HomeA la unePROCES DU PUTSCH MANQUE : « Je n’ai rien fait », soutient le lieutenant Limon

PROCES DU PUTSCH MANQUE : « Je n’ai rien fait », soutient le lieutenant Limon


L’audience au procès du putsch s’est poursuivie avec le lieutenant Limon toujours à la barre. Un accusé qui rejette le rapport d’expertise téléphonique et dit être poursuivi pour avoir refusé de faire signer un marché public dont la procédure n’a pas respecté les normes.

Le procès du putsch manqué s’est poursuivi ce lundi 10 septembre 2018 à partir de 9h dans la salle des Banquets de Ouaga 2000, avec la suite de l’audition du lieutenant Jacques Limon. Dès l’entame de l’audition, Me Mamadou Sombié, le conseil de l’accusé, a cru bon de communiquer une nouvelle pièce au tribunal et au parquet, note à joindre au dossier et que l’accusé a signée à la barre. A la barre depuis vendredi, début de son audition, le lieutenant Limon est poursuivi pour avoir aidé, facilité et assisté le général Diendéré dans les faits d’attentat à la sûreté de l’Etat, le meurtre de 13 personnes et coups et blessures volontaires sur 42 personnes. Ce qu’il a rejeté et se défend depuis lors à la barre. Pendant l’audition, le parquet est revenu sur le marché public de 348 millions de F CFA où sont cités les noms du Colonel Sita Sangaré, le juge d’instruction Frédéric Ouédraogo et l’expert Younoussa Sanfo qui ont harcelé le lieutenant pour la signature dudit marché, selon les mots de ce dernier. Le lieutenant qui s’occupait du courrier au ministère de la Défense et, chef de cabinet de fait du ministère, a la ferme conviction que c’est son refus de faire signer le marché public (qui contenait des irrégularités selon lui) par le ministère qui lui vaut d’être accablé et poursuivi aujourd’hui. Quand le parquet demande à savoir de quel marché l’expert parlait à l’accusé, ce dernier répond : « je n’en savais rien ». Me Bonkoungou se demande si, au regard des incidents, des mouvements et agitations pour l’obtention du marché de 348 millions de F CFA, le travail d’expertise est fait en appui à la Justice militaire ou pour tout simplement avoir de l’argent. Quid des incohérences contenues dans le document d’expertise ? Et l’avocat de faire observer que les avocats de la défense ont dû créer un incident avant d’avoir le document. « Nous nous évertuons à vous montrer la fraude qui a eu lieu dans la passation du marché de plus de 300 millions à l’époque, au ministère de la Défense », a indiqué Me Mamadou Sombié. Pour le conseil de l’accusé qu’il est, l’histoire du putsch est une histoire de financements occultes. Et de demander au lieutenant si le Colonel Sita Sangaré a cherché à pactiser avec lui. « Oui », répond l’accusé. Cela a fait dire au conseil de l’accusé ceci : « Est censé avouer sa faute, celui qui pactise ». Il ajoute que « la fraude corrompt », et depuis (fin de) la révolution, les gens marchent sur les marchés publics. Il fait observer que l’extraction des messages dans trois portables a valu la bagatelle de près du demi-milliard à l’Etat. A cette observation, le parquet indique que c’est le juge qui désigne l’expert et la loi lui permet d’avoir des « frais de mémoire » à partir du Trésor. Le parquet souhaite de là, savoir si l’accusé avait un problème particulier avec l’expert avant. « Je ne l’avais jamais vu, je ne le connais pas, je n’ai pas de problème avec lui », répond l’accusé. L’accusé révèle que le colonel Sita Sangaré a promis de lui payer les frais d’avocats, ce qu’il a expliqué à son avocat qui lui a déconseillé d’accepter cela. Me Sombié estime que ce n’est pas le rôle de la chambre de contrôle de l’instruction de contester les messages incriminés. Le parquet n’est pas de cet avis et soutient que c’est la chambre qui fait le contrôle et prononce la nullité s’il le faut. « La chambre ne retient que des charges ou prononce une nullité », précise-t-il. Il demande au lieutenant Limon si un acte le nommait chef de cabinet du ministère. « J’étais chef de Secrétariat particulier du ministère de la Défense et le secrétariat est fusionné au cabinet », répond le lieutenant. « Aviez-vous pour rôle de passer un marché ? », poursuit le parquet. « Non, je ne passe pas de marché public. Mon rôle est de vérifier si les documents respectent les textes ou s’ils sont faux. S’ils sont faux, chez moi, ça ne passe pas », dit l’accusé. « Votre avis ne lie pas l’autorité ? », veut savoir le parquet ?

« L’expert Sanfo Younoussa a reçu ses 350 000 000 de F CFA avant de commencer son travail »

« Déduisez vous-même », dit l’accusé. Pourquoi, en cas de difficultés, ils viennent vous voir au lieu d’aller voir le Secrétaire général du ministère ou le ministre ? « Je ne peux pas répondre à leur place », dit-il. Qui délivre le certificat de service fait ? « Je ne sais pas », répond-il au parquet. Pour le parquet, le lieutenant fait un amalgame entre l’expertise judiciaire et le marché public. En réaction, l’accusé reconnaît ceci au parquet : « Vous êtes très fort en matière de justice, je vous le concède, mais le domaine administratif c’est mon domaine ». « Y a-t-il un lien entre le marché public et votre implication dans le dossier », lui demande le parquet. « Oui », répond l’accusé qui explique les péripéties qui ont entouré l’obtention dudit marché public. Sur les messages incriminés tirés du portable du capitaine Zoumbri qui le mettent en cause, le lieutenant dit ne pas reconnaître les messages contenus dans le procès-verbal d’audition à l’instruction. Quand le parquet fait lecture d’un des sms de l’expertise, l’accusé soutient que le sms est ambigu, ce n’est pas du français. Pour lui, c’est l’essence même du tripatouillage des messages incriminés qui lui est opposé. « Aviez-vous des frères d’armes parmi les forces loyalistes ? », demande le parquet à l’accusé . « Ne me tirez pas les vers du nez, toutes les forces armées sont mes frères d’armes », dit-il en réponse, précisant qu’il ne sait pas qui est loyaliste ou ne l’est pas. Le parquet revient sur un autre message que l’accusé aurait fait, à savoir que « Ouahigouya, c’est 3 sections mal équipées » et de là, lui demande si les questions d’armement sont secrètes, oui ou non ? Pour l’accusé, ce genre de questions, c’est du harcèlement. Il ne se reconnaît pas dans le message et indique qu’il ne peut pas être à Ouagadougou dans son bureau et savoir le nombre de sections de l’armée à Ouahigouya, son équipement, etc. Le lieutenant Limon dit ne pas reconnaître le document dont les messages incriminés y contenus sont tripatouillés, selon sa conviction. Le parquet veut savoir s’il a la preuve de tels tripatouillages. Question à laquelle l’accusé ne donne pas de réponse. En observation, le parquet indique que le sergent Limon dit ne pas reconnaître le rapport d’expertise téléphonique au prétexte que ça lui a été caché. Il reconnaît des messages extraits du document du juge d’instruction et aujourd’hui, à la barre, il rejette tous les messages, ajoute le parquet. En observation, le parquet indique que le lieutenant Limon a été une véritable taupe au cœur de la Défense ; il a balancé des messages au capitaine Zoumbri. Quand le navire du CND battait de l’aile, il a fait preuve de beaucoup d’initiatives, ce qui lui a valu d’être décoré, selon le parquet. Il conclut que l’accusé a fourni des renseignements par les messages, joué un rôle pernicieux lors des évènements du 16 septembre 2015 et jours suivants. Le rapport le compromet, raison pour laquelle il rétropédale, foi du parquet. Prenant la parole, Me Sombié indique, en réaction aux observations du parquet, que celui-ci estime que le marché n’est pas public alors que le « contrat suivant entente directe » est un marché public de gré à gré, quand bien même le ministère pouvait lancer un appel accéléré pour recruter un expert, à son avis. Le parquet est aux abois, à travers ses questions, et ne sait pas à quel saint se vouer. Au lieu que le parquet aide à débusquer les fraudeurs, dit-il, il dédouane l’Administration militaire et se fait l’avocat des acteurs. Il n’existe pas d’ordonnance de taxation du juge qui a commis l’expert à la tâche et l’expert Sanfo Younoussa a reçu ses 350 000 000 de F CFA avant même de commencer son travail, soutient Me Sombié. Il n’a pas fini ses observations quand le Président du tribunal suspend l’audience autour de 13h.

« On se connaît entre militaires, il y a trop de coups fourrés »

Dans la soirée du 10 septembre 2018, le lieutenant est à son deuxième jour à la barre et se défend comme il peut face aux questions du parquet, des avocats de la partie civile et de ceux de la défense. Le parquet fait noter que le 11 décembre 2015, le lieutenant Jacques Limon a été fait Chevalier de l’Ordre national au compte des « boys » de Kafando qui ont déjoué le coup d’Etat. Et c’est après l’expertise du téléphone du capitaine Zoumbri qu’il a été mis en cause dans le dossier du putsch manqué ; ce qui fait de lui, le dernier inculpé. Dans le procès-verbal, le parquet insinue que l’accusé a dit qu’«il n’a pas voulu prendre une part active au coup d’Etat ». Il reconnaît « avoir échangé des messages, mais dans le sens de la consolidation du putsch ». « C’est Zoumbri qui me posait des questions. J’ai adhéré à leurs sollicitations naïvement, sans intention de participer », déclarations du lieutenant Limon, lue par le parquet. Mais l’accusé réagit en ces termes : « le message est muet et n’exprime pas le contexte ». Une défense qui ne semble pas être du goût des avocats de la partie civile. En effet, Me Séraphin Somé estime que le lieutenant Limon, depuis qu’il est à la barre, sert au tribunal quelque chose de surréaliste parce que durant la journée du 10 septembre, il a été question de débat sur des marchés frauduleux et de rapport d’expertise, éloignant tout le monde du sujet principal. En tout état de cause, Me Séraphin Somé estime que le Tribunal militaire est incompétent pour recevoir ce déballage. De toute façon, Me Séraphin Somé fait comprendre à l’accusé que l’heure n’est pas à la contestation du rapport de l’expert parce qu’il aurait pu s’y opposer depuis la chambre de contrôle. Mais il ne l’a pas fait et c’est à la barre qu’il vient critiquer le rapport qui est déjà dans le dossier. Toute chose que l’avocat trouve déplacée. Relativement à la décoration reçue par le lieutenant Limon le 11 décembre 2015, Me Séraphin observe que le lieutenant ne la mérite pas et que c’est une injure que quelqu’un qui a aidé les auteurs du coup d’Etat dans le renseignement, soit décoré. Et le lieutenant Limon de rétorquer : « La décoration, ce sont des histoires de jaloux. Ma décoration a été méritée et aujourd’hui, on ne juge pas pour une décoration frauduleuse ». Tout compte fait, le lieutenant Limon dit que « cette histoire sent du rififi ». Embouchant la même trompette, Me Dieudonné Bonkoungou remet en cause le rapport de l’expert Younoussa Sanfo. L’avocat épilogue sur l’opportunité dudit rapport. En effet, il estime que le Directeur de la Justice militaire, Sita Sangaré, n’était pas habilité à demander l’expertise. Selon Me Bonkoungou, cette prérogative relevait du juge d’instruction. Donc, le Directeur de la Justice n’avait pas « à faire produire un rapport et à l’imposer au juge d’instruction ».
Auparavant, le vendredi 7 septembre 2018, dans la soirée, le lieutenant Jacques Limon est à la barre pour dire ce qu’il a fait pendant les évènements et qui lui a valu d’être inculpé. En substance, le lieutenant fait comprendre qu’il est une victime et qu’on ne peut pas lui en vouloir parce qu’il a voulu faire son travail. En clair, dit-il, « je n’ai ni assisté ni aidé le général Diendéré à faire quoi que ce soit ». L’accusé crie à l’acharnement. Mais le parquet dit le contraire et invoque l’expertise du téléphone du capitaine Zoumbri qui met en cause le lieutenant Limon parce qu’ayant échangé des messages téléphoniques avec le capitaine Zoumbri, l’un des accusés. « Après tout cela, vous estimez que vous êtes là par acharnement ? », lance le parquet. Mais le lieutenant Limon déclare que « ces messages confirment que c’est sa tête qu’on veut ». Il ajoute : « on se connaît entre militaires; il y a trop de coups fourrés ». Du reste, le mis en cause ne réfute pas avoir envoyé certains des messages. Tout compte fait, il y a « tellement d’incongruités dans ces messages », soutient le lieutenant Limon qui remet en cause l’expertise faite par Younoussa Sanfo qui, selon l’accusé et son avocat, a fait comprendre qu’il peut pirater un téléphone même si celui-ci est éteint et faire croire que c’est le téléphone piraté qui a envoyé le message. « Je ne veux pas entrer dans les détails », déclare l’accusé. Mais, le parquet rétorque : « c’est une question de responsabilités. Quand on pose des actes, on doit le dire ». Pour lui, « le lieutenant Limon a joué à la taupe. Il a collaboré avec le capitaine Zoumbri ». Me Mamadou Sombié, même s’il reconnaît que « les messages qui sont opposés à son client sont compromettants », soutient quand même que le lieutenant Jacques Limon n’a joué aucun rôle sur le terrain et dit connaître « l’expertise de ce fameux expert Younoussa Sanfo qui a fait l’étendue de la panoplie de ce qu’il est capable de faire avec un portable éteint ». Pour lui, « l’expert a rendu un rapport d’expert revanchard, vindicatif contre son client ».

Françoise DEMBELE et Lonsani SANOGO

 


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