HomeA la unePROCES DE GBAGBO ET DE BLE GOUDE A LA CPI : Le témoignage des morts comptera beaucoup plus  

PROCES DE GBAGBO ET DE BLE GOUDE A LA CPI : Le témoignage des morts comptera beaucoup plus  


 

Le 5è jour du procès de Laurent Gbagbo et de son dernier ministre de la Jeunesse, Charles Blé Goudé, a débuté avec  l’audition du premier témoin à charge dont la voix a été « robotisée » et le visage mosaïqué pour des raisons de sécurité, semble-t-il. La Cour pénale internationale (CPI) est, en effet, bien consciente de l’extrême fragilité de la situation sociopolitique en Côte d’Ivoire, malgré les professions de foi et les propos rassurants des autorités ivoiriennes sur la réconciliation nationale. C’est vrai, ce procès à la Haye de l’ancien chef d’Etat ivoirien soulève beaucoup de passion et suscite un grand engouement chez ses partisans, mais pas seulement, parce qu’il est le premier du genre organisé par cette juridiction internationale. Le statut d’ancien président, chassé du palais de Cocody dans les conditions que l’on sait, a contribué à faire monter l’adrénaline aussi bien chez ses partisans que chez les victimes présumées des exactions qui auraient été commises par les miliciens et les soldats qui lui étaient restés fidèles  pendant la meurtrière crise post-électorale. On comprend dès lors pourquoi la CPI a, en application de l’article 68 de ses statuts, voulu protéger les témoins en ne révélant pas leur identité afin de les amener à participer à la manifestation de la vérité sur les faits allégués par les parties civiles et la défense. N’oublions pas que la paix des cœurs est encore loin d’être une réalité en Côte d’Ivoire.  Témoigner donc à visage découvert contre cet homme qui compte encore des millions de fidèles dans le pays pourrait être suicidaire, au regard des tensions latentes entre pro et anti Gbagbo, que le procès en cours va fatalement raviver. Toutefois, on pourrait se poser la question de savoir qui, dans de pareilles circonstances,  de la victime ou du bourreau, a le plus besoin de protection quand on sait que les présumées victimes d’hier sont devenues les maîtres des lieux aujourd’hui ? A priori, c’est le bourreau qui, le visage fermé et le regard fuyant, a toujours l’âme en peine quand il s’agit de faire face à ses victimes, surtout quand elles sont innocentes comme semble l’avoir été le fameux témoin 547. Après tout, lors des tribunaux populaires au Rwanda,  organisés pour panser les plaies du génocide et le procès en cours de Hissène Habré au Sénégal, les bourreaux et les victimes ont témoigné devant la Cour à visage découvert, et cela n’a entraîné aucun acte de représailles ni au Tchad ni au Rwanda. Certes, comparaison n’est pas raison.

C’est sur le terrain des preuves et des éléments matériels que madame Bensouda est attendue

Le risque encouru ici n’est pas le même pour tous, mais le floutage des visages des témoins à charge pourrait servir d’argument à la défense pour crier au « floutage de la vérité », et même à la subornation de témoins. Cela dit,  à écouter le premier d’une longue liste de témoins  décrire la scène du crime dans les environs de la Radio-Télévision ivoirienne où il aurait été molesté par la soldatesque de Laurent Gbagbo, le 16 décembre 2010, et au regard du bilan effroyable des  6 mois de crise, on peut dire que lui, au moins a eu la chance de rester en vie. Son témoignage fait en langue vernaculaire dioula traduite en français et en anglais pour les besoins de la Cour, était très loin, c’est le moins qu’on puisse dire, des récits glaçants auxquels on s’attendait sur les atrocités qui ont été commises par les parties alors en belligérance (pro-Ouattara et pro Gbagbo) pour la conquête du pouvoir. Pour un témoignage à charge, il faut reconnaître qu’il n’en fut pas véritablement un de taille, et la défense n’aura pas de la peine à rappeler à ce militant du RDR le risque inconsidéré qu’il a pris en répondant à l’appel du chef de guerre d’alors, Guillaume Soro, à fondre sur la RTI alors que la marche était interdite et au moment où  les soldats et les miliciens supplétifs des deux camps tiraient à vue sur leurs supposés adversaires. Espérons qu’en matière de preuves accablant Laurent Gbagbo et le « Général de la rue » Charles Blé Goudé, le meilleur ou plutôt le pire est à venir, car on n’imagine mal la procureure générale Fatou Bensouda revenir une seconde fois devant la Cour avec un dossier vide, après avoir été quasiment sommée par la même Cour en février 2013 d’apporter des preuves crédibles de l’accusation ou à défaut, d’abandonner purement et simplement les poursuites contre l’ancien président. Car, c’est en apportant les preuves par l’image que des milliers de personnes ont été trucidées par la garde républicaine et les miliciens à la solde du régime alors en place à Abidjan,  qu’elle réussira à obtenir l’intime conviction des juges que Gbagbo et Blé Goudé ont organisé et commandité les massacres pendant les mois de braise qu’a connus la Côte d’Ivoire, de novembre 2010 à avril 2011. C’est sur le terrain des preuves et des éléments matériels que madame Bensouda est attendue, peu importe si les témoins portent des cagoules ou non. Et pour la matérialité des preuves, il va falloir à tout le moins faire parler les morts en identifiant les charniers, en exhumant des cadavres et en faisant causer des rescapés très physiquement et atrocement suppliciés. C’est certain que ce procès, prévu pour durer trois à quatre ans, sera riche en rebondissements et en révélations, les unes plus tragiques que les autres. Avis donc aux mordus des sensations fortes, mais attention aux âmes sensibles parce que les massacres de Duékué, les exécutions sommaires et les bombardements intra-muros à Yopougon et à Abobo seront « au menu » des débats.  En tout état de cause, le témoignage des morts comptera beaucoup plus.

Hamadou GADIAGA


Comments
  • Charnier = Charnier, bon sang! Y’a quelle mouche même qui a piqué les gens à ne voir la vérité que d’un oeil?

    6 février 2016

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