HomeA la unePROCES DU PUTSCH MANQUE : Rejetant les faits, le lieutenant Zagré rend hommage au Tribunal

PROCES DU PUTSCH MANQUE : Rejetant les faits, le lieutenant Zagré rend hommage au Tribunal


 

Après une suspension de 2 jours,  les 24 et 25 août 2018, suite au décès de Me Mamadou Kéita, le procès du putsch manqué a repris à partir de 9h dans la matinée du 27 août avec le Sergent  Souleymane Koné et le Lieutenant  Bouraïma Zagré qui se sont succédé à la barre. Chacun de ces accusés a rejeté les faits qui leur sont reprochés, même si le lieutenant est resté constant et conforme à ses dépositions lors de l’instruction.

 

Né en 1988 à Bobo Dioulasso, célibataire et père de 2 enfants, le sergent Souleymane Koné a comparu à la barre pour répondre de trois chefs d’accusation : complicité d’attentat à la sûreté de l’Etat, meurtre, coups et blessures volontaires sur 48 personnes. A la barre, l’accusé ne reconnaît pas les faits. Il explique que le 16 septembre 2015, le lieutenant Daouda Koné l’a appelé vers 16h, lui demandant de se rendre au camp Naaba Koom 2 alors qu’il était à la maison ce jour. Il arrive et après qu’il y a eu rassemblement, le quartier est consigné et chacun doit rester sur place. Pour quelle raison ? L’accusé ne le sait pas et n’a pas vu le lieutenant Daouda Koné à son arrivée. Il se fait embarquer au piquet, brusquement par un sergent-chef qu’il ne connaît pas, un chef qui n’était pas de sa compagnie, avec le caporal Ouoba, alors qu’il n’a pas son matériel, pour aller renforcer un poste où se trouvait le sergent-chef Natani Lompo à la présidence, selon ses mots. Il précise qu’il n’était pas à l’aise dans ce poste qu’il est allé renforcer. Natani Lompo leur a dit qu’il n’y avait rien à garder, selon les mots de l’accusé. Il dit, en réponse au parquet, qu’il n’a pas participé au rassemblement du 17 septembre 2015 et n’a pas su que les autorités de la Transition étaient mises aux arrêts. Il le saura après en écoutant la radio sur son portable, dit-il. Il confie avoir appelé son binôme Couldiaty  Salifou qui est venu causer par 3 fois avec lui entre le 17 et le 19 septembre au poste qu’il est allé renforcer. A la question de savoir s’il a fait des patrouilles en ville, le sergent répond par la négative.  Il ne reconnaît pas les faits de coups et blessures volontaires, qui lui sont reprochés. De quel groupement relevez-vous ? A cette question du parquet, le sergent indique le Groupement des Unités d’intervention (GUI). Il dit à l’intention du parquet ne pas maîtriser l’intérieur du palais et de la présidence. Ce qui lui vaudra d’être interrogé : pourquoi ne maîtrisez-vous pas ces lieux, lui demande le parquet militaire ? Il dit en réponse être allé à la présidence une fois au temps du président Blaise Compaoré. Ce qui fait dire au parquet qu’habituellement, le sergent ne monte pas la garde là-bas. « Pourquoi montiez-vous curieusement la garde là-bas », lui demande le parquet ? En réponse, l’accusé indique que si lui-même pouvait poser la même question et avoir une réponse, ça lui plairait beaucoup. Le seul élément du DUI avec le Groupement des unités spéciales (GUS), est-ce habituel ?  C’était la première fois pour moi, dit l’accusé au parquet. Avez-vous demandé ce qui se passait ? Non, répond-il au parquet, précisant que tout le monde était dépassé. Relisant sa déposition lors de la première comparution, le parquet rappelle que l’accusé avait confié qu’ils étaient 6 éléments et « notre poste était à l’intérieur de la présidence », « je voyais surtout le sergent Koussoubé ». Il dit ne pas se reconnaître dans les détails lus par le parquet, arguant que des incompréhensions ont pu se poser entre lui et le juge d’instruction. Il dit n’avoir pas lu les P.V d’interrogatoire au fond et de première comparution. « Le juge m’a tendu une feuille et m’a dit de signer et j’ai signé », dit-il. Pour le procureur, cela suffisait qu’il ait signé les P.-V et n’ait pas été contraint à le faire. En observation, le parquet note que le sergent Koné était conscient de son intervention pendant les évènements, laquelle était bâtie sur des irrégularités, selon le parquet, d’autant plus que le supérieur hiérarchique du sergent Koné n’a pas répercuté les ordres. Pour le Conseil de l’accusé, Me Roger Yamba, le parquet n’apporte pas les preuves de ce qu’il reproche à son client. Et de s’interroger sur ce que le supérieur hiérarchique a fait pour sortir le sergent de sa situation quand il a été embarqué par un sergent-chef qui n’était pas de sa compagnie. Le parquet, au lieu de s’intéresser à cela, insiste sur le fait que l’accusé a exécuté les ordres d’un supérieur hiérarchique inhabituel. Les déclarations des PV ne sont pas « paroles d’évangile » selon l’avocat. Il estime que le principe selon lequel « nul n’est censé ignorer la loi » est à appliquer avec réserve. Il fait observer que son client a été blanchi par le juge d’instruction avant d’être  inculpé par la chambre de contrôle. Il attend les plaidoiries pour mieux se faire entendre. Toutefois, il relève que « si le fait d’avoir été renforcer un poste constitue un élément moral de complicité, personne ne sera en sécurité dans l’armée ». Qu’avez-vous fait finalement pour vous retrouver à la barre, demande le procureur militaire au sergent ? « Je ne sais pas », dit-il en réponse. Il salue la mémoire des personnes mortes et les blessés à qui il souhaite meilleure guérison, à la fin de son audition.

 

Un lieutenant fidèle à ses dépositions, qui rejette les faits

 

Le lieutenant Zagré qui a comparu à la barre est né en 1986 en Côte d’Ivoire. Sous-lieutenant au moment des faits, il est célibataire sans enfant et a été décoré de la médaille des Nations unies pour la paix. Quatre chefs d’inculpation sont retenus contre lui : complicité d’attentat à la sûreté de l’Etat, meurtre, incitation à commettre des actes contraires à la discipline et au règlement, coups et blessures volontaires. Avant de se prononcer sur les faits, l’officier a rendu hommage aux membres du Tribunal et aux membres du parquet pour l’autorisation d’absence dont il a bénéficié pour aller faire un test qui a été concluant, annonce-t-il à la barre. C’est après cette mention que le lieutenant dit ne pas reconnaître les faits. Le lieutenant qui était en permission au moment des faits, est rentré du Mali où il était en opération de maintien de  la paix dans le bataillon Badenya, au compte des Nations Unies. Il dit avoir rejoint le camp le 16 septembre autour de 16h, où il y avait un rassemblement. Le Général Diendéré a rencontré les officiers supérieurs dans le bureau du Chef de Corps où il leur a fait savoir que le Conseil des ministres a été interrompu et il allait rencontrer les chefs militaires au ministère de la défense, relève le lieutenant. Une rencontre avec les Sages s’est tenue ensuite  avec le Général Diendéré au cours de laquelle l’Archevêque de Bobo-Dioulasso, Paul Ouédraogo, a confié, selon le lieutenant Zagré, que le vide inquiétait et a demandé aux gens de prendre leurs responsabilités s’il s’agissait d’un coup d’Etat. Plus tard, le Général fera savoir qu’une déclaration sera lue. Initialement, le lieutenant Zagré avait été désigné pour la lire, parce qu’il était convenu que celle-ci soit lue par un jeune officier pas connu du public, confie l’accusé au passage. Mais le Capitaine Dao lui dira plus tard que ce n’est pas la peine et une autre personne a finalement lu ladite déclaration, celle du CND, lue par le Colonel Mamadou Bamba. Avec un ordre de mission dûment signé, le lieutenant a effectué une mission au Togo avec 9 éléments, du 17 au 18 septembre 2015, pour aller prendre du matériel de maintien de l’ordre au compte de la gendarmerie nationale, selon ses déclarations à la barre. Il est entré seul sur le territoire togolais où l’attendait un certain Capitaine Piasso qui l’a recueilli pour la suite de la mission. Le 20 septembre, il dirige une mission de 6h30 à 18h30 à la Place de la Nation, avec 30 éléments munis de leur dotation individuelle en armement, de matériel de maintien de l’ordre, de grenades lacrymogènes… pour éviter que des gens occupent cet espace, sur ordre du Commandant Gorgo. Du 21 au 23 septembre, dit-il, ordre lui a été donné de maintenir le dispositif de sécurité avec 3 groupes, pour sécuriser le dépôt d’armes de Yimdi qui avait été attaqué et éviter un retour d’attaque, dit-il. Il devait retourner au Mali le 23 septembre dans la soirée, selon ses confidences, mais c’est finalement le 1er octobre 2015 qu’il a pu bouger, vu que les frontières étaient fermées. Le parquet lui demande s’il relevait encore de l’ex-RSP quand il était en mission de maintien de la paix au compte de l’ONU au Mali. Administrativement, dit-il, je relevais des Forces armées burkinabè, même si j’étais en mission au compte de l’ONU au Mali. Il rappelle l’article 39 du règlement de discipline générale de l’Armée selon lequel  « ce n’est pas parce qu’on est en permission qu’on est exempt de toute mission ».  On lui a confié des missions quand bien même on le savait en permission, assure-t-il. Le parquet dit à son endroit qu’il entretient le flou et lui demande s’il était obligé d’aller au RSP le 16 septembre. « Non, répond-il, mais je me suis retrouvé de manière fortuite au camp ». Il indique que, même en mission (comme c’était son cas à Badenya 3 au Mali), rien n’interdit de prendre une autre mission, à son avis. Le fait que son seul nom figurait sur l’ordre de mission lors du voyage au Togo est-il habituel, lui demande le parquet ? « Oui, quand il y a beaucoup de personnes », dit-il, précisant qu’il ne connaissait pas les autres membres de la mission dont il n’est pas l’initiateur. Le parquet veut savoir pourquoi il a prêté main forte au coup d’Etat. En réponse, le lieutenant dit que cela est la lecture que le parquet fait des choses, lui il n’a fait qu’exécuter des ordres militaires.

 

« L’ordre se définit comme la volonté du chef, exécutable généralement à courte échelle »

 

Un ordre qui demande l’arrestation du Président du Faso est-il légal ? « Je n’ai jamais reçu un ordre du genre », dit-il en réponse. Sur l’objet de sa mission le 20 septembre 2015 à la Place de la Nation, le lieutenant indique que c’était pour dissuader ceux qui voulaient s’y rassembler, empêcher que des manifestants s’y affrontent, contribuer à l’apaisement.  Avez-vous mission de maintenir l’ordre ? « Ça peut arriver » répond-il à la question du parquet. Pour le procureur, ceux qui voulaient s’y rassembler voulaient dénoncer le coup d’Etat et le lieutenant et ses hommes étaient armés jusqu’aux dents pour les mater.  Le lieutenant, à ce point, dit qu’il ne fait pas de distinction entre les manifestants anti ou pro-putsch. Et de rappeler qu’au retour de sa mission au Togo, autour de  Koupéla, des gens manifestaient pour soutenir le putsch, mais pour autant, lui et ses éléments n’ont pas fait de distinction. Quelles étaient les fonctions du Général Diendéré, demande à nouveau le parquet ? Le lieutenant dit ne pas en avoir connaissance. Le parquet veut comprendre finalement pourquoi le lieutenant a effectué les missions  pendant les évènements. En réponse, il dit que son chef les lui a confiées et c’était de son devoir de les exécuter. Et le parquet de lui demander d’apprécier la nature de l’ordre. Ce qu’il dit ne pas pouvoir faire. « L’ordre se définit comme la volonté du chef, exécutable généralement à courte échelle », dit le lieutenant qui définit par ailleurs la mission comme « la partie essentielle de l’ordre, elle engage la responsabilité de celui qui la donne et est impérative pour celui qui la reçoit ». Pour le parquet, la position statutaire du lieutenant fait qu’il relève du bataillon Badenya 3 commandé en son temps par le lieutenant Olé Jules Palm.  Pour le Conseil du lieutenant Zagré, Me Dieudonné Ouili, il n’appartient pas à celui qui est en mission d’apprécier le caractère de la mission.  Quel était le comportement des frères d’armes qui étaient avec vous au Mali, et qui étaient au Burkina au moment des faits, lui demande l’avocat ? Ils ont tous rejoint le RSP. Ceux qui étaient d’autres corps ont rejoint leur corps d’origine, répond le lieutenant. Pour l’avocat, son client n’est pas déconnecté de sa base et s’est comporté exactement comme tout militaire dans sa situation, en position de congé. Habituellement, fait observer l’avocat, quand un militaire rentre de mission, il offre un pot à ses frères d’armes. La connexion avec ses frères d’armes était donc maintenue.  Sur ces mots, le président du Tribunal a suspendu l’audience à 13h 02 mn.

Si je ne m’y rendais pas on ne serait pas à 13 morts

 

A la reprise de l’audience dans la soirée, le lieutenant Bouraïma Zagré est à la barre pour s’expliquer relativement aux faits qui lui sont reprochés, notamment la complicité d’attentat à la sûreté de l’Etat, l’incitation à commettre des actes contraires à la discipline et au règlement militaires et meurtres. Dans la foulée, il affirme qu’il était question de trouver un jeune qui n’est pas connu du public pour lire une déclaration. Et dans ce cadre, il a été désigné. « Et vous avez accepté ? », demande Me Guy Hervé Kam, avocat des parties civiles. « On n’a jamais demandé mon avis pour lire quoi que ce soit et je n’ai jamais rien lu », répond le lieutenant Bouraïma Zagré. La partie civile n’en démord pas, pour ainsi dire. En effet, Me Guy Hervé Kam accule l’accusé : – « Pourquoi arrivé à la frontière, vous vous êtes mis en tenue civile ? »L’accusé : « un ordre peut être assorti de plusieurs modalités. Ce sont des ordres qui émanaient de mon chef de corps avec un ordre de mission à l’appui, visé à la brigade de gendarmerie de Cinkansé et au poste de Police ».  Me Guy Hervé Kam estime tout de même que le lieutenant aurait pu se soustraire aux ordres de son chef, étant donné qu’il était en mission onusienne et qu’il était en permission au Burkina Faso. Mais l’accusé n’entend pas cela de cette oreille puisqu’il estime que même étant en permission, il ne pouvait pas se soustraire aux ordres de son chef qui l’a d’ailleurs envoyé à la place de la Nation pour « une mission d’apaisement ». Un terme qui a retenu l’attention de Me Kam qui veut savoir s’il y a une différence entre « mission d’apaisement et mission de maintien de l’ordre ». Le lieutenant Bouraïma Zagré fait comprendre que la mission d’apaisement, dans le cas d’espèce, était destinée à apaiser la tension qui prévalait à l’époque. Toute chose qui conduit Me Hervé Kam à faire remarquer qu’il est clair qu’en son temps,  le lieutenant savait que c’était un coup d’Etat et il a exécuté les ordres entrant dans ce cadre. Mais l’officier subalterne rétorque que relativement aux missions qu’il a exécutées, il n’a reçu d’ordre d’aucun auteur du coup d’Etat. « Je me suis engagé dans l’armée pour défendre le Burkina Faso et protéger les populations et non les intérêts d’un individu », confesse le lieutenant Zagré. Une confession qui apporte de l’eau au moulin de Me Kam qui s’émeut en ces termes : « Si c’est cela votre manière de défendre la Patrie et les populations, il faut la changer parce que les missions que vous avez exécutées ont mis les populations en danger ». Mais l’accusé ne semble pas être du même avis que l’avocat, parce qu’il insiste sur le fait qu’il s’est rendu, le 20 septembre à la place de la Nation, pour empêcher tout rassemblement. « Peut-être que si je ne m’y rendais pas et qu’il y avait affrontement, on ne serait pas à 13 morts et une quarantaine de blessés », a-t-il relevé. Tenant toujours le micro, Me Guy Hervé Kam trouve curieux que le lieutenant Bouraïma Zagré qui s’est retrouvé de façon fortuite au camp Naaba Koom, soit celui qui a exécuté les missions importantes alors qu’il y avait d’autres officiers. A cette question, le lieutenant estime que ce n’est pas à lui de répondre car ceux qui l’ont désigné pour le faire sont mieux placés pour expliquer cela. Mais, tout de même, le lieutenant relève qu’il était l’officier le plus ancien et il lui revenait d’accomplir la mission sans bavure. « Ah bon ! 13 morts et c’est sans bavure ?  », reprend Me Kam, estomaqué. Mais le lieutenant précise que les 13 morts et les 42 blessés ne relèvent pas de son chef parce qu’au cours de sa mission, il y a eu zéro mort et zéro blessé. Etant dans son rôle, Me Yanogo, l’un des avocats des parties civiles, insinue que le lieutenant savait que toutes les missions qu’il a exécutées relèvent du coup d’Etat. Et l’accusé d’affirmer que tout le monde savait qu’il y a eu coup d’Etat. Dans son questionnement, Me Yanogo cherche à savoir de qui venait les ordres. « De mon chef de corps », déclare l’accusé. Une réponse qui permet à l’avocat de faire observer que ledit chef de corps était à la réunion avec les instigateurs du coup d’Etat et c’est à la sortie de cette réunion qu’il a donné les ordres au lieutenant. Comme réponse à cette observation, le lieutenant Bouraïma Zagré fait cette réflexion : « C’est comme si je disais que le coup d’Etat a eu lieu au Burkina Faso et comme vous êtes Burkinabè, vous êtes aussi responsable ». A cette observation, Me Yanogo répond : « C’est vous qui le dites mais pour l’instant, c’est vous qui êtes à la barre ». A cet instant précis, une obscurité envahit la salle des banquets de Ouaga 2 000. En fait, c’est un délestage qui va durer une quinzaine de minutes, obligeant le président du Tribunal, Seïdou Ouédraogo, à suspendre momentanément l’audience. Une situation qui n’a pas du tout désorienté Me Yanogo qui prend la parole à la reprise de l’audience. Il veut savoir où est-ce que le lieutenant Zagré a ramené le matériel qu’il est allé chercher au Togo. Celui-ci affirme que c’est au camp Naaba Koom II qu’il a convoyé le matériel et « des éléments de la gendarmerie et de la Police sont passés chercher puisque j’ai reçu des instructions de celui qui m’a envoyé pour le dispatching ». « Est-ce qu’il appartient au RSP de doter la Gendarmerie et la Police de matériels ? », question de Me Yanogo. « Il arrive que ce soit le cas », réponse de l’accusé.

« Etre en mission des Nations unies ne confère pas une indépendance vis-à-vis de son unité »

 

Revenant sur la mission à la place de la Nation, Me Yanogo demande à l’officier subalterne quelle est la différence entre une mission d’apaisement et une mission de maintien d’ordre. A ce sujet, le lieutenant fait comprendre que les deux missions s’inscrivent dans le même cadre et il était à la place de la Nation parce qu’il « y avait un risque d’affrontement entre les pro-putsch et les anti-putsch ».  Pour sa gouverne, Me Yanogo veut savoir qui étaient les pro-putsch et qui étaient les anti-putsch ? « Je ne les connais pas, mais je n’ai épargné personne quand je suis arrivé sur les lieux », raconte-t-il. Effectivement, Me Yanogo reconnaît que le 20 septembre, il devait y avoir un rassemblement à la place de la Nation pour opposer une résistance au coup d’Etat mais qu’il n’y avait pas de risque d’affrontements et la mission du lieutenant Zagré était d’empêcher la population de se réunir à la place de la Nation. Et pour charger l’inculpé, l’avocat  estime que le lieutenant aurait pu se soustraire aux ordres de son supérieur hiérarchique, comme l’a fait le sergent Sénimi Médard Boué. Mais l’officier Bouraïma Zagré pense qu’« on ne peut pas se permettre de refuser d’exécuter les ordres d’un chef, sinon ce serait faire l’apologie de la désobéissance et de l’indiscipline dans l’armée ». A la suite de Me Yanogo,  Me Hawa Savadogo s’adresse à l’inculpé mais l’accusé ne répond pas directement à la plupart des questions qui lui sont posées, si fait que Me Savadogo dit au lieutenant que le fait de dire qu’il ne répond pas est aussi pour elle une réponse. Peine perdue, l’accusé continue dans sa stratégie de contourner les questions de Me Savadogo. Tout de même, Me Séraphin Somé s’adresse à l’accusé à la barre : « Etes-vous fier des actes accomplis ou les regrettez-vous ? ». De façon calme, le lieutenant répond : « on peut différer les jugements de valeur ». L’avocat ne trouve pas son compte dans la réponse. C’est pourquoi il réitère la question mais peine perdue, le lieutenant n’en dira pas plus. Mais Me Somé, avocat des parties civiles, observe que le lieutenant était en mission onusienne sous la coupe de Palé, commandant du Bataillon Badenya dont le lieutenant faisait partie, mais il se trouve que ce n’est pas Palé qui a donné les ordres. « Le fait d’être en mission des Nations unies ne confère pas une indépendance vis-à-vis de son unité », relève l’accusé pour justifier les ordres qu’il a exécutés lors de sa permission. A la fin de sa prise de parole, Me Séraphin tient à faire observer que c’est avec beaucoup de déception qu’il a écouté le lieutenant Zagré. Comme pour jeter des fleurs à l’accusé, Me Séraphin Somé trouve que le lieutenant Bouraïma Zagré est « un sujet particulièrement brillant et l’armée devait être fière d’avoir un tel sujet ». Mais les fleurs se sont vite transformées en flèches, compte tenu de la suite des propos de l’avocat. En effet, Me Séraphin poursuit : « Mais avec lui, j’ai eu très peur parce que le Burkina Faso n’a pas véritablement tourné la page des coups d’Etat. Cet accusé n’a pas de regrets, c’est un monstre froid ». Quand il profère ces paroles, le Président lui dit de modérer ses propos, mais il reprend en ces termes : « un accusé qui a une telle froideur », les parties civiles en ont peur.  Pour ce qui est de l’ordre reçu par le lieutenant, le Bâtonnier, Mamadou Savadogo, fait comprendre qu’il faut discuter de la légalité et de l’opportunité de cet ordre parce que si les militaires doivent apprécier l’opportunité d’un ordre avant de l’exécuter, l’armée ne fonctionnera plus. « Il a été dit au lieutenant Zagré d’aller sécuriser la poudrière de Yimdi. S’il doit réunir sa femme et ses enfants pour discuter de cet ordre, on est tous morts », explique-t-il avant d’affirmer que « tout n’est pas dans les règlements et les lois ».

 

Françoise DEMBELE et Lonsani SANOGO

 

 


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