HomeA la unePr CHARLEMAGNE OUEDRAOGO, gynécologue-obstétricien: « Moi, je suis à Yalgado, mais je ne suis pas fier d’y être »

Pr CHARLEMAGNE OUEDRAOGO, gynécologue-obstétricien: « Moi, je suis à Yalgado, mais je ne suis pas fier d’y être »


Il est Professeur agrégé, gynécologue-obstétricien, ancien interne des hôpitaux de Ouagadougou. Enseignant à l’ex-Université de Ouagadougou, actuelle Université Ouaga I Pr Joseph Ki-Zerbo à l’Unité de formation et de recherches en Sciences de la santé (UFR/SDS), il est le président du Conseil régional de l’Ordre des médecins de Ouagadougou depuis deux ans. Lui, c’est Pr Charlemagne Ouédraogo, bien connu des Burkinabè, surtout de la gent féminine. N’allez surtout pas loin ! Car la profession de Pr Charlemagne Ouédraogo, et surtout son expertise en matière de santé de la reproduction, font que l’homme est beaucoup sollicité, pour ne pas dire trop sollicité. Nous l’avons rencontré le 13 janvier dernier dans les locaux de l’Ordre des médecins, dans l’enceinte de l’hôpital Yalgado Ouédraogo, à Ouagadougou. La formation des médecins burkinabè, la question des médecins faussaires, des centres sanitaires illégaux, l’assurance-maladie universelle, etc. sont, entre autres, des points qui ont été abordés lors des échanges.

« Le Pays » : A ce jour, combien de médecins le Burkina Faso compte-t-il ?

Pr Charlemagne Ouédraogo : Nous comptons à ce jour 1 811 inscrits sur le tableau national dont 1 361 pour la région ordinale de Ouagadougou que je préside. Cela représente plus de la moitié des médecins burkinabè résidant au Burkina Faso et ailleurs.

Et quelle est la proportion des femmes médecins?

Il y a 379 femmes médecins inscrites au tableau de l’Ordre de la région de Ouagadougou, soit 27,8% de l’ensemble des médecins exerçant dans la région ordinale de Ouagadougou. La région ordinale de Ouagadougou couvre les régions sanitaires du Centre, Centre-Sud, Centre-Ouest, et le Plateau Central.

Est-ce que le médecin burkinabè est formé sur place, dans toutes les spécialités ?

Il y a deux écoles de formation des médecins (UFR/SDS de l’Université Ouaga I Pr Joseph Ki-Zerbo et l’Université Saint-Thomas d’Aquin à Saaba). L’Université Ouaga I Pr Joseph Ki-Zerbo étant de loin la plus ancienne. Moi-même, je suis issu de ladite Université avant d’aller poursuivre la spécialisation ailleurs, au moment où elle n’existait pas au Burkina Faso.

Le Burkina dispose-t-il, à ce jour, de médecins dans toutes les spécialités ?

Il n’existe pas de médecins dans toutes les spécialités mais de nombreuses spécialités sont couvertes: gynécologie obstétrique, chirurgie, cardiologie, anesthésie, réanimation, pédiatrie, psychiatrie, ORL, pneumologie, dermatologie, imagerie médicale, santé publique, urologie, médecine interne, hépato-gastro-entérologie, anatomie, pathologie, cancérologie, médecine nucléaire, chirurgie maxillo-faciale, orthopédie, rhumatologie, néphrologie, neurologie.

Mais comment expliquez-vous le manque de spécialistes dans certains domaines comme la néphrologie ?

Il n’existe pas beaucoup de néphrologues pour diverses raisons dont l’absence de la filière de formation au Burkina Faso.

Les spécialistes de ce domaine se sont-ils battus comme dans certaines spécialités pour que la relève soit au moins assurée au Burkina ?

En son temps, il n’y avait qu’un seul néphrologue, mais à ce jour, nous en avons quelques-uns. J’ai entendu dire qu’ils sont en train d’introduire ou ont même introduit déjà les dossiers pour demander l’ouverture de la filière de spécialisation. Ce doit être une affaire qui devrait se réaliser d’ici à l’an prochain. La néphrologie fait partie de l’une des spécialités en cours d’ouverture.

Quelles sont les conditions à remplir pour faire partie de l’Ordre des médecins ?

Les conditions pour être reconnu et inscrit au tableau de l’Ordre des médecins sont énoncées par la loi n°28-2012/AN. Il y a l’article 37 qui stipule que nul ne peut exercer la profession de médecin au Burkina Faso, s’il n’est inscrit au tableau de l’Ordre. L’article 38, lui, dit que nul ne peut être inscrit au tableau de l’Ordre, s’il n’est titulaire du diplôme d’Etat de Docteur en médecine ou de tout autre diplôme reconnu équivalent. Il doit être, soit de nationalité burkinabè, soit ressortissant de la zone UEMOA ou CEDEAO, soit ressortissant d’un pays membre ayant passé des accords de réciprocité avec le Burkina Faso, soit d’une autre nationalité reconnue par les autorités compétentes comme ayant la qualité de Coopérant ou de réfugié.
L’article 39 de la même loi stipule que la demande d’inscription au tableau de l’Ordre est adressée par le requérant au conseil régional de l’Ordre de la région dans laquelle il veut exercer. Elle est accompagnée du diplôme en original ou sa copie certifiée conforme, d’un certificat de nationalité burkinabè, d’une attestation de ressortissant d’un pays membre de l’UEMOA, d’une carte CEDEAO, d’une attestation des accords de réciprocité entre le pays d’origine du requérant et le Burkina Faso, ou un document attestant du statut de Coopérant ou de réfugié, d’un extrait d’un casier judiciaire datant de moins de trois mois, d’un certificat médical d’aptitude physique et mentale.

Peut-il arriver qu’on refuse la demande d’inscription à un médecin ?

Oui.

Dans quel cas ?

Nous refusons lorsque le médecin ne remplit pas les conditions de l’article 38. Aussi, même si le demandeur remplit les conditions de cet article et que nous n’avons pas la certitude que ses diplômes sont authentiques, nous mettons la demande en stand-by. Nous l’avons fait plusieurs fois.

Dans quelle mesure un médecin peut-il perdre sa qualité de membre de l’Ordre des médecins ? Et y a-t-il des exemples ?

La perte de la qualité de membre de l’Ordre relève de conditions dictées par la loi, et complétées par les dispositions du Code de déontologie. Voici ce que stipule la loi:
. article 26 : Les sanctions disciplinaires que le Conseil régional peut appliquer sont l’avertissement et le blâme ;
. article 27 : L’avertissement et le blâme entraînent la privation du droit de membre du Conseil national ou régional. En cas d’avertissement prononcé contre un membre, la durée de la privation du droit de membre est d’un an. Cette durée est de trois ans s’il s’agit d’un blâme ;
. article 28 : Le Conseil national, constitué en chambre de discipline, est présidé par un magistrat du siège désigné par le ministre chargé de la Justice, à la demande de l’Ordre national des médecins. La composition de la chambre de discipline est définie par voie règlementaire. La chambre de discipline de l’Ordre est compétente pour prononcer les sanctions suivantes :
– l’interdiction temporaire d’exercer une ou plusieurs ou la totalité des fonctions de médecin, conférées ou rétribuées par l’Etat, la région, la province, la commune, les établissements reconnus d’utilité publique ;
– la radiation du tableau de l’Ordre.

« Je propose la création d’une Agence nationale d’authentification des diplômes (ANAD) avant emploi »

Quelle sanction encourt un médecin coupable d’un mauvais comportement envers un patient ?

Un médecin coupable d’un mauvais comportement risque, sur le plan disciplinaire, l’avertissement, le blâme, ou la radiation. En plus, il pourrait être poursuivi sur le plan pénal ou civil, selon les dispositions du Code pénal et du Code civil au Burkina Faso.

Est-il arrivé qu’un patient porte plainte contre un médecin en Justice ?

Si ! Mais depuis que je suis à la tête du Conseil, je n’ai pas encore été saisi pour pareille situation. Mais je sais que dans le temps, il y en a eu.

Et si cela arrivait ?

Le médecin en question fait recours à l’Ordre des médecins, s’il y est inscrit, pour que nous puissions analyser le problème et voir dans quelle mesure on peut trouver le juste milieu en essayant de concilier les deux parties pour éviter d’aller en Justice ; chose que la loi nous recommande. A défaut, nous apportons notre soutien au médecin afin qu’il aille répondre devant la Justice. Mais notre règlement intérieur nous encourage toujours à rechercher un règlement à l’amiable.

Combien de médecins ont-ils été auditionnés en 2015 pour mauvais comportements ?

Aucun médecin n’est passé devant la chambre de discipline en 2015. Du reste, nous avons tenu des audiences disciplinaires à but pédagogique.

Il semble qu’il y a de plus en plus de faux médecins dans vos rangs ? Comment expliquez-vous cela ?

Non, il n’y en a pas de plus en plus dans nos rangs, mais dans le pays ! C’est différent ! Il y a peu de probabilité qu’il y ait encore des faussaires dans le tableau 2015 qui vient d’être publié. Cependant, nous restons vigilants car tout est possible, étant donné que la probabilité nulle n’existe pas dans ce domaine. Aussi, tous les médecins n’ayant pas été formés au Burkina Faso, il se pourrait qu’il y ait des irrégularités parmi les dossiers ayant des diplômes de l’étranger, car certaines vérifications d’authenticité sont difficiles à réaliser rapidement.

Quelles solutions avez-vous pour contrer ce phénomène ?

La solution n’est pas spécifique à l’emploi de médecin, mais c’est un problème national concernant les emplois qui nécessitent un diplôme universitaire ou autre. Je propose qu’il soit créé une Agence nationale d’authentification des diplômes (ANAD) avant emploi. Cette agence pourrait être créée soit par l’Etat, soit par le secteur privé. C’est la seule façon de s’assurer que les différents candidats aux divers emplois sont munis d’un diplôme authentique.

Les faussaires sont-ils des Burkinabè ou des étrangers ? Quelles sont les proportions à ce niveau ?

Parmi les faussaires, il y a des Burkinabè et des étrangers. Sur les 5 faussaires suspectés et interpellés entre janvier 2014 et décembre 2015, il y a 3 Burkinabè et 2 étrangers.

Quelle peine encourt un faussaire ?

C’est le Procureur qui est mieux placé pour répondre à cette question. Néanmoins, je sais que de tous ceux qui ont été interpellés, le premier, au regard de ce qui lui a été reproché, a été condamné à 24 mois d’emprisonnement ferme, 10 ans d’exclusion du territoire burkinabè, parce que c’était un étranger, et à payer 40 millions de F CFA d’amende à l’Ordre des médecins. Mais il a réussi à s’échapper et nous n’avons pas été payés. Ce qui fait que nous ne savons pas qui va payer ces sous. Nous, nous espérions avoir ces 40 millions en vue de faire une campagne pour retrouver les plus de 3 000 personnes qu’il a reçues et à qui il a certainement prescrit des ordonnances nuisibles à leur santé. On aurait pu retrouver ces personnes avec cette somme. Malheureusement, il s’est échappé. Ces peines sont édictées par le Code pénal.

L’Etat vous apporte-t-il un appui en matière de justice dans le cadre de votre lutte contre les faussaires ?

Nous avons le soutien du ministère de la Santé qui collabore étroitement avec l’Ordre des médecins. Nous avons également le soutien de l’appareil judiciaire à travers les actions du Procureur général et du Procureur du Faso et leurs équipes respectives. Nous avons le soutien des Forces de sécurité qui interpellent les faussaires sur instruction du Parquet.
Cependant, sur le plan financier, le soutien apporté à travers la subvention de l’Etat reste insuffisant, au regard des missions assignées au Conseil de l’Ordre des médecins. A ce niveau, nous allons mener une démarche de plaidoyer auprès de l’Assemblée nationale qui a créé la loi, pour solliciter plus de moyens financiers afin de mener efficacement notre mission.

Pouvez-vous citer les cas les plus récents et les plus graves de faussaires ?

Parmi l’ensemble des faussaires, tous sont graves à des degrés divers. Le degré ultime inqualifiable est celui du faux médecin anesthésiste. Imaginez un instant un faux anesthésiste devant faire une anesthésie pour une intervention chirurgicale. Cela me donne la chair de poule… Je préfère ne pas y penser.

Comment expliquez-vous le fait que des médecins du public donnent de plus en plus rendez-vous à leurs patients dans des cliniques où ils officient?

C’est une affirmation de votre part que je ne peux pas confirmer. Les médecins du public ont l’obligation d’assurer leurs consultations dans les hôpitaux publics, selon un calendrier bien établi. Beaucoup ont des vacations en privé hors de l’hôpital, en dehors de leurs heures de service. Mais ils n’ont pas le droit de diriger les patients en structure privée au détriment de l’hôpital public qui les emploie.

Que doit ou peut faire un patient si cela arrivait ?

Le patient peut recourir à l’Ordre des médecins pour porter plainte. Et nous, nous interpellons le médecin. Cela fait partie de nos audiences disciplinaires pédagogiques. Nous lui posons les faits et lui demandons de se prononcer par rapport au problème. Nous l’avons plusieurs fois fait, non pas pour avoir orienté des malades, mais pour des comportements qui s’écartent un peu de la déontologie et des règles de l’art. Cela amène le praticien à comprendre qu’il y a des règles qui permettent de mieux travailler. Cela favorise des changements. Si un malade pense que sa gestion par un médecin n’a pas été correcte et qu’il lui reproche quelque chose, il peut nous écrire ou venir dans les locaux de l’Ordre des médecins (NDRL : situés au sein de l’hôpital Yalgado Ouédraogo), poser le problème et après, on revient au patient pour des conciliations.

Existe-t-il aujourd’hui des centres sanitaires illégaux au Burkina ? Si oui, quelles sont les mesures prises par l’Ordre des médecins ?

Oui, il existe des centres sanitaires illégaux. Si on cherche, on en trouvera. Chaque année, lors de la sortie d’inspection et de contrôle des établissements privés de santé, organisée par la Direction régionale et le gouvernorat, en collaboration avec les Ordres, il est découvert quelques structures illégales. L’Ordre des médecins n’a pas compétence sur les structures mais sur l’exercice de la médecine par les médecins. C’est le ministère de la Santé qui donne les autorisations de construire des centres de santé, ainsi que les autorisations d’ouverture. L’avis de l’Ordre à ce niveau est consultatif.

« L’offre en matière de consultation en gynécologie s’est nettement améliorée… »

Comment appréciez-vous l’offre en matière de consultations gynécologiques au Burkina ?

L’offre en matière de consultation en gynécologie s’est nettement améliorée depuis que nous formons des gynécologues obstétriciens au Burkina Faso. Presque tous les CHR ont des médecins spécialistes en gynécologie obstétrique, formés au Burkina Faso. Cependant, les besoins non couverts dans ce domaine sont toujours importants.

Le phénomène du cancer du col de l’utérus est de plus en plus répandu. Comment l’expliquez-vous ?

Le cancer du col de l’utérus est mieux dépisté et mieux diagnostiqué de nos jours. Cela donne l’impression qu’il est de plus en plus répandu. Autrefois, les populations n’avaient pas facilement accès, comme de nos jours, au dépistage et aux consultations gynécologiques. L’on peut prévenir le cancer du col de l’utérus à travers une politique de dépistage systématique sur l’ensemble du territoire, et aussi par la vaccination préventive contre le HPV (virus responsable du cancer du col de l’utérus dans 70% des cas). Il faut aussi éviter les maladies sexuellement transmissibles.

Vous parlez de dépistage alors qu’on sait que pour se faire dépister, il faut avoir de l’argent. Le coût du dépistage est-il vraiment à la portée de la femme burkinabè ordinaire ?

Oui, oui ! Il est vrai que l’on peut toujours améliorer, mais je peux dire que le coût est abordable. La technologie a été simplifiée en ce qui concerne le dépistage du cancer du col de l’utérus. Si vous avez suivi, avec l’association KIMI, nous avons parcouru les provinces pour la formation des agents à la technique de dépistage. Avec du vinaigre médical qui se vend dans les supermarchés, une torche, un spéculum, un agent peut faire le dépistage. Dans les hôpitaux publics, le coût varie entre 300 et 500 F CFA. Par ailleurs, lorsqu’une femme fait ce dépistage, elle peut faire 4 ans avant de revenir pour un autre dépistage. Si vous dépenser 500 F CFA pour un dépistage et revenir 4 ans après, vous aurez dépensé en moyenne 100 F CFA par an. Ce qui est quand même accessible. Le hic, c’est que les gens ne sont pas suffisamment informés sur l’importance du dépistage et de l’endroit où ils peuvent aller le faire. Si les gens en étaient bien informés et au regard de son coût assez modeste, ils se précipiteraient pour le faire.

Dans ce cas, que fait votre structure pour mieux sensibiliser le public cible, notamment les femmes ?

Cela ne relève pas du rôle de l’Ordre des médecins qui n’est pas spécifique à une spécialité. L’Ordre des médecins est transversal aux différentes spécialités et nous sommes dans la régulation de l’exercice de la médecine, purement de la médecine par le médecin. Lorsqu’on quitte cette catégorie, ce n’est plus le métier. C’est pourquoi les infirmiers et les sages-femmes sont formés pour le dépistage. Si on doit compter sur le médecin pour le faire, on en aura encore pour des cinquantaines d’années. Donc, ce sont les paramédicaux qui sont formés pour cela. Mais c’est un domaine régalien du ministère de la Santé qui doit développer ce plan de communication en faveur de la santé de la reproduction. Le tout nouveau ministre va s’atteler à relever tous ces défis, et faire en sorte que le maximum de femmes aient l’information et aient accès aux soins basiques en matière de la santé de la reproduction.

Qu’est-ce qui favorise, selon vous, le cancer du col de l’utérus et celui du sein ?

Le cancer du col de l’utérus est une maladie sexuellement transmissible. Le virus responsable de sa survenue est connu : c’est un virus purement humain, responsable de la maladie dans 70% des cas. Il a été découvert dans la plupart des cancers du col de l’utérus. De nos jours, il existe un vaccin contre ce virus. Il n’est pas encore introduit dans l’offre de santé publique de notre pays, mais le ministère, depuis plusieurs années, a entrepris des démarches en vue de son intégration dans l’offre de santé publique. Et cela pour que les jeunes filles soient vaccinées avant de commencer les rapports sexuels. C’est donc quelque chose qui est en cours. En ce qui concerne le cancer du sein, il faut dire qu’il est plus énigmatique. Personne ne peut vous dire ce qui favorise sa survenue. Ce que l’on sait, c’est que 10% de ce cancer est transmis génétiquement, c’est-à-dire transmis par les gênes. Pour le reste, on ne sait rien et jusqu’à ce jour, c’est le mystère, comme la plupart d’autres cancers.

Quelles sont vos attentes vis-à-vis de l’Etat pour être plus performant ?

Pour être plus performant, je dirais qu’il faut améliorer les plateaux techniques, renforcer les capacités opérationnelles des Ordres de santé, améliorer le revenu des agents de santé, surtout ceux qui exercent en milieu rural, loin des villes, et accélérer la mise en place de l’assurance-maladie universelle.

« Je reste convaincu que la gestion par groupe spécifique, avant de parvenir à une fédération nationale, serait une bonne chose »

Parlant justement de l’assurance- maladie universelle, qu’est-ce qui, selon vous, doit être fait pour qu’elle soit efficace et efficiente ?

A mon avis, c’est une très bonne chose, parce qu’elle va permettre d’alléger le fardeau financier en matière de dépenses, pour la santé des populations. Pour sa mise en œuvre, il y a eu pas mal de rencontres. Cependant, ma petite expérience me fait penser qu’il convient, dans un premier temps, de favoriser le développement des mutuelles de santé dans chaque secteur. Si l’on prend un service, il y a une mutuelle de santé des agents. Qu’on dote cette mutuelle de technologie, d’une capacité de gouvernance pour sa gestion. Après, qu’il y ait les mutuelles des fonctionnaires qui vont créer une fédération parce que, à mon avis, il faut aller progressivement pour avoir une gestion plus saine. D’emblée, ce n’est pas évident mais je pense que toutes ces préoccupations doivent être prises en compte dans les discussions en cours et lors des réunions techniques. Pour moi, cela est important. Il est facile de gérer une mutuelle, de l’assainir et de parvenir à un niveau où les gens auront compris le message d’avoir un comportement correct pour que l’assurance-maladie tienne. Parce que si les gens n’ont pas une attitude correcte, ce sera difficile. Voyez vous-mêmes ! Lorsque les gens ont une assurance privée, ils ont tendance à dépenser, pensant que tout est gratuit, alors que ce n’est pas le cas. Rien n’est gratuit puisque quelqu’un est censé prendre une bonne partie en charge. Ainsi de suite, on regarde la vitalité de chaque secteur avec ses réalités. Les mutuelles qui sauront se faire distinguer rejoindront la fédération, et ainsi de suite, pour aboutir à l’assurance nationale, avec un seul outil. Alors que d’emblée, comme ça, tout le monde n’aura pas le même comportement. Il suffit de demander aux assureurs pour comprendre comment les gens se comportent en la matière. Quand on avance par secteur, cela permet de mieux maîtriser les groupes spécifiques avant de les homogénéiser. Mais je le répète, c’est mon avis et sans être un spécialiste en assurance-maladie, mon expérience, pour avoir travaillé au Centre médical avec antenne chirurgicale (CMA) du secteur 30 de Ouagadougou à réduire les barrières financières de l’accès aux soins et à collaborer avec l’ASMADE et autres, m’a permis de comprendre que cela peut fonctionner. Le gros problème sera le comportement des bénéficiaires. Si ceux-ci se comportent mal, très vite vous êtes en dépassement car ce que vous aurez prévu pour une année, peut finir en seulement trois mois. A ce moment, qu’est-ce que vous faites ? Pour que l’assurance marche, il faut que les gens aient un comportement correct. Si le comportement de chaque bénéficiaire s’écarte de la normale, la somme des écarts de conduite fera en sorte que la police d’assurance sera plombée en 3 mois, pour des prévisions initiales d’une année. C’est pourquoi je reste convaincu que la gestion par groupe spécifique, avant de parvenir à une fédération nationale, serait une bonne chose. Cette gestion permettra de mieux éduquer les bénéficiaires à comprendre que l’assurance- maladie n’est pas une course pour dépenser à tout va, mais un comportement et une gestion rationnelle des dépenses de santé.

Pensez-vous qu’il est opportun de créer un centre de cancérologie dans notre pays ?

Oui, oui ! Mais comment ? Oui, parce que c’est un besoin, au regard de la prévalence de cancers dans le pays et au regard des dépenses énormes que l’Etat consent pour les évacuations sanitaires, annuellement, pour des problèmes de cancer. C’est un besoin réel. Ce centre n’a pas besoin forcément d’être isolé pour en créer comme un hôpital à part entière. Il peut être intégré dans le cadre de nos hôpitaux, et même s’il n’est pas dans l’enceinte, dans le cadre de l’administration, il peut être un centre de cancérologie faisant partie du Centre hospitalier universitaire Yalgado Ouédraogo (CHU/YO), ou de l’Hôpital national Blaise Compaoré (HN-BC), ou du Centre médical avec antenne chirurgical (CMA) du 30. Administrativement, ça pourrait être ainsi. Quant à sa nécessité, elle est absolue puisque cela permet à l’ensemble des compétences du domaine de travailler en équipe pour le bien du malade. La question du cancer est multidisciplinaire, car faisant appel à 4 ou 5 spécialités.

« Il faut affecter les professeurs dans les districts »

Face à cela, faut-il créer un centre pour le créer ? Ce centre pourra-t-il répondre à tous les besoins ?

Les compétences existent, et si le centre est construit, les équipements vont suivre. Depuis que la première pierre du centre a été posée, tout son contenu a été budgétisé. Nous n’attendons que la construction ; les équipements vont suivre et les compétences locales vont se mettre à la tâche. Aujourd’hui, nous avons presque toutes les compétences dans le domaine, mais c’est le plateau technique qui fait défaut.

Et quels sont les services qui seront offerts dans ce Centre de cancérologie en construction ?

Les services qui seront offerts seront le dépistage, le diagnostic et le traitement.

Selon vous, qu’est-ce qui explique les évacuations sanitaires pour le cancer ? Est-ce à cause du manque de personnel ou des équipements ?

Nous avons les compétences car nous avons des cancérologues médicaux qui font le traitement pour les cancers médicaux, des radiologues qui sont là, des gynécologues pour le cancer du sein et du col de l’utérus, des chirurgiens cancérologues qui font la chirurgie du cancer, des spécialistes de la médecine nucléaire qui analysent pour voir jusqu’où le cancer est arrivé dans le corps humain, des anatomo-pathologistes qui vérifient si la tumeur est un cancer et quel est son degré, et bien d’autres. Cependant, tout l’arsenal thérapeutique ou le diagnostic n’existe pas au Burkina. Si l’on prend l’exemple de la radiothérapie, elle n’existe pas dans notre pays, alors qu’on a souvent l’obligation de la faire dans le cadre du traitement. La chirurgie seule ne suffisant pas, de même que la chimio seule ; il faut souvent la radiothérapie qui, sans les autres, n’a pas de sens. Par conséquent, il faut la combinaison de plusieurs traitements. Chose que nous n’avons pas au Burkina Faso.

Qu’auriez-vous souhaité dire que nous n’ayons pas abordé ?

Nous avons encore de gros efforts à fournir en ce qui concerne le plateau technique, parce que, lorsqu’on forme des gens, il faut que cela se fasse dans un environnement identique à ce qui se passe ailleurs. C’est cela aussi le gros défi du nouveau gouvernement. Nous verrons avec le nouveau ministre de la Santé ce qui peut être fait en plus des acquis. Il y a des défis à relever, des réorganisations à bouleverser, et il faut oser ! Je fais partie de ceux qui prônent de quitter l’organisation traditionnelle, quitte à ce que cela choque les esprits. Il faut en finir avec la routine, il faut changer, innover, bouleverser les choses. Cela peut ne pas être toujours bien, mais il le faut et on verra bien ce que cela va donner. A notre niveau, il y a pas mal de propositions à faire. Moi, je suis à Yalgado, mais je ne suis pas fier d’y être parce que l’environnement ne correspond ni à ce que je sais faire, ni à ce que je suis. Je ne suis pas fier avec mon grand grade, je suis mal à l’aise. Je suis pour que les assistants qu’on nomme soient affectés dans les CMA. Il faut affecter les gens et non pas les concentrer à Yalgado. J’ai fait le CMA du 30 pendant douze ans. J’étais le seul au CMA pendant cinq ans, jusqu’à la porte de l’agrégation. Cela m’a réussi car mes meilleurs articles publiés se sont passés dans ce secteur et j’étais le major au concours d’agrégation du CAMES à Libreville (au Gabon). Tous ceux qui étaient dans les hôpitaux, CHU, étaient derrière moi. Je suis convaincu que le savoir se trouve dans les hôpitaux, les districts proches des populations, et que c’est là-bas que le jeune assistant- médecin peut pouvoir intégrer l’offre clinique et les questions de santé publique. Si toutefois, il reste au niveau de Yalgado où il y a une grosse administration traditionnelle, il sera toujours un « yes man ». Pourtant, lorsque vous êtes en périphérie et que vous devez rendre compte à votre chef de département, puisque vous devez avancer au niveau de votre carrière universitaire, vous êtes obligé de poser les bases de qualité. Mais si vous venez à Yalgado, que pouvez-vous changer dans une telle grosse structure traditionnelle ? Rien, à mon avis ! Vous resterez un jeune assistant qui va passer son temps à dire « oui monsieur ». Les années passent, vous n’êtes pas très utile et vous êtes sous-employé. Alors qu’en périphérie, il n’y a pas tout cela. Quand je suis arrivé nouvellement au CMA du 30, il n’y avait pas de bloc opératoire. C’était comme une maternité de quartier. J’ai travaillé avec la mairie (c’est Simon Compaoré qui était là), j’ai contacté tout le monde et j’ai pu faire en sorte qu’avec le bloc opératoire qui a été construit, je fasse la première césarienne le 1er août 2003. Jusqu’à ce qu’on atteigne, à un moment donné, plus de 1 200 interventions par an. Cela soulage les populations. Si les autres districts travaillaient ainsi, ne pensez-vous pas que cela aiderait à soulager les peines des gens ? Par contre, si tout le monde vient se concentrer à l’hôpital, comment est-ce que les choses pourront évoluer ? C’est quelque chose qui m’écœure. Toutes les populations, où qu’elles se trouvent, ont besoin de spécialistes à leurs côtés, et cela ne peut se faire que dans les districts. Dans notre pyramide sanitaire, on ne doit pas se lever pour venir directement au CHU. C’est par les districts qu’on devrait commencer. Mais si rien n’est fait à ce niveau, il ne faut pas s’étonner que les malades viennent se bousculer ici. Pensez-vous qu’un pays digne, comme le Burkina Faso, doit être fier d’avoir des malades couchés à même le sol dans les couloirs, après être sortis du bloc opératoire ? Et pourtant, c’est la réalité ! Il faut donc travailler à changer tout cela. Je suis pour le bouleversement de l’ordre traditionnel qui ne nous a pas arrangés jusque-là. Il faut affecter les professeurs dans les districts. Il ne faut pas que les gens s’asseyent et disent qu’il n’y a pas de moyens. Si c’est le plateau technique qui n’est pas de qualité, qu’ils y aillent néanmoins et l’Etat mettra les moyens. On ne peut pas s’asseoir et attendre tout l’équipement. Je dis non ! Il faut être un acteur de la conception pour en être fier au finish. Au CMA du 30, j’ai vu tout ce qu’on a pu faire. Avant même la subvention de l’Etat, nous avons travaillé de sorte à briser les barrières financières de l’accès aux soins avec l’ASMADE, la mairie de Ouagadougou, l’arrondissement de Bogodogo et la commune de Saaba. Pourquoi ne pas promouvoir ces expériences qui ont porté fruit dans d’autres endroits. L’élite de la médecine doit descendre de son piédestal pour être en face des populations, afin de résoudre les questions essentielles de santé. Dans certains services à Yalgado, on se retrouve souvent avec cinq professeurs. Pourquoi ne pas les dispatcher dans différentes localités pour qu’ils forment ceux qu’ils doivent former et que les populations de ces zones profitent ipso facto de leur présence ? Il faut avoir le courage de bouleverser les choses. C’est à ce prix qu’on avancera.
Propos recueillis et retranscrits par Colette DRABO

 


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