OUVERTURE DU DIALOGUE NATIONAL AU TCHAD : Quelles chances de succès ?
De report en report, le dialogue national initialement prévu pour le 15 février puis le 10 mai 2022 au Tchad, s’ouvre finalement le 20 août 2022 à Ndjamena, après plus d’un an de transition militaire. Une initiative d’autant plus heureuse que le parcours pour y parvenir aura été des plus laborieux. En effet, il aura fallu passer par Doha, la capitale du Qatar, pour obtenir la participation d’une quarantaine de groupes politico-militaires sur la cinquantaine qui prenait part aux pourparlers de la capitale qatarie, pour voir l’horizon se dégager pour la tenue de ce dialogue national qui enregistre des invités de marque. A l’image de Timan Erdimi, le redoutable chef rebelle, patron de l’Union des forces de la résistance (UFR) qui a, maintes fois, tenté de renverser le maréchal Idriss Deby, et qui a signé son retour au pays, le 18 août dernier, dans le cadre de ce dialogue, après près d’une décennie d’exil. Il en est de même pour Mahamat Nouri, un autre réputé chef rebelle qui est rentré le même jour à Ndjamena, pour prendre part à ces assises nationales aux côtés de nombreux participants signataires de l’accord de Doha.
Le parcours pour parvenir à la tenue de ce dialogue national aura été des plus laborieux
C’est dire si de ce dialogue, les Tchadiens attendent beaucoup. D’autant qu’il est censé tracer les sillons de la réconciliation et poser les jalons du retour à l’ordre constitutionnel au terme des élections pluralistes qui marqueront la fin de la transition. En rappel, ce dialogue national qui se voulait inclusif avec tous les acteurs de la scène politique tchadienne, est une promesse du jeune chef de l’Etat, Mahamat Idriss Deby Itno, porté à la tête de la transition tchadienne au lendemain de la mort de son père, le maréchal Idriss Deby Itno. Selon la version officielle, l’ex-homme fort de Ndjamena a été tué, en avril 2021, au front dans des combats contre les rebelles du FACT (Front pour l’alternance et la concorde au Tchad), qui avaient la capitale tchadienne en ligne de mire. Mais le parcours pour parvenir à la tenue de ce dialogue national aura été des plus laborieux. Et les embûches n’ont pas manqué. A commencer par l’inclusivité du dialogue qui n’a pu rallier toutes les composantes politiques du pays. On en veut pour preuve les mécontents des pourparlers de Doha non signataires de l’accord de la capitale qatarie. Il y a aussi les frustrés du collectif Wakit Tama, une coalition de partis politiques et de la société civile qui voulait donner de la voix ce 19 août 2022, pour marquer son désaccord, mais dont la manifestation a été interdite. Alors, quelles chances de succès pour ces pourparlers inter-tchadiens qui n’ont malheureusement pas pu embarquer tous les passagers dans le train du dialogue national qui se veut pourtant celui de la réconciliation ? La question est d’autant plus fondée que l’on se demande si la non- participation de ces factions rebelles non signataires de l’accord de Doha, de ces partis politiques et autres organisations de la société civile du collectif Wakit Tama, qui ne se reconnaîtront sans doute pas dans les conclusion de ce dialogue, ne sera pas un handicap pour la suite du processus.
Ce dialogue national est une belle opportunité pour le Tchad, de tourner la page des violences politiques
Mais le tout n’est pas de tenir un dialogue. Encore faudrait-il que la bonne foi et la sincérité soient les choses les mieux partagées entre les acteurs pour trouver le consensus nécessaire à la mise en œuvre des recommandations pertinentes qui en sortiront. Ce qui n’est pas gagné d’avance dans un pays comme le Tchad habitué à des coups d’Etat et au langage des armes, à en juger par la floraison des groupes armés rebelles aux intérêts divergents et qui seront autour de la table de négociations. Autant dire que le défi est grand, pour Deby fils, de pouvoir fédérer les énergies de ses compatriotes dans un dialogue fructueux en vue de la réconciliation nationale et du retour à l’ordre constitutionnel normal. En tous les cas, il est attendu de ce conclave, des réformes institutionnelles profondes qui devraient permettre au pays, d’amorcer un nouveau départ. Ce qui veut dire que les participants doivent pouvoir s’élever au-dessus de leurs intérêts égoïstes pour ne viser que l’intérêt national. Autant les chefs rebelles ne doivent pas chercher à négocier avec un couteau dans le dos, autant ce dialogue national ne doit pas paraître une opportunité de légitimation de son pouvoir pour Deby fils qui continue d’entretenir le flou sur ses intentions, dans le processus de transition censé déboucher sur une dévolution du pouvoir aux civils dans les meilleurs délais. En tout état de cause, après tant d’années de déchirements, les Tchadiens ont besoin de se parler à cœur ouvert, dans un langage autre que celui des armes. Et il est heureux que le pouvoir de la transition ait laissé la porte du dialogue toujours ouverte à ceux qui n’ont pas voulu signer l’accord de Doha. C’est dire si ce dialogue national est une belle opportunité pour le Tchad, de tourner la page des violences politiques. Il appartient aux Tchadiens de pouvoir la saisir. Et l’histoire les regarde.
« Le Pays »