REFORME CONTESTEE DE LA CEI:La Côte d’Ivoire danse sur un volcan
Au cœur de la polémique de la crise postélectorale de 2010 avec les conséquences que l’on sait, la Commission électorale indépendante (CEI) de la Côte d’Ivoire continue, dix ans plus tard, de faire encore parler d’elle. En effet, à peine voté le 30 juillet dernier, le projet de loi sur la recomposition de l’instance électorale, continue de faire des gorges chaudes. Et c’est peu dire que la classe politique est divisée sur la question. En effet, si aux yeux du pouvoir, cette nouvelle mouture répond aux exigences de la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples, il en va autrement pour l’opposition qui soutient le contraire et pour laquelle ledit texte de loi ne respecte pas l’arrêt de la juridiction panafricaine, rendu en 2016. Des récriminations qui apparaissent comme les prémices d’une guerre de tranchées autour d’une question qui risque de faire couler beaucoup d’encre et de salive.
Les ingrédients d’une crise postélectorale sont en train d’être réunis
En tout cas, l’opposition qui semble avoir été prise de court dans le processus d’adoption de ce texte sur lequel elle attendait visiblement le pouvoir au tournant, est montée au créneau pour dénoncer un déséquilibre en faveur de la mouvance présidentielle. Comment peut-il en être autrement quand on sait que dans le nouveau bureau dont le nombre de commissaires a été ramené de 17 à 15, outre les trois représentants du pouvoir et autant de l’opposition, l’instance électorale comptera six représentants de la société civile, un de la magistrature, mais aussi un représentant du président de la République et un représentant du ministère de l’Intérieur ? La question que d’aucuns pourraient se poser, est de savoir si l’opposition n’en fait pas trop et ne peut pas se contenter des avancées. Mais si dans la forme, l’on peut trouver peu à redire dans la composition de cette nouvelle équipe, dans le fond, l’on n’a pas besoin d’être grand clerc pour savoir qu’il y a maldonne.
De quoi raviver le souvenir de 2010 et réveiller les démons de la crise postélectorale de 2010-2011 dont les répliques telluriques sont pourtant encore loin de s’être estompées. C’est dire si la Côte d’Ivoire danse sur un volcan qui peut entrer en éruption à tout moment. En effet, dans cette atmosphère sociopolitique tendue, avec la recomposition de l’échiquier politique par le jeu des alliances qui a vu des alliés d’hier se regarder aujourd’hui en chiens de faïence, le malaise né de la composition de cette CEI contestée, risque d’exacerber les tensions entre les acteurs de la classe politique ivoirienne chez lesquels la confiance n’est pas la chose la mieux partagée, et qui ne jurent tous que par la présidentielle de 2020. En tout cas, petit à petit, les ingrédients d’une crise postélectorale sont en train d’être réunis.
Pourtant, l’on aurait pu croire que tirant leçon de 2010, la classe politique ivoirienne mettrait un point d’honneur à faire taire ses divergences pour aller vers des élections apaisées. Malheureusement, l’on ne semble pas en avoir pris résolument le chemin. Bien au contraire, l’on a le sentiment qu’à l’approche de 2020, les Ivoiriens sont en train d’aiguiser leurs couteaux pour aller à l’abordage de cette présidentielle.
On peut craindre que les choses ne finissent par déraper
Et pour autant que le président Ouattara fût dans la logique d’organiser des élections transparentes pour ensuite passer la main, il aurait dû travailler à faire taire le maximum de critiques pour aller vers un consensus autour de la question électorale. Cela aurait eu l’avantage de créer un climat de confiance entre les acteurs de la scène politique et d’apaiser le climat sociopolitique, à l’orée des consultations populaires.
Mais tout porte à croire que le président Alassane Dramane Ouattara (ADO) est en train de déblayer le chemin pour ses ambitions, à l’effet de voir la personne de son choix lui succéder à la magistrature suprême ; d’où la question : de quoi a peur le chef de l’Etat ivoirien ? Quoi qu’il en soit, à travers cette réforme contestée de la CEI, l’on est porté à croire qu’ADO a plus pensé aux intérêts des siens, qu’à tout autre chose.
En tout état de cause, comme le dit un adage africain, « si le dolo* sera bon, on le sait dès la coupe du bois ». C’est dire si ces tiraillements autour de la composition de la CEI, pourraient grandement affecter le processus électoral en Côte d’Ivoire. Et connaissant l’histoire de ce pays, faite, entre autres, de rancœurs, de mariages et de démariages de raison ou contre-nature, on peut craindre que les choses ne finissent par déraper. Il faut, à tout prix, conjurer le mauvais sort. Cela passe par un dépassement de soi au niveau des décideurs politiques, pour ne privilégier que l’intérêt supérieur de la Nation. C’est à ce prix que la Côte d’Ivoire pourra s’éviter une autre crise postélectorale.
« Le Pays »
*Dolo : bière de mil traditionnement préparée au feu de bois.