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OUVERTURE DU PROCES D’OPPOSANTS BENINOIS


Joël Aïvo et Reckya Madougou font l’objet de poursuites devant la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (CRIET). Le procès du premier, détenu depuis le 15 avril 2021, a débuté le 6 décembre à Cotonou. Celui de Reckya Madougou est prévu pour le 10 décembre. La CRIET a été mise en place en 2018 par le président Patrice Talon. L’initiative est à saluer dans la mesure où la bonne gouvernance n’est pas toujours la bienvenue en Afrique ; et le terrorisme, qui était un phénomène inconnu, fait partie maintenant du quotidien de beaucoup de pays africains. Le président Patrice Talon a entamé une gouvernance qui se veut vertueuse. Des réformes ont été entreprises dans la perspective de mettre le Bénin sur de bons rails. Cependant, il est permis de se demander si Patrice Talon lui-même a la légitimité nécessaire pour lutter contre la corruption. Car, avant d’accéder au pouvoir, il était un homme d’affaires prospère, et il se dit que c’est lui qui avait contribué au financement de la campagne de son prédécesseur Boni Yayi, avant d’entrer en rébellion contre lui. Comment a-t-il amassé ses richesses ? C’est une question légitime qui peut être posée. De lourdes charges pèsent sur Joël Aïvo, comme le blanchiment d’argent et le complot contre la sûreté de l’Etat. Il se trouve que l’accusé n’est pas n’importe qui. Joël Aïvo est un éminent professeur de droit constitutionnel. Ses compétences auraient été sollicitées un peu partout en Afrique. Mais surtout, Joël Aïvo est un farouche opposant du président Patrice Talon. Il s’était d’ailleurs opposé à la modification de la Constitution voulue par Talon, laquelle modification semblait viser expressément les opposants en réduisant les possibilités de candidature à l’élection présidentielle par le jeu des parrainages et la production de documents administratifs.

 

La CRIET doit montrer qu’elle n’est pas une institution aux ordres du prince régnant

 

Il est donc permis de s’interroger sur le bien-fondé des poursuites engagées contre Joël Aïvo. Est-il vraiment coupable ou est-ce un moyen pour Patrice Talon de se débarrasser d’un opposant ? En Afrique, le combat politique est rarement loyal. Les pouvoirs en place font feu de tout bois pour écraser les adversaires politiques. Pour légaliser la répression, des institutions aux ordres sont mises en place avec une feuille de route bien indiquée. On donne l’impression d’œuvrer pour la bonne gouvernance alors que la réalité est tout autre. La vraie caricature est représentée par les procès staliniens des années 1930, initiés pour éliminer les compagnons de Lénine qui faisaient de l’ombre à Staline. Pour revenir à la CRIET, un de ses anciens magistrats, Essowé Batamoussi, qui a fui le pays pour trouver refuge en France avec toute sa famille, remet en cause son indépendance. « Le juge que je suis, dit-il, n’est pas indépendant. Toutes les décisions que nous avons été amenés à prendre l’ont été sous pression, y compris celle qui a vu le placement de madame Reckya Madougou en détention. » Toutefois, rien ne permet d’affirmer que Joël Aïvo n’est pas réellement mêlé à ce qui lui est reproché. Beaucoup d’hommes politiques sont impliqués dans des affaires douteuses et le statut d’opposant ne saurait être une prime à l’impunité. La CRIET a donc un lourd défi à relever. Elle doit montrer qu’elle n’est pas une institution aux ordres du prince régnant et qu’elle mérite la confiance des Béninois. Si Joël Aïvo et Reckya Madougou sont coupables, elle doit pouvoir le dire. S’ils sont innocents, elle doit aussi pouvoir le dire en toute transparence et en toute indépendance. Il y va de sa crédibilité. Le drame des Africains, c’est le manque de détermination dans les choix que l’on fait, et la cupidité qui fragilise la vision des choses. Pour ramasser des miettes, on est parfois prêt à remettre en cause ce qui avait été convenu ou entrepris. Sans Hommes forts dans les principes et dans les convictions, aucune institution forte ne peut être mise en place. L’indépendance et la force d’une institution dépendent avant tout de l’indépendance des Hommes qui l’animent, et accessoirement de l’opinion qui doit jouer son rôle de sentinelle. Sans institutions fortes, aucune perspective sérieuse ne peut être envisagée. Espérons que la CRIET saura montrer la voie.

 

APOLEM


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