HomeA la unePASSAGE DU FRANC CFA A L’ECO

PASSAGE DU FRANC CFA A L’ECO


On en entendait parler depuis des mois voire des années, mais le coup de semonce a seulement été donné samedi dernier par le tandem Ouattara-Macron, et c’est peu de dire qu’il a quelque peu surpris les Africains concernés par cette décision  à  la  fois  historique  et  symbolique.  On  se  demandait,  en  effet  et  à  juste  titre , si  cette «arlésienne» de monnaie unique dans l’espace CEDEAO que les Etats membres envisagent depuis une trentaine d’années, allait être un jour, effective, notamment à cause des multiples reports du projet. Cette fois-ci semble la bonne, et les présidents français et ivoirien ont été prolifiques sur le sujet au cours de leur conférence de presse samedi dernier à Abidjan. L’échéance de 2020 dont parlaient les chefs d’Etat de la région et les spécialistes de la question a été, pour ainsi dire, confirmée, et des détails ont été apportés sur ce qui va changer et sur ce qui va demeurer, après la mort du franc CFA et son remplacement tambour battant par l’Eco qui est, soit dit en passant, un diminutif de l’acronyme ECOWAS (Economic Community of African Startes) qui est l’abréviation anglaise de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest.  L’Eco sera à terme, et selon le vœu des chefs d’Etat de la sous-région, la monnaie unique de tous les pays de la CEDEAO. Mais en attendant de remplir toutes les conditions à cet effet, c’est la zone UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine) qui servira de pilote avec ses huit pays membres. Bien plus que le changement de nom, c’est une nouvelle ère que la nouvelle monnaie ouvrira dans la relation souvent décriée entre la France et ses anciennes colonies d’Afrique de l’Ouest, à travers notamment des changements majeurs comme la fermeture du très clivant compte d’opérations ouvert par la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest auprès du Trésor français pour y déposer une partie (50%) de ses réserves de change en contrepartie de la convertibilité du CFA. En clair, nos pays n’ayant pas la possibilité d’échanger notre monnaie (le CFA) contre des devises étrangères, ils sont obligés de déposer plusieurs milliers de milliards de nos francs dans le fameux compte d’opérations afin que la France accepte d’être notre garante et facilite notre intégration dans l’économie mondiale.

La France a entendu les messages qui fusent de partout

 

Que fait la France avec ce pactole ? Difficile d’y répondre, car c’est quasiment un secret-défense qui alimente des supputations selon lesquelles nos amis Français placeraient cet argent pour en tirer des bénéfices substantiels, ou l’utiliseraient pour amortir la dette publique d’autant que ces milliards sont présents en trésorerie sur le compte de l’Etat français. Exit donc ce compte « à problèmes » et du coup, ce sont ces réserves de change de plusieurs milliards qui devront revenir pour être gérées par nos banques centrales. On pourrait donc penser a priori que nous aurons là des sources importantes d’investissement et pourquoi pas de financement pour des petites et moyennes entreprises qui permettront de lutter contre le chômage. Disons-le tout net, la fin du dépôt des réserves de change en France pourrait se révéler être un couteau à double tranchant pour nos dirigeants car ils auront certes obtenu ce qu’ils cherchent depuis plusieurs années, mais ils ne pourront plus se servir de notre ancien colonisateur comme dérivatif, comme exutoire ou comme bouc-émissaire quand ça va bouillonner sur les plans économique et social. Il n’est même pas exclu qu’en accédant en partie, peut-être par dépit, à ces revendications identitaires, le président Macron ait voulu non seulement panser une plaie qui remonte à la colonisation, mais surtout mettre nos chefs d’Etat face à leurs responsabilités, comme il entend d’ailleurs le faire dans le domaine de la coopération militaire, le 13 janvier prochain à Pau. Et pour rappeler à tous que la France a entendu les messages qui fusent de partout pour dénoncer sa présence encombrante dans les instances de décision de la BCEAO et de l’UEMOA, Emmanuel Macron a accepté, probablement malgré lui, le départ des représentants français de ces deux institutions. C’est certainement là aussi, une façon de dire, sans le dire, que les dirigeants ouest- africains doivent désormais,  par  le  biais  d’une  gouvernance  irréprochable,  assumer  toutes  les  contreparties  de l’indépendance politique et tester  en grandeur nature   leur volonté régulièrement affichée ces derniers temps d’œuvrer pour l’intégration régionale. En tout état de cause, on aurait dit qu’avec le franc CFA, tout est bien qui finit bien si la France n’avait pas gardé une flèche…empoisonnée dans son carquois, à savoir la parité fixe entre l’Eco et l’Euro (1 Euro sera toujours égal à 655,95 Eco). En martelant que la France conservera son rôle de garant financier pour tous les pays de l’UEMOA, Emmanuel Macron révèle que son pays ne lâche pas entièrement prise, surtout pas sur ce point précis et dans le contexte actuel où le Yuan chinois pourrait intéresser davantage nos commerçants et opérateurs économiques qui se tournent de plus en plus vers le pays du soleil levant. L’arrimage à l’Euro favorisera évidemment les importateurs et les entreprises étrangères, françaises y compris, en raison de la faiblesse de l’Eco par rapport à l’Euro. En revanche, cette parité fixe handicaperait sérieusement comme c’est le cas actuellement, les exportations dans tous les pays membres de l’UEMOA, d’autant que les paiements se feront en devises étrangères, principalement en Euro dont on connaît la valeur par rapport à l’Eco. C’est d’ailleurs pour ces raisons, mais pas seulement, que les autres pays membres de l’espace CEDEAO hésitent à sauter pieds joints dans cette aventure, préférant le ‘’wait and see’’ tant que la France aura un pied dedans et un autre dehors. Pourtant, cette monnaie unique pour tous les  pays de la sous-région aurait pu faciliter les échanges commerciaux et permettre de fructifier les affaires, au grand bonheur des populations qui attendent depuis des décennies que ce rêve se concrétise. Espérons que cela se fera de façon progressive, et que la coopération monétaire entre les pays francophones et la France sera dans quelques années, un douloureux, mais lointain souvenir.

Hamadou GADIAGA


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