. Et il faut avoir le courage de le dire et de crever l’abcès si nous voulons construire un Etat-nation. Il n’y aura pas une sincère réconciliation nationale tant qu’une ethnie se croira au-dessus des autres, et tant que les autres seront marginalisées ou stigmatisées. Telle est pour moi la question prioritaire. Après, on pourra ajouter la question des crimes économiques et de sang s’il le faut. Mais pour cette dernière question, je suis pour la vérité, la justice, le pardon avant la réconciliation.

 

 

« Ils prennent le pouvoir politique et ce sont les officiers supérieurs qui abandonnent le terrain du combat pour venir concentrer entre leurs mains, tout le pouvoir politique »

 

 

Le Président Damiba a décidé de la mise à l’écart des partis politiques pendant cette Transition. Votre réaction ?

 

 

Je ne sais pas ce qui a motivé une telle démarche et c’est là une autre erreur de la transition. Tous les hommes politiques ne sont pas sales. Nous, en tout cas, nous avons la prétention d’être propres et intègres. Et le dernier rapport du REN-LAC sur la corruption électorale, a retenu que notre parti n’est pas classé parmi les partis corrompus. Il s’agit là de l’expression manifeste d’une certaine incohérence. Les militaires accusent la classe politique d’avoir échoué dans la défense de l’intégrité du territoire. Ils prennent le pouvoir politique et ce sont les officiers supérieurs qui abandonnent le terrain du combat pour venir concentrer entre leurs mains, tout le pouvoir politique. On n’a pas besoin d’être un spécialiste en matière de sécurité pour savoir que dans le contexte actuel, tous ces militaires appelés au gouvernement ou à des hautes fonctions, auraient été plus utiles et efficaces au front plutôt qu’au gouvernement ou à l’Assemblée. Peut -être que le Président Damiba lui-même n’a pas eu d’autres choix.  Bref, ce n’est pas à moi de faire le procès des militaires ou de défendre la classe politique ; c’est aux résultats que nous apprécierons leur travail. Ce qui est certain, l’absence ou l’insuffisance de la représentation de la classe politique à l’Assemblée, commence à montrer ses limites et cette Assemblée ne peut pas répondre aux aspirations et aux attentes de notre peuple.

 

 

D’aucuns estiment que les OSC dites « spécifiques » qui feraient plus dans la politique que dans la société civile, devraient aussi être mises à l’écart. Qu’en pensez-vous ?

 

 

Pour moi, « un pied dedans, un pied dehors, je te fous dehors », comme le disait Bala Kéïta alors ministre de l’Enseignement de base en Côte d’Ivoire. Nous avons déjà abordé ce sujet dans une précédente question. Je pense qu’il est temps de clarifier la situation. Il faut le dire, les gens trichent. Cela pollue le débat politique. D’où proviennent les financements de ces OSC ? Si notre parti, l’OPA-BF, parvient au pouvoir, la situation sera décantée. Je constate que le fantôme est dans la maison. Malgré tout, j’invite les autorités à l’assainissement de cette situation malsaine.

 

 

D’une liberté réclamée pour l’ex-Président Roch Marc Christian Kaboré, l’on en est aujourd’hui à une mise en résidence surveillée de l’homme. Quel commentaire en faites-vous ?

 

 

Si l’ex-Président Roch Marc Christian Kaboré ne fait l’objet d’aucune poursuite judiciaire, la résidence surveillée est une privation de liberté et en ce qui le concerne, est illégale. Sauf une mise en accusation peut justifier des mesures de privation de liberté. Ses avocats doivent agir vite pour lui permettre de recouvrer sa liberté.  Pour ma part, je sais que dans le cadre du dossier lié au drame de Yirgou, la responsabilité pénale du Chef de l’Etat peut être engagée. Nous approfondissons actuellement la réflexion sur cette éventualité.

 

 

Que devient votre parti qui semble avoir disparu de la circulation après les élections de 2020 ?

 

Notre parti, l’OPA-BF, contrairement à ce que vous dites, n’a pas disparu de la scène politique après les élections de 2020. On ne sort pas perdant d’une élection comme on sortirait d’un dîner gala. Nous étions affiliés au Chef de file de l’Opposition politique où nous avons continué d’animer la vie politique nationale jusqu’à l’avènement du MPSR. Certains oublient à dessein que c’est le rôle joué par le CFOP dans la dénonciation de la situation sécuritaire et les faillites du pouvoir MPP qui ont facilité la consommation et l’acceptation du coup de force. Nous ne revendiquons pas expressément un tel exploit parce qu’au résultat, ce n’était pas le coup d’Etat qui était souhaité par le CFOP. Le CFOP souhaitait un éveil des consciences de nos dirigeants et à défaut, une démission pure et simple.  A présent, notre parti travaille à renforcer ses acquis. Il a eu le mérite de rester intact après les élections. C’est la preuve que la fondation est solide. Ce qui n’a pas été le cas pour bien des partis. Suivez mon regard. 

 

 

Avec le recul, pensez-vous que c’était une bonne idée pour vous de vous engager en politique ?

 

 

Oui, mon engagement en politique ne relève ni du hasard ni d’un coup de tête. Mes promotionnaires se souviendront qu’en 2005, lors d’une retrouvaille de la promotion à Loumbila Beach, je leur disais ceci : « Camarades, avec vous, je travaillerai à renforcer la justice et l’Etat de droit en tant qu’avocat. Je me suis engagé dans cette profession pour 20 ans. En 2025, si Dieu le veut bien et avec le soutien de mon peuple, je vous quitterai pour servir notre pays à la magistrature suprême… ». Vous voyez donc que mon engagement n’a rien de spontané. Enfant, j’ai été pionnier de la Révolution d’août 1983. Elève puis étudiant, j’ai été militant et dirigeant des associations d’élèves ou d’étudiants. Avocat, j’ai choisi d’être du côté des opprimés. Et le couronnement de cet engagement, c’est de servir mon pays et les causes justes. J’ai toujours épousé les idées révolutionnaires et je pense que c’est en s’engageant que je peux être plus utile à mon pays qu’en étant spectateur d’une scène politique sans repères.  Nous avons, avec des camarades révolutionnaires, créé l’OPA-BF, parti révolutionnaire et panafricain prônant le néo-panafricanisme révolutionnaire. Depuis, je me réjouis de voir que tous les partis qui naissent, se réclament du panafricanisme. Même le dernier-né de la scène politique du Burkina se réclame du panafricanisme.  Hors de chez nous, vous avez vu que le président Laurent Gbagbo,  après sa sortie de prison, a emboîté notre pas en créant le Parti des peuples Africains-Côte d’Ivoire (PPA-CI). C’est la preuve que nous ne nous sommes pas trompés dans l’analyse du monde et dans le projet de société que nous proposons au peuple burkinabè.  Il ne l’a certainement pas encore compris, sans doute aveuglé par le pouvoir de l’argent. Mais j’espère que le peuple tirera les leçons de l’abîme dans lequel le pouvoir de l’argent nous a conduits et saura, à l’avenir, faire un choix lucide et désintéressé.  Pour notre part, nous travaillerons à réunir toutes les forces politiques révolutionnaires et panafricaines autour d’un projet commun pour une victoire certaine.

 

 

Comment entrevoyez-vous l’avenir du Burkina Faso ?                                                            

 

« Il n’y a pas de vent favorable pour celui qui ne sait pas où il va ». Pour moi, si le Burkina, à travers ses dirigeants, ne rompt pas avec la politique de patrimonialisation, de prédation, de favoritisme, de régionalisme et d’impunité des trente dernières années, le pays n’a pas d’avenir. Si le Burkina ne retrouve pas la sécurité et le vivre-ensemble, le pays n’a pas d’avenir. Le chaos va s’installer.  Par contre, si la transition en cours jette les bases d’une sauvegarde et d’une restauration de nature progressiste et non de nature réactionnaire, décadente et décriée, si en 2025, il est instauré une vraie démocratie et non la ploutocratie que nous décrions, si en 2025, le peuple fait confiance à l’OPA-BF et aux partis politiques révolutionnaires pour instaurer la bonne gouvernance, une gouvernance vertueuse au service du peuple et débarrassée de toutes les tares bourgeoises et réactionnaires, alors le Burkina aura un avenir radieux pour le bonheur de tous.

 

 

Propos recueillis par Boureima KINDO

 


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